Les militants altermondialistes connaissent surtout de Pierre Bourdieu (1930-2002) ses critiques du néolibéralisme [1]. Ce n’est pas le plus original chez lui. Ses travaux sociologiques ont, par contre, profondément renouvelé la critique sociale en un sens nettement postmarxiste. C’est un aspect qui, peu à peu, est davantage connu par les milieux altermondialistes [2].
P. Bourdieu prend aussi en charge le défi de la pluralité. La société serait constituée par une variété de champs sociaux autonomes : champ économique, mais aussi politique, intellectuel, religieux, etc. Un champ, c’est une sphère de la vie sociale qui s’est progressivement autonomisée à travers l’histoire. Chaque champ est structuré par des rapports propres de domination. La société ne constituerait donc pas un « système » homogène et fonctionnel, où tout serait intégré autour d’un axe principal. Il y aurait une pluralité de modes de domination intriqués. Par exemple, un ouvrier exploité peut dominer sa femme. Ou un homosexuel soumis à l’homophobie peut s’inscrire dans une logique raciste, etc.
La notion d’autonomie indique que ce qui se passe dans le champ politique (ou dans le champ religieux) n’est pas nécessairement, même « en dernière instance » (comme disent les marxistes), commandé par ce qui se passe dans le champ économique. De même, la domination culturelle (ou la domination masculine) ne dépend pas nécessairement, même en dernière instance, de l’exploitation économique. Ainsi la domination du capital économique sur le travail et le mouvement d’expansion de la marchandise qui lui est associé constitueraient bien un des fils principaux de nos sociétés contemporaines. Pourtant, il faudrait rester attentif aux contradictions des ordres dominants (au pluriel), même si tous n’ont pas le même poids dans l’avenir du monde.