- Créé en 1997 à partir de nationalistes issus du concept de Lutte de Libération Nationale en rupture, vous avez, contrairement à d’autres, clairement défini votre « côté ». Faisiez-vous parti du concept LLN ?
Je pense que nous faisons tous parti du concept de Lutte de Libération Nationale qui au départ, et je pense encore dans toutes les têtes, dans certaines têtes surtout, était un concept noble. Il s’agissait, à un moment donné, de redonner un peu la parole à un peuple qui avait une histoire. Donc, oui, on est tous issus du concept de LLN. Maintenant, on arrive quand même à une deuxième partie de cette lutte et je pense qu’il y a des gens qui s’inscrivent dans cette lutte et qui ne pensent pas être issus de celle-ci ; mais bon, tout démarre de là. Des partis politiques se créent, d’autres se réunissent.
- Vous êtes pour l’unité nationale mais vous n’avez pas signé le protocole d’accord du 3 juillet 1999 à Migliacciaru. Pourquoi ?
Vous êtes pour l’unité nationale mais vous n’avez pas signé le protocole d’accord du 3 juillet 1999 à Migliacciaru. Pourquoi ? Premièrement, je souhaite rétablir la vérité. Nous avions reçu un fax du Comitatu di U Fiumorbu qui demandait explicitement de participer à cette grande messe et ce n’est pas péjoratif. Le cadre était assez clair. Les écris restent, c’est toujours intéressant... toujours. Il devait y avoir un premier contact avec tous les mouvements nationalistes pour avoir une meilleure approche de la situation, se parler... Et il était écrit qu’il y a aurait une confidentialité de A jusqu’à Z, de A jusqu’à Z. Mais ça ne s’est pas trop passé comme ça. Il y a d’abord eu l’arrestation des auteurs présumés de l’attentat du Préfet, ensuite il y a eu des gens autour de la table qui nous ont demandé des soutiens tout de suite. C’est-à-dire que chaque fois, on n’arrive pas trop à être rigoureux dans l’ordre du jour et à un moment donné, c’est parti un peu en saucissonnade et on s’est retrouvé avec une confidentialité je dirais... gestuelle. Des gens qui ont pris la parole à midi, d’autres qui voulaient aller protester dans l’église où la femme e Mathieu Finidori, incarcérée aussi dans l’affaire du Préfet, faisait une conférence de presse. Donc la confidentialité est passée sous la main de tout le monde. Puis en deuxième acte, nous n’étions pas mandatés pour signer, puisqu’il était bien écrit dans cet ordre du jour, qu’il ne fallait rien signer. Nous ne pouvions pas prendre la responsabilité de signer quoi que ce soit et surtout, nous nous basions sur les fautes, les erreurs du passé du mouvement national où l’on disait que des gens décidaient à la place d’autres. Donc nous, sur ce concept-là, nous ne pouvions pas décider à la place d’autres. U muvimentu di A Manca Naziunale, qui est un mouvement jeune, s’est alors réuni une semaine plus tard et nous avons décidé de ne pas signer. Vous êtes autonomistes.
- Quand pensez-vous que la Corse accédera à ce statut de Matignon II, et l’attitude de Lionel Jospin ?
Au début, on a pensé que le concept du pouvoir législatif était intéressant mais finalement, on s’aperçoit aussi que les forces de progrès, dites de progrès : Parti Communiste Français à Ajaccio, Corse Social Démocrate conduite par Simon Renucci... ont beaucoup parlé pendant les élections parce que l’on vendait sa marchandise et que l’on n’a pas eu le courage de dire ce qu’on pensait. Et au moment où il faut voter, au moment où peut-être il faut prendre ses responsabilités, on s’échappe et là, nous, on pense du comme fer que là, là c’est l’émergence d’un nationalisme français. Nous pensons qu’autour de J.P. Chevènement qui est quelqu’un de très dangereux y compris pour la France, ils veulent une défense de la République. On ne s’imagine pas que la République serait en danger en Corse, je veux dire la quatrième puissance mondiale en danger en Corse. 250 000 âmes avec 80 000 Corses, plus à l’extérieur qu’à l’intérieur. Nous, on pense à Manca Naziunale, que les 250 000 sont corses. Voilà, parce que la Corse a toujours fabriqué des Corses. Donc on ne pense pas que la petite Corse va mettre en péril la République. Il y avait quoi ? Il y avait juste à donner un petit pouvoir législatif et un petit bol d’air à ce pays et surtout, à essayer que la Corse soit un peu originale dans son fonctionnement par rapport au littoral, par rapport même à l’Europe. Un pouvoir législatif aurait pu faire face à l’Europe ; on aurait pu dire aux autres îles et aux autres régions : on ne va pas accepter ce que va nous donner l’Europe, on ne va pas accepter les normes européennes. On ne peut plus fabriquer le formage comme on veut, on ne peut plus fabriquer le miel comme on veut, on ne peut plus se garer dans les parkings parce qu’à Bruxelles, ils l’ont décidé. À Renno, pour la tumbera, on tue le cochon ; il est vrai qu’il y en a qui peuvent être choqués, mais c’est toute une tradition, c’est toute la culture d’un pays, on ne va pas uniformiser. Là, c’est dommage, c’est un peu tombé à l’eau et j’espère que Lionel Jospin se reprendra un tout petit peu. On nous donne des miettes, on nous dit qu’on va parler un tout petit peu la langue maternelle, on nous prend un peu pour des imbéciles et c’est bien dommage parce que je pense que dans ce pays, on a pris l’habitude de se défendre autrement qu’avec le verbe car souvent, on y est pas trop arrivé et on n’avait pas les médias, on n’avait pas les espaces. Et j’ai peur de la jeunesse qui arrive derrière nous. Si on faisait une projection sur l’avenir et si on partait de 1970, on a été de plus en plus violent ; et moi j’ai peur de cette société qui va être névrosée, qui à un moment donné va se retrouver incomprise, une société d’enfants qui ont vécu avec leurs pères qui étaient issus de la LLN, des parents, des mamans, des papas qui parlent à la maison, qui ne s’en aperçoivent pas mais qui sont énervés, qui sont inquiets ; et des enfants vous grandir avec ça, qui vont être je pense dix fois plus radicaux que ce que l’ont été certains.
- Êtes-vous pour un référendum ?
Oui, nous étions pour un référendum, nous sommes pour que le peuple soit consulté.
- Pensez-vous qu’il devrait concerner juste les Corses ? Le Président de la République changera-t-il la constitution et, surtout, en a-t-il la volonté ?
On vous dit toujours en guise d’excuse : la constitution française. Mais pour le quinquennat, il serait apte à la changer, tant que ça concerne la France il n’y a pas de problème.
Donc moi, je pense qu’il serait intéressant qu’il y ait un référendum, de ce qu’ils appellent eux, régional ; nous, nous appelons ça national. Il serait intéressant qu’il y ait un référendum pour la Corse et que tout le monde puisse voter. C’est-à-dire que nous nous basons sur un fait, qu’à un moment donné, on puisse donner la parole à tous ceux qui sont dans ce pays et qui vivent avec nous ; qu’ils soient d’origine française, portugaise, immigrés, mais en expliquant bien les choses.
Maintenant, si on commence à envoyer des sondages, comme a fait le Parti Communiste Français, en disant : que préférez-vous : manger tous les jours ou ne pas manger le soir ? Non ce n’est pas bien ; je veux dire, il faut être assez sérieux dans ce genre de référendum. Il est vrai qu’en excluant, et encore, ce n’est pas un mot trop fort, mais on peut les exclure, les fortes répressions, ceux qu’on appelle les gendarmes, les policiers... On ne voit pas des gendarmes, des CRS voter. On peut faire voter les gens sur un référendum décidant d’une autonomie ou pas. A la rigueur, on pourrait même, éventuellement, penser à une consultation tous les 5/6 ans en se disant : est-ce que le peuple est prêt ? Car le gouvernement français qui aurait cette idée généreuse se dirait : on va essayer de consulter, on va essayer de travailler, de se dire allez, le référendum dans cinq ans. Demain, on nous dit qu’on va faire un référendum dans cinq ans, on définit un corps électoral corse.
Le corps électoral corse, c’est surtout des gens qui sous le volontariat, vont vouloir vivre un destin commun avec les gens de ce pays et avec l’histoire de ce pays, ni plus ni moins. Les gens qui ne voudront pas vivre un destin commun diront : nous, on ne s’inscrit pas sur le corps électoral corse.
Et après, quel rôle joueront ces personnes en Corse ? Auront-ils un statut et j’en reparle évidemment de coopérants, des gens qui vivront ici mais qui ne pourront pas voter. Je pense qu’il faut demander aux gens, il faut leur dire, il faut les intégrer, on doit intégrer les personnes qui veulent voter avec nous, vivre avec nous et non pas leur dire venez vous intégrer. On peut arriver demain à des gens qui sont d’origine continentale et qui n’ont aucune attache en Corse excepté l’amour de ce pays, leur dire est-ce que vous voulez participer à l’inauguration d’un pays, est-ce que vous voulez rentrer dans un corps électoral corse ? Ils vont nous dire oui. Si on commence par dire toi non, toi non, qui va décider de toi-oui ou toi-non ?
C’est à nous de faire la proposition, c’est à tout le monde d’être assez généreux dans une politique très large et de dire aux gens : allez, on y va, on part tous ensemble. Evidemment, on va se heurter à quelques difficultés parce que notre pays est dans un état de délabrement terrible que ce soit culturel, intellectuel, économique ainsi de suite, alors ce n’est pas évident. Les gens, dès que vous parlez de statut d’autonomie ou de statut législatif, ils pensent à leur assiette, ils n’ont pas tout à fait tort, mais il faut qu’ils se disent aussi que cette assiette, elle est vide. A cause de qui ? Depuis des années, on a des gens à l’Assemblée de Corse qui sont des pervers, je pense sincèrement qu’ils sont des pervers.
On a l’assiette qui se vide de plus en plus, on a nos quartiers complètement délabrés, c’est énorme. Nos villages sont vides, il n’y a plus de service public de proximité, il n’y a plus rien. Donc, à un moment donné, il faut se dire : on part pour le mieux être, pour le mieux vivre, alors prenons le ton, le temps. On y va, il y a un tempo, on y va pour 5 ans. On se dit dans 5 ans un référendum. Commençons une auto-organisation, commençons à penser à des écoles bilingues, commençons un tas de choses intéressantes et après, on verra. À la rigueur, l’État français pourrait même imposer quelque chose en disant : nous, on est pour un référendum, on est pour un pouvoir législatif, mais il y a des conditions : les conditions du littoral, la loi littoral, on la préserve et on l’élargit, on l’agrandit ; le système social on le laisse comme il est, le statut social des ouvriers, des salariés, il faut les laisser. On peut peut-être améliorer une fiscalité. Mais voilà, vous êtes tranquilles. Mais évidemment, les gens ont peur, quand ils pensent à l’autonomie, ils se demandent qu’est-ce qui va nous tomber ? Peut-être que nous n’aurons plus la couverture sociale, peut-être que le littoral va être bouffé... Mais on peut faire un partenariat et un contrat, un contrat de coopération en disant : voilà, l’histoire dit qu’il y a eu 250 ans d’histoire, vous, vous dites que vous avez été colonisés, nous, nous disons que nous étions des coopérants, et bien nous, Etat français, nous disons : maintenant, on travaille avec vous.
Mais attention, nous aussi nous sommes garants d’une paix sociale et, à un moment donné, d’un enrichissement dans ce pays, nous voulons que la Corse soit de plain-pied dans l’Europe mais nous désirons aussi que le social soit respecté et nous gardons le Code du travail actuel, ça ne nous dérange pas.
- Comment envisagez-vous l’autonomie ?
Alors là, c’est beaucoup plus cornélien. Sur ce plan, sur 5 ans, ce serait déjà intéressant.
En partant d’aujourd’hui, de 2000 à 2005, en se disant voilà, à partir d’aujourd’hui, chaque formation politique va nous proposer un catalogue, un calendrier d’approches, y compris les syndicats, y compris les associations, parce qu’il va falloir intégrer tout le monde. Je pense que tout le monde fait de la politique : jeunes, moins jeunes, les seniors, les juniors, les cadets, tout le monde. Je pense que sur un plan, sur 5 ans, on pourrait imaginer quelque chose qui pourrait émerger et on revient évidemment sur des lois inaliénables, qu’il ne faudrait pas toucher les lois sociales, la loi du littoral. Après, on peut même travailler au niveau économique, aménager face à une Europe de marchands, aménager peut-être une dérogation sur 15 ou 20 ans d’une Corse qui n’était pas prête à rentrer dans l’Europe. On ne nous a pas préparés.
La Corse est un pays pauvre, complètement... il n’y a plus rien, il n’y a plus de production. Attention, il y a encore des gens qui travaillent dans les secteurs ovins, il y a des gens qui font des efforts extraordinaires. Bon, c ’est vrai qu’il y a plus de prestations de service que de productions, mais on ne peut pas rentrer de plain-pied, on ne peut pas avoir une autonomie maintenant et rentrer de plain-pied dans l’Europe, on va se faire manger parce que tout le monde va débarquer. On le voit bien, la grande bagarre qu’il y a sur les dessertes aériennes et maritimes y compris sur les transports, donc sur 5 ans, travailler et penser à ce qu’on pourrait avoir : une production digne de ce nom ou bien des transports, des transports avec un service public obligatoire, une compagnie régionale qui travaillerait toute l’année, ça c’est obligatoire, c’est le service public, c’est l’utilité pour les gens qui vivent dans ce pays et puis, à partir du mois de mai, s’il y a la demande, ouvrir à d’autres transports, augmenter le passage des avions, augmenter les bateaux et ainsi de suite. Mais il ne faut pas qu’à un moment donné, la compagnie publique soit mangée par des compagnies privées. L’erreur qui a été faite de la C.C.M. de sortir de Calvi. On sort de Calvi parce qu’il y a Air Liberté et Air Littoral, on ne va pas être concurrentiel et, dès qu’on enlève nos billes, Air Liberté et Air Littoral fusionnent. On se retrouve avec un monopole et du coup, le prix ce n’est plus le même, il monte.
Croire qu’à un moment donné Air Littoral va partager, c’est se mettre le doigt dans l’œil, croire qu’à un moment donné Air Littoral va nous mettre les prix à 120 F, non va y aller à pieds à Nice.
Donc, à partir de là, partir sur une période de 5 ans et se dire qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on va y mettre ? Réunir toutes les personnes qui travaillent que ce soit dans l’agriculture, dans la viticulture, tous dans le monde du travail et faire quelque chose de sérieux ; parce que j’ai l’impression que depuis des années, on joue un peu en farceur, on vit en farceur. On sait très bien qu’il ne peut rien arriver dans ce pays, que ce soit les responsables syndicaux, les responsables politiques ; on se dit que de toute façon, on sera toujours avec papa, et papa c’est la France. Moi, j’aimerais qu’un jour on dise : voilà, maintenant papa il n’est plus, on n’est plus des adolescents, on va travailler. Allez, dans 5 ans, on va avoir un référendum, peut-être on aura l’autonomie, mais cette autonomie on la préparer maintenant ; et maintenant, vous, responsables syndicaux, vous allez nous dire ce que vous allez mettre dans le panier de la ménagère . Les agriculteurs idem, on va faire de la production, on va essayer de rééquilibrer un peu les richesses, on va faire travailler tout le monde. Et peut-être, dire à une Europe : on n’est pas prêt et se préparer, prendre le temps mais là maintenant, blanc sur bleu, on devient autonome, et après ? Demain on est mal.
- Dans votre motion d’orientation générale, vous dites, je cite : « La seconde rupture, qui doit s’opérer parallèlement à la première, consiste à organiser une société dont les fondements seront la démocratie et la justice sociale », alors que beaucoup d’enquêtes traînent en longueur. Est-ce que cela va changer ?
Nous avions été, après malheureusement le meurtre de Garelli, invités par la Ghjuventu Paolina (qui est devenu maintenant A Mossa Naziunale). Toutes les personnes qui se sont élevées encore une fois contre un meurtre étaient présentes. Les débats furent passionnés et je pense qu’il était très dur de rester. Il y avait la famille Garelli. C’est horrible, non c’est même pas horrible, c’est ignoble de se retrouver avec un père, une mère dont le fils, un jeune de 25 ans, a été assassiné, descendu carrément froidement dans une fête de village parce qu’il y avait des antagonismes. On se retrouve là-bas où à un moment, il y a un mouvement de réaction, on veut créer quelque chose, des gens veulent créer quelque chose ; on nous invite, on monte. Nous sommes opposés aux deux blocs : le bloc qui serait démocratique et le bloc qui serait historique avec la violence. Premièrement, nous pensons que la démocratie, elle n’existe pas en Corse ; donc se dire démocratique, qu’est-ce que ça veut dire ? Oui, dans un fonctionnement démocratique, avec des statuts, nous sommes démocratiques, mais nous ne pensons pas être démocratiques pour tout le monde, c’est un peu prétentieux. Et l’autre bloc qui serait antagoniste au premier. C’est dangereux parce qu’à un moment donné, et comme par le passé, on peut arriver à des dérives ; et puis il peut y avoir aussi des dérives des services secrets. Je ne tombe pas dans l’espionnage, je sais que ça fait rire des fois de parler de ça, mais bon, ça peut exister aussi des provocations. Il faut faire attention. Donc on se retrouve là-bas et on nous demande de nous inscrire dans un processus. On pensait, on sentait bien qu’il fallait condamner quelqu’un, condamner A Cuncolta, condamner alors que l’on n’était même pas sûr que c’était la Cuncolta qui avait fait ça. C’est plus compliqué que ça. Alors nous faisons la proposition suivante : nous demandons l’imprescriptibilité de tous les meurtres de sang, tous les crimes.
C’est Pantaléon Alessandri, qui est une figure du Mouvement national Corse et qui a beaucoup payé, qui se lève et dit à 500 personnes : « Le jour où nous aurons le pouvoir, il va falloir juger la période et juger les gens, il va falloir que les gens passent en procès » et il leur dit en face « Je connais des gens dans la salle qui seront justiciables eux aussi. Vous aurez des avocats, vous aurez des témoins de moralité, vous aurez des gens qui viendront vous défendre, mais nous devons juger l’histoire, juger les gens qui ont fait ces actes. Les familles ne peuvent pas rester comme ça. » Nous sommes passés pour des fous, on passe encore pour des fous, mais je pense que sincèrement, ici, quand on parle d’autonomie, lorsque l’on parle d’indépendance, lorsque l’on parle de pouvoir législatif, ce sont ces pensées fortes, ce sont de grandes choses. C’est-à-dire qu’à un moment donné, on va dire à des gens : on va couper le cordon ombilical et on va prendre d’énormes responsabilités. Et si on n’arrive pas à dire que nous sommes pour l’imprescriptibilité de tous les meurtres, on n’est pas bon.
Edmond Simeoni nous a fait passer pour des doux dingues. Evidemment, peut-être, peut-être ; mais on est en Corse, des familles souffrent, le mouchoir plein de sang flotte de temps en temps. Vous savez, en Corse on attend un an, deux ans, on attend dix ans, on attend vingt ans.
En décidant de l’imprescriptibilité de tous les meurtres, ça veut dire que l’on dit aussi que la France a eu raison de juger Papon. Chapeau, même s’il a failli s’en tirer.
- Vous êtes pour une Assemblée Nationale Provisoire. Pourquoi ? Qui la présiderait ?
Eh bien, ce serait le commencement de la démocratie en Corse. C’est ce que je disais avant, sur la base d’un référendum sur 5 ans, commencer à travailler. L’ANP serait vraiment provisoire, provisoire pourquoi ? Parce que se dire à un moment donné, c’est du provisoire, on va travailler dessus. L’ANP pourrait partir de l’an 2000 et arriver en 2005, 2006, 2008, on peut prendre le temps que l’on veut, le temps qu’il faut. L’ANP serait vraiment l’émanation du peuple, c’est-à-dire que nous, nous mettons tous les œufs dans le même panier, nous ne disons pas qu’il y a une élite qui s’est formée un jour que l’on appelle les politiciens. Un jour, il faudra sortir de ça. Nous, nous disons que les gens devraient venir s’inscrire volontairement sur des listes électorales où toutes les vues, les pensées, les réflexions de ce pays. Les associations pourraient se présenter et être représentées dans cette ANP. Des syndicats, des individus... L’ANP serait vraiment l’émanation populaire. Il faut que ce monde s’inscrive dans une lutte, dans une durée, dire à un moment donné, je monte et je vais avoir la responsabilité, la force, le courage de dire : je suis demain à Aiutu Corsu, ma lutte c’est une lutte caritative, pour les gens qui ont été atteints du SIDA. Mais lorsque l’on lutte pour des gens qui sont atteints du SIDA, on lutte contre la précarité, contre les pays du Sud où il y a 30 millions de gens atteints parce qu’à un moment donné, ils ont été atteints par les pays du Nord qui les ont complètement appauvris, c’est une vue politique que je sache, eh bien nous, nous voulons que ces personnes ne soient pas des faire-valoir de mouvements dits politiques, mais qu’elles s’impliquent totalement. Malheureusement, ce qui a été fait est une vue très droitière de la chose. C’est chasse, pêche, nature, traditions, qui est une association qui s’est présentée aux élections mais, malheureusement, elle est droitière. Les gens de gauche se disent toujours qu’ils ne sont pas mandatés. Le problème des gens de gauche c’est ça, ils ne pensent pas être mandatés pour se présenter quelque part, c’est bien dommage. Ils ne se donnent pas la force, ils se demandent s’ils sont représentatifs, c’est bien de se poser la question, c’est très démocratique, c’est très dangereux, se dire : bon finalement, qui je suis ? Qu’est-ce que je représente ? Mais il faut le faire.
Donc, cette ANP, c’est vraiment ça : définir un corps électoral corse, et il serait intéressant que ce soit sans la permission du gouvernement français. Mais se dire qu’il n’y a aucune garantie pour que la Corse aille mieux au niveau de la langue. De toute façon, on ne va pas attendre que Lionel Jospin nous donne le quitus. Au niveau des associations caritatives, c’est bien fait, mais on attend toujours des missions de la France, on attend tout. C’est la relation du père et de son enfant, de l’enfant qui n’arrive pas à grandir, qui ne cherche pas à grandir aussi. En effet, on lui a tout le temps dit que s’il restait comme ça, il était bien aussi. C’est vraiment une relation très paternaliste et dans les deux sens. C’est l’enfant qui se dit : finalement, je suis bien chez papa et maman. Sociologiquement, si on fait un sondage dans la population, c’est un peu ce que je pense une certaine partie de nos jeunes : j’ai 30 ans, je suis chez papa-maman, j’ ai mon salaire, je suis tranquille. Je ne veux pas généraliser, mais...
- L’Assemblée de Corse vous paraît-elle efficace ? Souhaitez-vous qu’elle soit dissoute comme 91 % des Corses ?
Je pense qu’il faut qu’elle soit dissoute. Je n’ai plus confiance, c’est pour cela que je suis et que nous sommes pour une ANP. Cette auto-organisation serait vraiment un acte majeur, ce serait dire à notre population, à nos jeunes, à nos seniors, de dire maintenant on a beaucoup argumenté physiquement et violemment surtout. Le paradoxe, c’est que l’on a souvent argumenté violemment et dans nos propos, on n’était pas trop révolutionnaire. On mettait des bombes pour dire qu’on voulait marcher sur un trottoir. Lorsque l’on met des bombes, normalement c’est pour changer carrément de société, sinon on n’en met pas. Donc, on ne peut pas avoir confiance parce que ce sont des castes, ce sont des clans depuis des centaines d’années. Paul Giacobbi est très gentil, je confonds toujours Paul et François. Si on prend l’histoire de la famille, ils partent de l’arrière grand-père, du grand-père, ainsi de suite. Rocca Serra, c’est la même chose : le grand-père de Camille de Rocca Serra, il tricotait un peu avec les chemises noires, il faut le dire. Je veux dire, c’est une caste. Ce sont des gens spongieux.
Chez nous, on a un militant, Serge Vandepoorte, qui dit tout le temps : « Méfions-nous de ces gens car ils sont spongieux ». Nous allons aller voir les clanistes, on va leur proposer quelque chose, on va crier, on va leur dire : vous êtes vraiment des nuls ; ils vont nous dire : oui vous avez raison, on est des nuls. Ils sont spongieux, ils prennent tout, ce sont des gens qui sont là pour leurs intérêts personnels, ils ne pensent qu’à leur réélection, ils ne voient que la Corse et les Corses en termes de marchandise électorale, de marchandise pécuniaire. Et pourquoi ? Pour améliorer leur quotidien, le quotidien des leurs, des leurs qui ont fait leurs élections parce qu’il faut rendre à César ce qui est à César, c’est comme ça. Il y a ces mises en examen sur les marchés publics, abus de biens sociaux, tout ça, mais c’est tout à fait normal. Nous étions étonnés qu’il n’y ait pas de mises en examen en Corse. C’est tout à fait normal parce que la force des gens est créée comme ça : ils créent des relais, ils rendent aux gens le service qui leur a été donné. Il y a un marché qui passe dans un village, le maire sait très bien combien il faut que son fils, son petit-fils ou son cousin évalue les travaux. Nous, on va arriver à cinq ou six et s’il y a un centre de 10 MF à faire, on va payer. En effet, nous voulons la sécurité, nous voulons qu’il soit performant. Et c’est comme ça qu’arrive l’appauvrissement de ce pays : le maire téléphone à son copain Coquin, il lui dit : écoute, j’ai ouvert l’enveloppe, tout le monde me propose ça, toi tu vas me proposer ça, alors on propose ça ». Et qui paye ? Les contribuables. Qui en paye les conséquences ? Les contribuables. Seulement, on s’est gavé. Le maire garde sa puissance, le copain Coquin lui aussi est remercié et on est tranquille. C’est comme ça que l’on a un monopole au niveau du bâtiment et il n’y a que ça depuis des années. Si on les écoute, ils vont nous dire franchement : mais c’est normal. Ils vont l’expliquer par A + B.
- Selon vous, comment cela est arrivé ?
Je pense que ça vient de très loin. Je crois que l’on disait déjà en 1913, que la Corse était occupée, était sous le joug des seigneurs. La Corse a toujours été sous le joug des seigneurs parce que la Corse n’a jamais pu s’administrer toute seule. Malheureusement, on ne peut s’administrer que si l’on a la connaissance, que si à un moment donné, on a la force et la conviction. Je pense sincèrement que ça va passer par une révolution, non par les têtes, mais par les consciences culturelles. On ne va pas faire une révolution à la chinoise, mais on va dire aussi qu’au niveau du produit intérieur brut intellectuel, il va falloir que l’on rehausse un tout petit peu le niveau. Il va falloir que tout à chacun fasse un effort, qu’ils se prennent en charge, qu’ils grandissent parce que si on n’y arrive pas, si on ne maîtrise pas tous les éléments, si le seul élément que l’on maîtrise est un élément alimentaire, si la seule chose qu’on se demande est « ch’ aghju dà fà dumane ? Ch’hà dà fà u me figliolu ? U me figliolu hà dà piglià ma piazza à à meria », si ma seule ambition est que mon fils me remplace à la mairie, on ne peut pas y arriver. Et je pense que depuis des décennies, des centaines d’années, on nous a gardés dans cette espèce de léthargie, dans cette bulle. De temps en temps, il y a des gens qui se sont élevés, mais des gens qui revenaient et qui avaient une puissance intellectuelle et culturelle. Pascal Paoli est quelqu’un qui a fait des études, qui revient en se disant : il faut faire quelque chose pour ce pays. C’est pour ça que je lance un appel à la diaspora. Oui, la diaspora est importante, mais pas pour nous faire des soirées corses, ou pour nous dire ce qu’il faut qu’on fasse. Moi, je dis à la diaspora : « aidez-nous, montez des assemblées permanentes là-bas, ouvrez des caisses, prenez de l’argent pour que l’on crée des écoles en Corse, ici. Aidez-nous, aidez-nous parce que vous êtes partis, parce que vous avez été obligés de partir, certains l’ont bien voulu ». Mais ils sont là-bas, ils sont beaucoup et, apparemment, lorsque je les écoute sur R.C.F.M., ils maîtrisent bien mieux que nous parce qu’ils ont cette vue extérieure. Alors, c’est ça qu’il faut leur dire aux gens de la diaspora : AIDEZ-NOUS, MAIS AIDEZ-NOUS par tous les moyens que vous voulez, mais là on ne va pas y arriver parce qu’intellectuellement, culturellement, identitairement, on n’y est pas.
La seule pensée est que l’on a mangé et la suivante est que va-t-on manger.
Lorsque l’on travaille à la mairie d’Ajaccio avec 5 500 F par mois, que l’on a un loyer de 3 000 F et trois enfants... c’est le quotidien de beaucoup de monde. C ’est un système où on te dit : on rentre à la mairie, on ne va rien faire, on ne va pas travailler, on rentre à l’Assemblée : idem. C’est un système où l’on dit tout le temps que même si on est agriculteur, on va toucher la subvention et on ne va rien faire, alors qu’il y en a beaucoup qui travaillent, il y en a beaucoup, les pauvres, qui ont travaillé et qui travaillent encore. C’est vrai, il ne faut pas généraliser, on ne va pas saucissonner tout le temps. Il y a plein de petits détails, plein de choses comme ça, mais il y a aussi des gens qui travaillent, il faut leur dire : travaillons ensemble et surtout, à l’extérieur aidez-nous, si vous voulez nous aider, vous êtes les plus nombreux, aidez-nous ! Vous voulez que la langue corse obtienne le statut de langue nationale de tous les Corses. L’Assemblée a, elle, voté le Corse obligatoire jusqu’à l’entrée en sixième. Qu’en pensez-vous du fait qu’il est par la suite obligatoire à la faculté de Corte ? C’est encore une décision complètement stupide et là alors, on touche vraiment le centre névralgique de l’Assemblée de Corse, ils font n’importe quoi. Sauver la langue corse, c’est sauver quoi ? Soyons sérieux, ce serait sauver quand même une résistance extraordinaire. Depuis le temps, on ne devrait plus parler le Corse. Je dis tout le temps, et ça va paraître simpliste, en 40, la France perd la guerre, les forces démocratiques perdent la guerre, ce sont les nazis qui ont tout ça et puis, l’allemand devient le sport national. Allez, on se projette : 45, l’an 2 250, 250 ans plus tard, je sais pas si on parlerait toujours Français. En Corse, on parle toujours le Corse, on ne l’a jamais écrit, on ne l’a jamais inscrit dans l’éducation et on se parle toujours ! Rien que pour cette résistance, rien que pour ces gens, je sais pas, il y a des gens qui sont à l’Assemblée, qui sont issus de vieilles familles corses, se dire mais quelque part, on va pérenniser la langue de nos parents. C’était sympa quand on arrivait dans le village et que l’on parlait avec les vieux en Corse. J’ai dans mon dos le bilinguisme, la semaine de prévention des toxicomanies « Bouge ta vie, bouge ton corps », on a proposé un double langage : A saluta per piacè. Aussi intéressant que le français, le Corse a double et triple sens : A saluta per piacè, c’est-à-dire « la santé pour plaisir » et « la santé s’il vous plaît », je veux dire c’est énorme et c’est « a saluta » : la santé proprement dite et « a saluta » c’est « comment vas-tu » « a saluta, è saluta », c’est impressionnant. Si on arrive à travailler ça, si on travaille sur la poésie mais si on travaille vraiment ce Corse qui est un Corse social, riche... on peut en tout se référer à l’histoire, à nos ancêtres, à tous les niveaux. Je ne comprends pas pourquoi « ces gens-là », et moi je les appelle ces gens-là et c’est péjoratif, c’est grave ce qu’ils font, comme ils s’autodéterminent. On auto-détruit ses propres racines, on gomme nos parents, nos grands-parents en gommant la langue Corse. Et c’est ce que je voulais dire en préambule, elle est presque morte la langue corse face au libéralisme, face à cet Anglais qui va nous envahir parce que l’Europe va bien être parlée par quelqu’un. On dit qu’il faut une langue économique, qu’il faut une langue qui portera le capital, qu’il faut un langue aussi qui va nous appauvrir. Nous ne sommes pas pour les langues qui vont nous appauvrir. J’aimerais arriver à Nice et entendre parler Niçois, et même si la langue qui va nous véhiculer sera toujours le Français, ce sera sympa. On le parle tous le Français, c’est bien ; ça, c’est peut-être quelque chose qui va passer, c’est une main tendue et on peut garder nos racines, garder notre langue, mais on n’y arrive pas et c’est grave, c’est extrêmement grave. Là aussi, je suis pour une auto-organisation, créer nos structures, des structures privées malgré que je sois un ardent défenseur du public, mais il va falloir créer nos écoles privées, nos écoles bilingues, le bilingue autorisé, l’école Loretto est un site bilingue. Voilà, et on travaille. Apparemment, ils n’ont pas les moyens de formation. Ils voulaient les envoyer en formation pendant les vacances, ça c’est extraordinaire, ça c’est le gros mammouth d’Allègre qui l’avait décidé. On peut partir en formation pendant les vacances. Mais enfin, lorsque l’on connaît la charge de travail qu’ont les instituteurs et les professeurs, ce n’est pas évident. Il faut quand même leur donner le choix d’être plus sereins, donc plus importants. Il va falloir s’inscrire dans la durée là aussi et s’auto-organiser point à la ligne. Et c’est aussi paradoxal d’attendre que Jospin nous demande de parler Corse et de l’écrire.
Il y a une proposition à faire. Il faudrait que tous les mouvements nationaux, nationalistes, autonomistes se mettent à écrire sur le Nice-Matin en Corse, ainsi que tous les syndicats, toutes les associations qui pensent que la langue Corse doit être véhiculée. Il faudrait même faire des articles bilingues, c’est-à-dire commencer un communiqué en corse et le finir en français, le commencer en français et le finir en Corse. Et pour ceux qui ne comprennent pas le corse, ce sera l’occasion de se faire expliquer par le voisin, par le copain, dire : voilà qu’est-ce qu’ils mettent là et on va discuter. C’est ludique tout ça.
- Selon vous, comment le Corse devrait-il être enseigné ?
Il ne faut pas que ce soit trop scolaire car si c’est le cas, ce n’est pas bon. La langue Corse doit être écrite, doit être apprise, mais elle doit être sauvée par l’oralité parce que de toute façon, c’est une langue qui a été parlée tout le temps, chantée, dite. Donc, il faut commencer, je pense, par le début, c’est-à-dire des cours où on parlerait. On peut rentrer le matin « Cumu và ? Và bè. Allora, ch’ai fattu ? », ça peut être ça, ça peut être à un moment donné, un travail typiquement scolaire sur la grammaire, sur les liaisons, la langue corse doit être une langue vivante. On ne va pas y arriver, comment dit-on : la gomme ? le tableau ? On ne peut pas parler comme ça car on a l’air abruti, on est stressé, on se regarde. Non. J’avais un prof d’anglais qui disait : bon allez, on parle anglais, on parle anglais, c’est pas grave, on parle anglais. On arrivait, et on parlait anglais durant tout le cours. On peut parler de sport, de mode, de cinéma... Il y a des gens qui ne vont pas parler, d’autres qui vont parler et se déculpabiliser, parce que l’on culpabilise tout le monde. On leur dit : « Oui, il faut le parler mais bien ». Non, non, il faut le parler, il faut le parler. Et c’est vrai, il va falloir créer, au niveau des jeunes qui travaillent, des associations de défense de la langue Corse. Car on fait une erreur aussi, nous les adultes, les anciens jeunes, on n’arrive pas à dire aux jeunes : qu’est-ce que vous en pensez ? Comment voyez-vous, et pourriez-vous voir le travail de la langue Corse ? Mais si ça ne se passe pas comme ça, on ne va pas avancer. Il faut que ce soit une langue parlée et si ce n’est pas une langue orale, si on ne peut pas parler avec tous et toutes, dire à nostru amigu un pinzutu : allora, cumu và ? Và bè ? il va parler, tout le monde va se mettre à parler et c’est une source d’intégration extraordinaire. En Provence, la source d’intégration, c’est l’accent. On ne s’en aperçoit pas trop, mais l’accent marseillais est quelque chose d’extraordinaire, c’est un passeport. Lorsque je vois ces petits d’origine marocaine qui sont marseillais, parler avec l’accent : « allez pêcheur qu’est-ce que tu me parles ? », je veux dire ça y est, le passeport ils l’ont. Et nous, on peut apprendre le côté très littéraire de la Corse, mais on peut surtout apprendre l’Ajaccien, le Bastiais, le Bonifazincu. Il y a le Français que je sache, avec sa grammaire et il y a le Titi parisien, il y a le Corse aussi, l’Auvergnat « chà alors ch’ti la Marie qu’estèche tu m’dis », c’est du Français, il parle Français à sa manière. Il y a le Français très littéraire et à côté de ça, c’est une langue qui est parlée et qui vit. Lorsque l’on adapte des mots et des sens, c’est bien. Donc la langue Corse, il faut qu’elle soit vivante, il faut qu’elle vive, même dans son adaptation et dans son éducation, il faut que ce soit une langue qui vive ! Et à un moment donné, je pense qu’on la fait vivre petit bras : c’est comme un joueur de tennis qui monte au filet, il ne fait jamais le point. Et certains profs de Corse ne doivent pas se penser autoriser à la faire vivre parce qu’ils se disent dans leurs têtes : c’est déjà perdu.
- Pourquoi ont-ils choisi ce métier alors ?
Car au départ, il y avait une idée généreuse. Ils se disaient : on va y arriver. Il est vrai que la Corse étant une caisse de résonance avec tout ce qui s’est passé, les personnes prennent tout sur leurs épaules. On a cette singularité, c’est que lorsqu’il nous arrive quelque chose, on a l’impression que, et c’est un peu prétentieux, on a l’impression qu’on se prend tous les malheurs de ce pays sur les épaules. Mais on est un petit pays, on a l’impression d’être tous cousins. Alors, quand il nous arrive quelque chose, on prend le coup, on se courbe. On n’est pas sûr de ce qu’on avance, on a moins de certitudes. Elles tombent car le poids est lourd, on est coupable parce qu’on nous rend coupables. Il y a un système qui rend coupable le citoyen en se disant « ah, tu es nationaliste, ah tu es Corse, ah tu es pour la langue Corse ». Mais ça c’est pour tout le monde : le marocain qui veut manger le couscous, ils disent « ah bon », c’est typiquement français, franchouillard, c’est l’esprit à Thierry Rolland ça. Il y a des gens comme Jean Moulin, les Manouchians issus de l’immigration là aussi, qui ont prouvé au monde entier qu’ils pouvaient mourir dans les geôles allemandes qui, paradoxalement, se trouvaient à Paris et à Lyon. Il faut sortir de cet esprit franchouillard où à un moment donné, on culpabilise les gens. Le citoyen est culpabilisé tout le temps et on n’y arrive plus. On n’arrive plus à s’exprimer, on n’est plus adulte. Alors allons-y parlons. Quand j’ai un ami qui est marocain ou musulman, je lui dis : dis-le moi, ne me dis pas « je ne viens pas, parce que vous allez manger du cochon », tu dis « je viens, mais pas de cochon pour moi les gars, vous le savez ». Voilà, ce n’est pas rester dans son coin et laisser le morceau de jambonneau de côté, s’intégrer. Dernièrement, j’ai assisté à une réunion sur la prévention routière. Nous allons mettre en place une navette pour les jeunes aux sorties des boîtes pour réduire les risques. Quelqu’un m’a proposé un concept « t’as bu, prend le bus », bon c’est pas mal. On voulait faire des petits papiers que les jeunes distribueraient en même temps que les affiches annonçant les soirées en boites. Et moi, j’ai proposé un concept qui était « A me manera di camà hè di cherre a vita » (ma manière de vire c’est de choisir la vie) : on met la vie devant tout, on met l’être humain devant tout, ça me paraissait sympa, c’était un peu comme « A saluta per piacè ». Et bien, c’est une Corse qui s’est retournée et qui m’a dit « ah tu ne vas pas nous vendre ton saucisson ». Voilà, bon et là, c’est dur, ça c’est dur. Et le pire, c’est qu’elle n’a pas fait ça méchamment, c’est qu’elle a intégré le fait, comme a été intégré le racisme anti-marocains, anti-maghrébins, on a intégré à un moment donné, le fait qu’on était là pour vendre notre saucisson. Je ne vends pas mon saucisson, je voulais que ce soit un peu sympa et le plus beau, c’est que lorsque j’ai proposé de faire une communication en espagnol, en italien, en anglais, ils se sont tous mis à rire. Je leur ai dit : mais il y a six fois plus de gens en Corse, les accidentés de la route, vous connaissez leurs nationalités. Ils n’ont pas voulu et donc voilà, je ne sais pas qui est ouvert et qui est fermé, ça résume tout.
- Dans cinq mois, les municipales à Ajaccio, préparez-vous une liste ?
On a préparé une liste. Mes amis seraient bien contents que j’y aille moi, comme ça je me fais couper la tête. (rires) Non. Bien sûr, qu’on va préparer une liste.
- Pensez-vous qu’elle aura plus de « succès » que celle présentée lors des élections à l’Assemblée de Corse des 7 et 14 mars 1999 ?
On espère avoir un peu plus de succès. On se pose quand même une question qui est primordiale, il est vrai que nous avons un comportement très atypique parce qu’original, parce que trop intéressant. Ce n’est pas de la condescendance, je veux dire trop intéressant pour l’instant pour une société qui ne prend pas le temps de réfléchir. C’est-à-dire qu’on ne fait pas de raccourci. Pour les Territoriales, on aurait pu se jeter sur Bernard Bonnet, cela aurait été facile : B. Bonnet le salaud, B. Bonnet ceci... On n’a pas voulu faire ça, on a voulu travailler en profondeur en se disant qu’il fallait proposer aussi quelque chose aux gens et surtout, on n’a pas voulu être trop démago. Donc, on ne va pas dire que ça nous a coûté cher, ça nous a coûté le plus petit score des élections territoriales. Mais bon, je pense que, toujours dans cet esprit, et peut-être avec une meilleure communication, avec une meilleure emprise et une meilleure implication, on pourra ramener quelque chose d’intéressant sur la municipalité. Il y a une pensée qui est en mouvement, ce n’est pas si facile que ça parce qu’il y a des mouvements dits nationalistes qui seraient intéressés de travailler avec nous. On travaille associativement avec beaucoup de personnes issues d’autres mouvements nationalistes et on s’entend très bien. Le petit paradoxe est que l’on n’arrive pas trop à se rencontrer, c’est dur de se rencontrer entre mouvements nationalistes parce qu’il y a toujours cette petite guéguerre, ce qui va mieux maintenant. Mais pour Migliacciaru par exemple, le matin lorsque l’on est arrivé, personne ne se touchait la main, il y avait des regards qui frôlaient parfois l’agression, mais bon, je veux dire c’était réciproque. Il y a un manque de confiance, ça c’est clair. Et puis, il faut le dire, il faut aussi avoir le courage de le dire : on ne communique pas, la première communication c’est se toucher la main, se dire bonjour. Ca va mieux, ça va beaucoup mieux mais il y a toujours cette méfiance. Associativement, on se revoie, on travaille beaucoup ensemble et lorsqu’on a la casquette du mouvement politique, du coup il y a une certaine rigidité. Il faudrait arriver à se voir et à travailler au même titre que cette idée associative. Il serait même intéressant de faire une liste unique sur la ville d’Ajaccio, avec évidemment cette pensée novatrice, c’est-à-dire que tous les mouvements puissent se dire qu’il faut tirer un trait avec le passé. Tirer un trait avec le passé c’est tirer un trait avec les personnalités qui sont fortes et qui ont marqué de leur présence, de leurs actes, tout un mouvement. Je ne veux pas les juger, ce n’est pas à moi de les juger, c’est à eux... Je pense que si on faisait l’effort d’être novateur, que ce soit à Bastia, dans les villages, ainsi de suite, en se disant qu’il va falloir présenter d’autres visages car le visage est important. Les gens sont porteurs d’idées, les gens sont porteurs de messages et surtout, de souvenirs. Je pense que lorsque l’on a de mauvais souvenirs de certaines personnes, c’est dur de les accompagner dans les élections. Alors nous, nous sommes pour une liste unitaire. Si ça ne se fait pas comme ça, si ça ne se fait pas dans la plus large idée, progressiste surtout, ce sera dur. J’en reviens à cette loi littoral, j’en reviens au secteur social, à des chois cruciaux qu’il faut faire. Moins certaines organisations feront de choix et plus nous serons tentés de nous éloigner. C’est bien dommage. Si cet effort n’est pas fait, si nous n’arrivons pas, attention nous ne sommes pas demandeurs, nous connaissons nos forces, mais aussi ce n’est pas parce que l’on connaît nos forces qu’on n’a pas beaucoup de forceps. Théoriquement, on a des forceps et idéologiquement, dans la société, ça passe, ça commence à passer. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de forceps, qu’on ne va pas avoir des propositions et se dire aussi : écoutez, essayons de faire mieux. On ira seul, on ira seul mais on ira. On essayera d’élargir aussi... à gauche, tout le temps à gauche, peut-être au centre, au centre gauche avec des gens issus du mouvement associatif, issus de la jeunesse, issus de cette humanité qui a fait ce que nous sommes, c’est-à-dire des seniors. Car il est vrai qu’il faut demander à toute la société de nous aider. On va y aller aux Municipales, sachant très bien que nous, on prend toujours des risques car nous sommes issus de la classe ouvrière. Et ce que personne n’a relevé, c’est que nous étions quand même une liste où il n’y avait que des ouvriers et des employés, des salariés. Nous avons été la première liste à donner le nom d’une femme en tête de liste, c’était Marie-Paule Cesari. Et nous sommes, je pense, la seule liste où il n’y a eu que des salariés, des ouvriers. C’est important et c’est peut-être aussi le résultat, notre résultat est peut-être l’émanation de cette pensée aussi. On a voulu des salariés, des employés, des ouvriers, des artisans, des gens qui sont en prise directe avec la société. Je ne dis pas que les sgio [1] et les bourgeois du coin ne sont pas en prise directe avec la société, mais je dis que pour faire une bonne élection, on vous dit toujours qu’il faut un docteur, un avocat ou un juge à sa tête. Et bien nous, nous avons eu une agricultrice, nous avons eu un prof de Corse très bien connu sur la place et quelqu’un qui a beaucoup lutté pendant longtemps, quelqu’un qui par son intégrité et sa rigueur fait la preuve par A + B qu’on peut être un salarié, un employé, un bon père de famille et vivre. C’est dur, c’est dur de vivre tout ça. C’est dur lorsque l’on est issu d’une classe ouvrière, que l’on a sur ses épaule la chape de la société, de se dire aussi que l’on va prendre cette responsabilité dans une société où l’on vous dit que vous n’avez pas le droit, qu’il y a une erreur de casting. Moi, je pense que c’est une erreur, c’est-à-dire que la plus-value c’était le peuple qui l’avait et on n’essayait pas de se dire : qui va-t-on prendre au sein du peuple, qui va-t-on prendre au sein de nos militants ? Il y a sûrement des gens intéressants, il y en a beaucoup chez les agriculteurs, il y a des gens magnifiques, je veux dire des gens qui travaillent la terre y compris à la Cuncolta, à la Mossa Naziunale, à la Manca Naziunale, il y a des gens extraordinaires qui vivent le quotidien. Non, erreur de casting, il faut prendre un docteur, un juge, il faut prendre un sgio... Voilà !
- Auriez-vous un message à faire passer aux jeunes ?
Allez le plus loin possible, aidez tout le monde, soyez instruits pour les autres, vous serez les porteurs d’espoir. Restez dignes devant tout, soyez forts. D’autres ont eu plus de mal que nous : J. Nicoli, F. Scamaroni, c’est dur, mais ayez le courage de nous sortir quelque chose. Ne vous courbez pas devant les politiques, SOYEZ POLITIQUEMENT INCORRECTS, à un médecin, à un juge, dites Monsieur, car avant d’être un médecin ou un juge, c’est un homme !