Suite à l’interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre de l’enseignement professionnel, par Emmanuel Davidenkoff dans Libé du 4 septembre, voici quelques questions pertinentes et impertinentes, donc publiables.
Quand vous dites, M. Mélenchon, que Diwan « organise toute la scolarité d’un enfant dans une langue », avez-vous pris la peine de vous informer au préalable sur la méthode de l’immersion ? N’avez-vous pas pensé un seul instant que c’est par l’immersion qu’on accueille et éduque en France nos enfants de migrants ? Auriez-vous oublié que c’est par l’immersion que Jules Ferry a fait apprendre le français à tous les enfants de France, Bretons, Occitans, Basques et autres ? Et que la même méthode a servi, de façon autrefois autoritaire et aujourd’hui démocratique, dans les écoles de ce qui fut l’Empire colonial, désormais indépendant ?
Avez-vous pensé aux milliers de coopérants et d’enseignants français détachés dans le vaste monde — nous en fûmes tous les deux — qui ont pratiqué et pratiquent encore l’immersion en faveur du français et à qui vous demandez par votre argumentation de refuser cette même immersion aux langues de France ? Devrions-nous adhérer à ce double langage pour être de bons républicains ?
M. le Ministre, savez-vous que l’immersion des écoles Diwan ne représente pas le tiers des pratiques d’immersion citées ci-dessus ? Savez-vous que Diwan limite l’immersion totale à la maternelle et au Cours préparatoire et qu’ensuite le français reprend une place qu’il n’avait de toutes façons pas perdue à l’oral ? Que la plupart des parents ne savent pas le breton et ne peuvent donc pas « s’impliquer beaucoup », comme vous semblez le croire ? Que le français n’est jamais enseigné à Diwan « comme une langue étrangère », contrairement à ce que vous affirmez ? Et que, même si Diwan en avait la volonté, le français ne pourrait pas arriver « comme langue étrangère » à des enfants encore à l’âge du langage et dont la caractéristique est justement d’acquérir la seconde langue comme une 2e langue maternelle ?
En fin de compte, l’immersion de Diwan se présente comme le contraire même de l’éradication autrefois subie par la langue bretonne : la réappropriation d’une langue sans éradiquer le français pour autant. Ni dans les faits, ni dans les principes ! Les parents des élèves Diwan seraient les premiers surpris d’apprendre qu’ils prêtent la main à une manœuvre d’« extrémistes linguistiques », selon vous. Ils seraient aussi les premiers à retirer leurs enfants de Diwan, si les résultats n’étaient pas aussi bons en français, comme dans le reste.
Vous accusez Diwan d’enfermement et de sectarisme. Voudriez-vous nous expliquer, Monsieur le Ministre, comment une éducation monolingue francophone pourrait être moins « enfermante » qu’une éducation bilingue, dont toutes les évaluations officielles par l’Éducation nationale disent en outre qu’elle est performante ?
Comment pouvez-vous mettre en doute la laïcité des écoles Diwan, dont vous savez parfaitement qu’elles ne sont pas confessionnelles, au moment même où elles plaident pour leur intégration dans l’Éducation nationale ? S’il y avait une volonté sectaire, elles auraient tout fait pour rester sous contrat d’association et garder ainsi un statut dérogatoire confortable ? Mais est-ce peut-être ce que vous leur conseillez ?
Vous assimilez la pédagogie de Diwan « davantage à une pratique sectaire qu’à une pratique éducative ». Pourquoi ? Parce que, dites-vous, « la laïcité, c’est le refus, de la part du service public, de valider quelque option particulière que ce soit ». Vous rendez-vous bien compte que c’est le sectarisme que vous venez de définir ainsi et non la laïcité ?
Car enfin la laïcité, c’est bien l’acceptation des différences dans une neutralité démocratique riche de cette diversité, non ? Qui exclut l’Autre ? Est-ce Diwan en pratiquant l’éducation bilingue précoce, base d’un plurilinguisme qui seul nous préservera d’une langue dominante internationale ? Ou bien le ministre qui refuse à des Bretons motivés l’ouverture de l’école publique aux langues en commençant par leur langue, en voie d’extinction s’ils n’y prenaient garde ?
N’avez-vous pas franchi le pas de trop en amalgamant Diwan avec les « racines historiques sulfureuses de ces fondamentalistes » (dans une allusion transparente à cette poignée de collabos pro-nazis qui avaient cru pouvoir appuyer leur projet séparatiste sur les armées d’occupation) ? Ne s’agit-il pas là de diffamation sur fond d’amalgame ? Ou bien auriez-vous des informations que vous ne nous avez pas livrées ? Cela manque à votre interview.
Dernière question : comment défendre le français dans le monde si l’on n’est pas capable de protéger, voire de favoriser, les langues éradiquées de France ? Comment résister au monolinguisme du « tout-anglais partout », si on a des complaisances avec le monolinguisme chez nous ? Comment être contre l’hégémonie linguistique au-dehors et pour celle-ci au-dedans ? Et comment justifier cette dernière devant nos partenaires européens, auxquels nous ne cessons de répéter que l’uniformisation linguistique n’a aucun avenir démocratique en Europe ?
La défense et la sauvegarde des langues ne peut pas se découper en tranches. C’est un tout ! Nos langues sont nos vies : quand on lâche un morceau, on se prépare à abandonner tout. Tant qu’il y a des locuteurs, ils ont un droit sacré à leur langue. Et nous, les autres, avons un devoir de solidarité des grandes langues envers les petites. Le français sera le rempart des langues les moins répandues ou, s’il manque à mener ce combat, il finira par disparaître à son tour.
C’est le mérite et l’honneur de notre Ministre Jack Lang d’avoir compris que la seule clé universelle, c’est le plurilinguisme, fondé sur les acquisitions précoces. Bravo à Jack Lang pour cette ouverture d’esprit à la fois républicaine et internationaliste qui prépare pour dans 20 ans des citoyens français riches de leurs divers plurilinguismes. Il ne sombre pas, lui, dans la Mélencholie !