Conférence recherche consensus désespérement

, par AGUITON Christophe

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Alors que la conférence de Copenhague semble sur le point de sombrer, il peut être utile d’essayer de comprendre comment fonctionne ce type de mega-sommet.

Comment aboutir in fine à un accord avec 192 pays et 45 000 personnes représentants les gouvernements, les ONGs, les mouvements sociaux et les scientifiques ?

La « COP » (Conference of Parties) est une conférence de l’ONU qui a pour objectif un traité international qui sera signé par les chefs d’États et de gouvernements du maximum de pays possible. A priori donc une négociation interétatique classique dans laquelle seuls les gouvernements ont leur mot à dire. Les choses sont en fait plus compliquées que cela...

Le rôle du GIEC, le « Groupe d’expert Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat »

Premier élément inhabituel, qui s’explique par l’importance des analyses scientifiques sur un sujet aussi complexe que l’évolution du climat et ses conséquences probables, l’existence d’un organisme ad hoc, le GIEC, dont les rapports et les préconisations sont le soubassement des négociations en cours. Le GIEC fonctionne comme un organe hybride où les scientifiques jouent un rôle clé mais où les états sont représentés en tant que tel et jouent un rôle important dans l’adoption des rapports et préconisations.

Les « observateurs »

Les réunions des COP et des conférences préparatoires sont ouvertes à de nombreux observateurs qui jouent un rôle non négligeable dans les débats et les prises de positions. Il y a tout d’abord les différents membres de la « famille » ONU, PNUD, CNUSED, etc., s’y rajoute 67 IGOs les organisations intergouvernementales telles que l’OCDE ou la Banque Mondiale et surtout 985 ONGs.

Ces ONGs sont elles-mêmes regroupées en différents groupes d’intérêt : les “BINGOs”, Business et Industries, où l’on retrouve les chambres de commerce et organisations patronales, les “RINGOs” pour les organismes de recherche, “IPO” pour les peuples indigènes, “TUNGOs” pour les syndicats regroupés dans la Confédération Syndicale Internationale, “LGMA” pour les collectivités locales, les “ENGOs” pour les associations et groupes militants sur les questions environnementales et 3 groupes non encore officiellement reconnus mais qui sont accrédités comme les autres, “YOUNGOs” pour les organisations de jeunesse, “Farmers” pour les organisations paysannes et “Women & Gender” pour une coalition féministe.

Le nombre croissant des ONGs et le caractère mouvant de leur composition ne permet plus à l’ONU de décider de la représentativité de chacun. Chaque « groupe d’intérêt » autogère ses interventions dans les commissions thématiques ou dans les réunions plénières, la gestion des salles et espaces alloués dans les centres de conférence et enfin la répartition des places quand le nombre de représentants est limité.

Les ENGOs, le groupe des ONGs militant sur les questions environnementales comporte 2 coalitions : “CAN” (Climate Action Network) et “CJN !” (Climate Justice Now !). CAN est la coalition historique, elle regroupe les principales grosses ONGs environnementales internationales, comme GreenPeace et WWF.

CJN ! est beaucoup plus récente. Cette coalition s’est créée à Bali, en décembre 2007, avec l’objectif de lier fortement les questions sociales et les questions environnementales. Elle regroupe les Amis de la Terre, Via Campesina, l’organisation internationale qui regroupe des syndicats de petits paysans, comme la Confédération Paysannes en France, ATTAC et beaucoup de mouvements sociaux qui participent de la mouvance altermondialiste. Ces deux coalitions doivent s’entendre pour partager les ressources mises à dispositions par l’ONU et les interventions publiques : la grande salle de réunion commune est ainsi réservée pour CJN ! le matin et CAN l’après midi ; quand il n’y a plus que 300 représentants des ONGs admises en session plénière, 100 sont pour les ENGOS. Elles sont alors partagées moitié/moitié, etc. Dans un second temps, ces coalitions répartissent à leur tour entre leurs membres les temps de parole et les places disponibles.

Alliances, mobilisation des opinions publiques, consensus...

L’ensemble de ces acteurs se rencontrent, cherchent à s’influencer, utilisant toute une panoplie de moyen d’actions pour faire pencher les choses en leur faveur.

La règle du jeu est simple : l’accord final devant se décider au consensus, chaque acteur – et surtout les états – doit peser ses capacités de faire jouer son droit de véto et calculer ce qu’il lui en coûterait de le faire. Émettre un refus – un véto – est une prise de risque, l’accord pouvant se faire sans le pays considéré ou contre la position de l’acteur de la société civile impliqué dans la discussion. En pratique, cela donne un pouvoir considérable aux pays les plus pollueurs, États-Unis et Chine au premier plan : un accord sans eux n’aurait que peu de sens et obligerait les autres à des alliances qui deviennent obligatoires pour peser par le poids de leurs vétos cumulés.

C’est cette nécessité qui explique la solidité du groupe des 77, qui regroupe en fait plus de 100 pays du Sud qui ont beaucoup de désaccords entre eux et que certains pays du Nord, à commencer par la France, voudraient bien voir se diviser. Le consensus donne un pouvoir énorme aux « grands », mais permet à certains « petits » de peser par le poids symbolique qu’ils peuvent représenter : on a ainsi vu Tuvalu, un micro-État du Pacifique menacé de disparition, bloquer à deux reprises le processus de négociation. Et chacun sait qu’un accord sur les forêts (négociation connue sous le nom de REDD) serait impossible si la coalition des peuples indigènes s’y opposait frontalement...

Pour faire avancer les causes qu’ils soutiennent, les acteurs tissent des alliances – dans une première période CAN a été proche des positions de l’Union Européenne et CJN ! a des liens avec les Boliviens et latino-américains de l’ALBA ou certains Etats du Pacifique – et utilisent différents moyens pour convaincre l’opinion publique (réunions des gouvernements avec les ressortissants de leurs pays, conférences de presse, etc.)

Il faut aussi du liant pour que tout cela fonctionne. À Copenhague, on croise des personnes -ressources qui jouent de leur influence, Al Gore, Yann Arthus-Bertrand, Naomi Klein ou John Kerry, et surtout des centaines de « passeurs » qui évoluent d’un monde à l’autre. Les délégations gouvernementales ont dans leur sein des syndicalistes, des chefs d’entreprises ou des responsables d’ONG, les journalistes cherchent eux des informations mais en fournissent aussi à leurs interlocuteurs, la généralisation du wifi permettant à l’information de circuler en temps réel et aux personnes présentes de communiquer entre elles en permanence.

P.-S.

Article paru sur le blog Copenhague, le blog off.

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