La conception marxiste des classes sociales est passée de mode, y compris dans une partie de ce qu’il est convenu d’appeler le « mouvement social ». Certes, certains chercheurs font encore explicitement des « ouvriers » et des « bourgeois », l’objet de leurs travaux. Mais le langage courant, même militant, n’a plus guère recours à ce vocabulaire. Roland Barthes, dans Mythologies expliquait que « la bourgeoisie se définit comme la classe qui ne veut pas être nommée », cela demeure vrai mais, de plus, aujourd’hui, les « ouvriers », les « travailleurs » sont ceux que l’on ne peut nommer sous peine de prendre le risque de se voir taxer d’incompréhension du monde réel. Il n’est donc pas sans intérêt de revenir sur la pertinence de ce qui constitue un des « noyaux durs » du marxisme : l’articulation entre le fonctionnement du système économique et la structuration de la société.
« Après une période de purgatoire, des objets démodés peuvent retrouver une jeunesse inattendue, ce dont nous pourrons juger dans quelques années », ainsi se concluait un article paru en octobre 2001 consacré au « retour des classes sociales [1] ». Quelques mois après, les classes étaient effectivement de retour dans les champs politique et journalistique français après toute une période où, même dans certains milieux progressistes, avait prévalu une vision où, de façon très schématique, la société se divisait en « exclus » (à plaindre), « classes moyennes » (à ne pas décourager) et très riches (tellement peu nombreux qu’il ne valait pas la peine de s’en occuper). Si on veut aller au-delà du point de vue journalistique, il convient de revenir sur les fondements de la notion de classe. Nous trouvons-nous face à des empilements de strates que l’observateur construit en fonction des critères qui lui semblent les plus pertinents ou bien s’agit-il, au moins pour les classes fondamentales, de « groupes » dont l’existence est au premier chef fondée par leur position au sein du système économique et qui ont entre eux des relations conflictuelles ?
Il n’est certes pas besoin de théorie de l’exploitation, ni de théorie tout court d’ailleurs pour découper une population en tranches : il suffit d’avoir une représentation quelconque du réel et d’en tirer un critère (ou des critères) considéré(s) comme pertinent(s). Il n’est pas besoin non plus de la plus-value pour penser que certains ne bénéficient pas du fruit de leur travail. Il n’est pas besoin enfin de théorie articulée de l’organisation sociale pour considérer non seulement que l’ordre des choses est injuste mais pour vouloir y substituer un ordre différent. Mais toutes ces notions « démodées » constituent néanmoins une boussole, imparfaite mais utile, voire indispensable.
L’exploitation, un rapport structurant mais non exclusif
On sait que, pour Marx, c’est l’apparition d’un surproduit social qui permet la division sociale du travail, celle-ci est le prélude à l’apparition des sociétés de classes. L’exploitation des producteurs directs par une classe/couche dominante a pris des formes très différenciées à travers l’histoire depuis les formations sociales classées sous l’expression « mode de production asiatique », à l’esclavage, au servage jusqu’au salariat moderne [2]. Pour Marx, ce rapport est structurant, c’est-à-dire qu’il gouverne l’« économique » et le « social ». Les classes sociales fondamentales se définissent par leur place dans ce mécanisme. Elles n’existent pas de façon isolée mais en rapport avec la classe antagonique : il n’y a pas dans le capitalisme de bourgeoisie sans prolétariat et on ne peut analyser le prolétariat indépendamment de son rapport à la bourgeoisie.
Reconnaître le lien déterminant entre exploitation et organisation des classes sociales fondamentales, ne signifie pas en faire un principe exclusif. D’autres principes structurants sont visibles dans toutes les sociétés et s’articulent de façon différenciée avec le principe essentiel :
— l’observation des sociétés pré-modernes montre ainsi une division du groupe dominant entre « clercs » et « guerriers » assez largement répandue ;
le développement d’États à la superficie importante génère des bureaucraties spécialisées ;
— la division hommes-femmes, enfin, parcourt toutes les sociétés connues et se traduit généralement par une oppression des femmes, sexuelle, sociale et économique ;
— les classes fondamentales et les « groupes » que nous venons de nommer (c’est à dessein que nous utilisons ce terme neutre) peuvent être parcourus de clivages profonds : nationaux, « raciaux » et religieux.
Par ailleurs, une formation économico-sociale concrète est le produit d’une histoire : on y retrouve des groupes sociaux (classes ou fragments de classe) qui relèvent de formes de production à l’importance aujourd’hui restreinte, les équilibres entre les composantes de la classe dominante peuvent renvoyer à l’histoire économique (le poids particulier de la bourgeoisie financière en Grande-Bretagne en constitue un exemple), l’histoire politique a un rôle important dans la constitution et l’expansion de la bureaucratie étatique (ainsi que le montre de manière saisissante Marx à propos de la machine étatique française [3]).
Enfin, le capitalisme lui-même produit des différenciations fonctionnelles au sein de la classe dominante (entre capitalismes industriel, financier et commercial) et, par ailleurs, crée des couches de salariés autres que la classe ouvrière (traditionnelle, mais nous reviendrons ci-dessous sur leur rapport à une classe ouvrière « élargie »). Il s’agit non seulement du développement d’une couche d’ingénieurs et de contre-maîtres mais aussi des salariés nécessaires à la réalisation de la plus-value : Marx analyse ainsi dans Le Capital, l’émergence des salariés du secteur commercial [4]. Dans le cinquante-deuxième chapitre (inachevé) du Capital consacré aux classes sociales, Marx note que, même en Angleterre, « la division en classes n’apparaît pas sous une forme pure [5] ». Ainsi que le résume Daniel Bensaïd, « la formation sociale réelle ne se réduit jamais à la charpente dénudée du mode de production [6] ».
On peut donc distinguer au sein d’une formation sociale, une pluralité de « groupes » sociaux : les deux classes sociales fondamentales qui se définissent par leur opposition (mais peuvent être fragmentées en « sous-classes ») et d’autres groupes dont la similitude des conditions économiques et des modes de vie ne suffisent pas forcément à les constituer en classes ; on retrouve là le développement de Marx sur les « paysans parcellaires » : « Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs intérêts, leur culture de ceux des autres classes de la société à ceux des autres classes, elles constituent une classe. Mais elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne créé entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale, ni aucune organisation politique [7] ». On a pu transposer cette analyse à une partie de ce que l’on désigne actuellement par l’expression « classes moyennes [8] ». Malgré les généralisations rapides qui ressurgissent périodiquement, lesdites classes moyennes ne constituent pas vraiment une classe. En raison, tout d’abord de leur hétérogénéité. Les sommets des classes moyennes (salariées ou membres des professions libérales) touchent à la bourgeoisie patrimoniale tandis que d’autres fractions connaissent de tout temps des situations objectives très différentes ou bien ressentent aujourd’hui un déclassement social où se mélangent éléments subjectifs et objectifs [9]. Il est classique d’insister sur cette disparité des conditions, il faudrait sans doute aussi, pour les classes moyennes salariées et dans un pays à fonction publique importante comme la France, prendre également en considération les différences introduites par la nature de l’employeur (privé ou public). Il conviendrait également de tenir compte de l’isolement (là aussi objectif ou subjectif) que les membres des classes moyennes vivent souvent dans leur travail et de l’attachement accordé à la constitution d’un patrimoine (de consommation et non de rapport pour l’essentiel). Tous ces éléments, différemment dosés selon les situations, amènent les classes moyennes à hésiter entre l’affirmation d’une « identité » ou l’éclatement par attirance vers l’un ou l’autre pôle.
Continuité et transformation des classes fondamentales
Si elle ne permet pas de saisir toute la complexité d’une formation sociale, d’autant que celle-ci doit être envisagée de manière dynamique, la notion d’exploitation constitue cependant un instrument essentiel de sa compréhension et de la logique de l’évolution du capitalisme en tant que système économique. Dans un ouvrage, par ailleurs fort intéressant, sur la mondialisation [10], l’économiste polonais Zygmunt Bauman croit pouvoir affirmer que « la création de richesses est sur le point de s’émanciper de son lien traditionnel — ô combien contraignant et pénible — avec la production de biens, le traitement des matériaux, la création d’emplois et la direction des hommes. Les anciens riches avaient besoin des pauvres pour devenir riches et le rester… Les nouveaux riches n’ont plus besoin des pauvres ». Outre la confusion entre exploitation et pauvreté sur laquelle nous reviendrons, il apparaît que le retournement des marchés financiers a fait justice des illusions sur le capitalisme virtuel, générant sans limite revenus et patrimoines accrus. Derrière la sophistication des marchés financiers, il y a la production et l’accumulation et les rapports de classe.
Les deux classes fondamentales restent structurées par leur rapport aux moyens de production. L’existence de groupes sociaux intermédiaires (héritage ou non d’époques antérieures du capitalisme) et la prégnance du chômage de masse (cause principale de l’« exclusion », terme par ailleurs porteur de lourdes équivoques) ne remettent pas en cause sur le principe cette polarisation, non plus que la fragmentation des statuts d’emploi au sein du salariat. Les classes fondamentales du présent, si elles demeurent les mêmes que celles de Marx, ont cependant évolué dans leur composition et délimitation.
La bourgeoisie capitaliste peut être caractérisée comme la classe qui, au niveau économique, combine simultanément trois pouvoirs : le pouvoir de prélèvement sur les résultats de l’activité, les pouvoirs d’affectation et de gestion des moyens de production [11]. Ces pouvoirs sont liés à la propriété privée des moyens de production. Les pouvoirs de gestion, voire d’affectation (dans certaines limites) peuvent être délégués à des cadres salariés : le phénomène est bien réel, une abondante et contradictoire littérature existe sur le degré d’autonomie de ces « managers » vis-à-vis des actionnaires. Quant au pouvoir de prélèvement, il est bien souvent sous-estimé ou bien il est présenté comme lié à une voracité spécifique de la « finance » dans un nouveau capitalisme qualifié de « patrimonial » comme si l’ancien ne l’avait pas été (avec des modalités différentes). En opposition avec cette vision, on notera les remarques stimulantes de M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot : « les discours sur les managers comme nouveaux maîtres de l’économie, puis celui sur les investisseurs institutionnels (fonds de pension et mutual funds anglo-saxons) tendent à escamoter les bourgeois et leurs familles en tant que véritables bénéficiaires des prélèvements sur les richesses produites. Tout est fait aujourd’hui pour occulter les intérêts attachés à tel ou tel patronyme au bénéfice d’organigrammes abstraits qui laissent penser à une diffusion sans principe et sans limites de la propriété du capital [12] ». À côté de son « noyau dur », la bourgeoisie moderne comprend un versant salarié de membres des professions libérales et de cadres supérieurs des entreprises et de l’État, qui tirent assez fréquemment par ailleurs une part de leurs revenus de leur lien avec la propriété : il existe une liaison assez forte entre montant du revenu et montant du patrimoine [13], et parmi les ménages les plus fortunés, la part du patrimoine de rapport (actifs financiers, immobilier de rapport) est supérieure à celle du patrimoine domestique [14].
Mais ce sont les transformations du prolétariat qui ont suscité le plus de controverses parmi les marxistes. Compte tenu des évolutions des processus productifs et des conditions de travail et de rémunération, le prolétariat moderne doit être élargi à l’essentiel des employés et des techniciens ainsi qu’à une partie des professions intermédiaires. Ces catégories ne sont pas toujours productrices de plus-value mais, comme l’expliquait Marx à propos des salariés du secteur commercial, ce type de salarié « rapporte au capitaliste, non parce qu’il crée directement de la plus-value, mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en accomplissant du travail en partie non-payé [15] ». Il est à remarquer que Engels utilise l’expression « prolétariat commercial » à propos des salariés du commerce dans une note au troisième livre du Capital publié en 1894, note dans laquelle il explique que les prévisions de Marx (écrites en 1865) relatives à la dégradation de leurs conditions de rémunération se sont depuis vérifiées. Au sein de ce prolétariat élargi les ouvriers conservent cependant une place particulière et ne constituent pas une espèce en voie de disparition [16] dont les tenants d’une transformation de la société pourraient se désintéresser. À partir du moment où il y a accord pour ne pas limiter le prolétariat aux ouvriers d’industrie, sauf à tomber dans une manie classificatoire (qui n’a pas épargné certains marxistes), le problème de la délimitation stricte des frontières ne présente qu’un intérêt relatif : les classes sont des réalités dynamiques dont la capacité à polariser et à intégrer à leur marge dépend de l’évolution des processus sociaux.
Les exploités ne sont pas des « pauvres »
L’utilisation adéquate de la notion d’exploitation pour l’analyse sociale suppose cependant de revenir à l’analyse marxiste de l’exploitation capitaliste et de rompre avec le sens courant du terme : le capital est « assoiffé de plus-value » mais le capitaliste achète la force de travail à sa valeur, qui correspond à la valeur des biens — matériels et immatériels — nécessaires à sa production et à sa reproduction [17]. La valeur de la force de travail a bien entendu un contenu social et historique et, par ailleurs, les conditions de son achat se situent (comme d’ailleurs bon nombre de transactions marchandes) dans un contexte marqué par des rapports de force. Les exploités ne sont pas les mieux lotis d’une société ; Marx n’a cependant jamais soutenu que la position de travailleur exploité et producteur de plus-value était « la pire » qui pouvait exister dans la société capitaliste moderne, la situation des « lumpen-prolétaires » et de certains paysans pouvait être plus difficile. L’enjeu est ailleurs que dans le niveau de misère : il se trouve dans la place objective dans les combats sociaux fondamentaux. Les exploités ne se définissent pas comme « pauvres » mais comme producteurs de valeur. L’analyse des rapports hommes-femmes apparaît importante pour éclairer cette problématique. Il est largement reconnu aujourd’hui que l’oppression est une dimension permanente des rapports hommes-femmes mais il y a débat sur le caractère opératoire de la notion d’exploitation pour comprendre ces rapports.
L’exploitation des femmes apparaît en fait comme une réalité non permanente. Dans certaines sociétés agraires, la division du travail entre hommes et femmes paraît être telle que l’on peut parler d’une exploitation collective des femmes par les hommes. Dans la société féodale, la famille paysanne, homme et femme, est exploitée par le « seigneur » (pour utiliser le vocabulaire courant). Dans la petite production marchande, il peut y avoir travail exploité de la femme au profit du mari de fait « chef d’entreprise ». Dans la société salariale moderne, la participation à une sphère productive distincte de la sphère domestique se généralise (pour les hommes d’abord et aujourd’hui pour les femmes) mais qu’en est-il de la nature du travail féminin, producteur de valeurs d’usage, dans le cadre du « foyer » ? Il est clair qu’il y a surtravail, on peut même penser qu’il y a, dans certains cas, « exploitation » — non-capitaliste [18] — mais cela ne fait pas du rapport homme-femme un rapport structurant du capitalisme de même nature que le rapport salariés-patrons. Pour résumer au risque d’être caricatural, dans le capitalisme moderne, les femmes sont collectivement et individuellement opprimées, les femmes salariées sont exploitées (parfois plus que les hommes du fait de l’inégalité entre salaires masculins et féminins), certaines femmes sont exploitées par leur compagnon. Soutenir que le rapport homme-femme ne ressort pas globalement de la catégorie exploitation n’enjolive cependant en rien la situation des femmes ni ne minimise l’importance d’un mouvement organisé des femmes pour une véritable émancipation.
Classe et conscience de classe
Il importe par ailleurs de revenir sur la lutte des classes. Elle est souvent réduite à l’affrontement des dominés contre les dominants. En fait, ces derniers mènent un combat de tous les instants pour conforter, élargir ou renouveler l’exploitation. Des économistes radicaux américains ont ainsi soutenu qu’un certain nombre d’innovations majeures (comme la mise en œuvre du taylorisme) répondaient, non à des nécessités techniques mais à des stratégies politiques visant à réduire la puissance des ouvriers de métier. Une étude américaine sur la genèse de la machine-outil à commande numérique montre que la solution technique finalement adoptée n’a dépendu que dans une certaine mesure de la préoccupation d’efficacité économique [19]. Le recours massif et permanent à l’intérim dans un certain nombre d’entreprises, malgré un coût de l’heure de travail pas toujours inférieur à celui d’un CDI [20], renvoie aussi au conflit de classe : il s’agit non seulement de disposer d’une main d’œuvre dont le volume peut être adapté aux à-coups de la production mais aussi d’introduire dans les ateliers des ouvriers qui ne font pas grève et ne sont pratiquement jamais malades. Le patronat apprend, lui aussi, des conflits sociaux. Il a notamment tiré les conséquences des luttes majeures des années soixante et soixante-dix : la volonté de renforcer l’hétérogénéité parmi les salariés est sans doute à prendre en compte lorsque l’on étudie l’évolution de l’organisation du travail et du recours à la sous-traitance dans les vingt dernières années.
Cependant, l’impression d’émiettement des dominés dans le monde actuel ne renvoie pas seulement à cette action des dominants, il y a effectivement recul global du sentiment collectif, des solidarités, du degré d’organisation, du sentiment d’appartenir à la classe ouvrière. Les raisons de cette évolution sont diverses et leur étude excèderait le cadre de cet article. Or, la communauté de situation ne revient pas à constituer une classe au sens plein du terme, capable d’agir de façon indépendante : une classe « pour soi », tout au plus une classe « en soi ». Cette distinction était soulignée par Marx dès 1847 : « Les conditions économiques avaient déjà transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi cette masse est déjà une classe du point de vue du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte, cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même [21] ». À cet égard, M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot insistent sur la dissymétrie présente entre bourgeoisie et classe populaire : « Les classes populaires ne forment plus un groupe conscient et solidaire comme la grande bourgeoisie… La bourgeoisie est bien toujours là, fidèle à la position, dominante. Classe en soi et classe pour soi, elle est la seule aujourd’hui à prendre ce caractère qui fait la classe réelle, à savoir d’être mobilisée [22] ».
Même si elle a pu être critiquée, la dialectique de l’en-soi et du pour-soi est importante pour la compréhension du présent et des tâches assignées à ceux qui ne résignent pas à l’ordre du monde. Comme hier, la bourgeoisie « ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production, c’est-à-dire tout l’ensemble des rapports sociaux ». Ce faisant, elle disloque mais reproduit le prolétariat, « classe des ouvriers modernes, qui ne vivent qu’en trouvant du travail et qui n’en trouvent que si le travail accroît le capital [23] ». La compréhension de l’existence d’une classe prolétarienne « en soi », désagrégée mais présente, donne une base objective au projet émancipateur (qui, sans cela, ne reposerait plus que sur des aspirations morales) et, loin de conduire à un projet exclusivement partidaire, assigne simultanément des objectifs de reconstruction des solidarités sociales et politiques.