« Si l’on veut que l’Europe contribue à changer la planète cela passe par la sortie du capitalisme »

, par LÖWY Michael

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Michaël Löwy est philosophe, directeur de recherches émérite au CNRS. Ce franco-brésilien défend depuis 2001 le concept d’écosocialisme, notamment au sein du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et de sa commission écologie. Minoritaire sur cette position, il présente ici les convergences internes à son parti et les divergences avec les autres forces politiques écologistes. D’ailleurs, mais la confrontation de ses propos avec les autres textes du dossier nous montre peut-être des convergences futures.

  • EcoRev’ : Les partis de la gauche anticapitaliste abordent ces élections européennes en ordre dispersé, sans parler d’un rapprochement éventuel avec les écologistes. Le regrettez-vous ?

Michaël Löwy – D’abord je tiens à dire que l’écologie n’est pas une affaire européenne, mais planétaire. Il est très important que le mouvement écologiste européen se lie à la mobilisation altermondialiste et le Forum social mondial de Belém, au Brésil, a été un moment important pour cela. L’Amazonie a été au centre du débat, avec une forte convergence des revendications écologistes et pour les droits indigènes, débouchant sur un mot d’ordre : la déforestation zéro, tout de suite. Cela suppose une bagarre contre les latifundiaires [1], les éleveurs, les producteurs de soja et les multinationales... et donc une forte pression locale des mouvements sociaux. Nous avons affaire à une convergence des crises, formant une crise de civilisation, celle du modèle industriel, occidental et productiviste. Selon l’AG des mouvements sociaux de Belém, le responsable de cette crise est le système capitaliste. Pour revenir à votre question, la dispersion de la gauche antilibérale et potentiellement anticapitaliste aux élections est donc regrettable, car nous risquons de ne pas avoir d’élus. Le NPA aurait pu avoir une attitude plus ouverte envers le Front de gauche. Mais nous ne devons pas mythifier l’importance du Parlement européen, dont les pouvoirs sont limités. Quant à la liste Europe écologie, elle est très hétérogène et comporte des candidats proches de nos positions, mais aussi des sociaux libéraux qui ne mettent pas en question le capitalisme ni même les logiques libérales, notamment les Verts français ou allemands, avec lesquels une alliance du NPA n’est pas pensable. Nous aurions pu en revanche nous rapprocher des décroissants ou de certains membres d’Europe Écologie, comme José Bové, malheureusement cela ne s’est pas fait.

  • Mais si des députés NPA sont élus, ils siègeront aux côtés de forces productivistes membres de la Gauche Unitaire Européenne (GUE)...

La question de l’inscription à un groupe est purement technique. Nous avons beaucoup de désaccords avec certains partis de la GUE, notamment les communistes. Mais nous sommes plus proches d’eux sur les questions sociales que du parti Vert européen, dominé par des courants libéraux, sauf en Angleterre. Pour les Grünen toutes les réformes possibles s’inscrivent dans la logique de l’économie de marché. Par exemple le protocole de Kyoto, dont le marché des droits de polluer, les mécanismes de développement propre, permettent de contourner les changements structurels nécessaires dans les pays du Nord. On ne peut pas se satisfaire de cela si on veut éviter le désastre. James Hansen, scientifique de la Nasa, est hostile à la création d’un marché de permis de polluer aux États-Unis pour cette raison, car nous n’avons plus que 10 ou 15 ans pour changer radicalement de paradigme. Mais cela ne nous empêche pas de faire ponctuellement alliance avec le parti Vert européen, sur la question du nucléaire par exemple. Nous essayons de faire le pont entre mouvements sociaux et écologistes et de convaincre les syndicats de l’importance de l’écologie.

  • L’Union Européenne vous semble-t-elle réformable ? Adhérez vous à un projet de Constituante ?

Si on veut que l’Europe contribue à sauver la planète, cela passe par la sortie du capitalisme, comme le dit Hervé Kempf dans son très beau livre [NDLR : voir notre critique dans la rubrique Lectures]. Nous voulons une Europe sociale, écologiste et démocratique, et nous sommes pour une vraie assemblée constituante européenne, démocratiquement élue, qui puisse exprimer le sentiment des populations. Mais ce qui en sortira dépendra du fait que les gens soient mobilisés et conscientisés. Réformer l’Europe passe par les institutions, mais surtout par les luttes des peuples sur des objectifs concrets. On doit par exemple demander une baisse drastique des transports routiers, en coupant les subsides accordés à ces entreprises et en exigeant des conditions de travail dignes pour leurs personnels. La commission européenne n’est pas disposée à le faire, ni à imposer un moratoire sur les centrales thermiques au charbon, comme le demande James Hansen. Sauf si une pression sociale l’oblige à le faire.

  • Molex, Continental... Les plans sociaux qui font polémique actuellement concernent des entreprises de l’automobile ou ses sous-traitants. Un secteur dont le déclin est plutôt une bonne nouvelle d’un point de vue écologiste. Comment le NPA concilie-t-il intérêts des travailleurs et écologie ?

C’est un vrai problème qui fait débat entre les commissions « écologie » et « entreprises » du parti, pour parvenir à une position commune. Notre mot d’ordre est : « pas de licenciement, ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise ». Les industries privées doivent assumer les restructurations en garantissant l’emploi des gens : si vous n’arrivez plus à vendre de 4X4, produisez des tramways, des métros... Ces reconversions doivent être menées par les entreprises. En cas de fermeture, elles devront être nationalisées et constituer un service public de production des transports, orienté vers des objectifs sociaux et écologiques, pas vers la compétitivité et le profit.

  • Quelle différence faites vous entre écosocialisme et écologie politique ?

Le concept d’écologie politique est, selon moi, très large. Ceux qui pensent que l’écologie ne doit pas seulement être une science vont des Verts à la Décroissance, en passant par l’écosocialisme, qui en serait une des formes les plus radicales. Une écologie qui ne serait pas sociale ou un socialisme qui ne serait pas écologiste seraient selon nous mutilés, l’une ne va pas sans l’autre. L’écosocialisme est à la fois une pratique et une critique de l’écologie politique. Nous devons ainsi faire un bilan de l’action des Verts aux gouvernements, où ils ont pensé pouvoir contourner le capitalisme ou le rendre moins productiviste, et ont ignoré la lutte des classes. De même, un paradigme nouveau implique une analyse critique du rouge, des mouvements ouvriers et de ses courants dominants allergiques à l’écologie, que ce soit le communisme stalinien ou la social-démocratie. On ne peut pas, comme le souhaite Alain Lipietz, passer du rouge au vert. Cela signifierait faire table rase des acquis du marxisme, des programmes sociaux et des luttes, alors que nous avons besoin d’une critique de ces théories sur le développement des forces productives.

  • L’écosocialisme ne s’est pas imposé comme l’objectif de référence du NPA. Comment le promouvoir ?

Le NPA a préféré le terme plus général de « socialisme du XXIe siècle », mais l’écosocialisme reste une de ses définitions retenues et fait partie de son programme. Il suscite c’est vrai des résistances de la part des marxistes les plus traditionnels. Nous avons toutefois lancé à Belém, lors du Forum social, un appel pour transcender les courants, ainsi qu’un réseau pluri-partisan, implanté au Brésil, en Grèce, en Turquie... En France, nous avons le projet d’un réseau ouvert à des adhérents de tous les partis, comme aux militants inscrits dans aucune formation.