Les scientifiques du monde entier, dans les derniers rapports du GIEC, sonnent l’alarme : le CO2 ne cesse de s’accumuler dans l’atmosphère, les calottes glaciaires reculent, le niveau de la mer augmente, les incendies et les ouragans se multiplient. Si l’on ne change pas radicalement d’orientation dans la prochaine décennie, on pourra difficilement empêcher l’élévation de la température de la planète au-delà de 1,5° C (par rapport à la période préindustrielle). Or, une fois cette limite passée, un processus de réactions en chaîne risque de se déclencher, conduisant à des augmentations de 2-3° C ou plus, dans une spirale catastrophique menaçant les fondements même de la vie sur Terre. Contrairement aux « collapsologues », qui proclament avec un fatalisme résigné que les jeux sont faits, que le désastre est inévitable et que la seule chose à faire est de s’adapter, nous croyons qu’il faut se battre pour éviter le « collapse ». Comme le disait Bertolt Brecht, celui qui lutte peut perdre ; celui qui ne lutte pas a déjà perdu.
Qui est responsable de cette descente aux enfers ? Le pape François n’utilise pas le mot « capitalisme », mais ne dénonce pas moins, dans son encyclique Laudato si, un
système mondial, dans lequel prédominent une spéculation et une recherche de revenus financiers qui tendent à ignorer tout contexte et effets sur la dignité humaine et l’environnement. Il apparaît ainsi que la dégradation de l’environnement et la dégradation humaine et éthique sont intimement liées.
Il s’agit, ajoute-t-il dans cette encyclique de 2015, d’« un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers ». L’obsession d’une croissance sans limite, le consumérisme, la technocratie, la domination absolue de la finance et la déification du marché sont autant de caractéristiques perverses du système. Dans une logique destructrice, observe le pape, tout se réduit au marché et au « calcul financier des coûts et bénéfices ». Or, il faut comprendre que « l’environnement est un de ces biens que les mécanismes du marché sont incapables de défendre ou promouvoir convenablement ». Le marché est incapable de tenir compte des valeurs qualitatives, éthiques, sociales, humaines ou naturelles, c’est-à-dire « des valeurs qui dépassent tout calcul ».
Les « décideurs » de la planète — milliardaires, managers, banquiers, investisseurs, ministres, parlementaires et autres « experts » — sont, à de très rares exceptions, les représentants de ce système pervers. Motivés par la rationalité bornée et myope du capital, rivés sur leurs impératifs de croissance, la lutte pour les parts de marché, la compétitivité, les marges de profit et la rentabilité, ils semblent obéir au principe proclamé par Louis XV : « Après moi le déluge. » Le déluge du 21e siècle risque de prendre la forme, comme celui de la mythologie biblique, d’une montée inexorable des eaux, noyant sous les vagues les grandes villes de la civilisation humaine : Hong Kong, Shanghai, Venise, Amsterdam, Londres, New York, Rio de Janeiro, etc.
À l’avant-garde de cette guerre du capital contre la nature se trouvent les « climato-négationnistes », les représentants directs de l’oligarchie du fossile (pétrole, charbon, gaz de schiste, sables bitumineux, etc.) et de l’agro-négoce : Donald Trump et Jair Bolsonaro. Ce dernier, dès son arrivée au pouvoir au Brésil, a donné le feu vert pour démembrer et dégrader la forêt amazonienne, en dénonçant les communautés indigènes comme ennemies du « développement ». Pour célébrer cette nouvelle conjoncture, des figures de l’agrobusiness (agissant dans les secteurs de l’élevage, du soja, etc.) ont proclamé une « journée du feu » contribuant ainsi aux sinistres incendies qui depuis quelques mois ravagent le dernier « puits de carbone » végétal de la planète, pouvant absorber une partie du CO2 atmosphérique. Un faux débat s’est instauré entre les Présidents Macron et Bolsonaro : faut-il défendre le « droit d’intervention » des puissances européennes en Amazonie, ou plutôt proclamer, contre vents et marées, la « souveraineté » du Brésil sur la forêt ? Le vrai enjeu, c’est la solidarité internationale des peuples avec ceux qui se battent pour défendre l’Amazonie : les tribus indigènes, les paysans sans-terre, les communautés de base, les écologistes.
L’échec spectaculaire des conférences internationales illustre l’inertie de gouvernements « raisonnables » qui ne nient pas le réchauffement climatique. Il a semblé qu’après le protocole de Kyoto, la plus grande avancée sur ce terrain ait été la COP21 de Paris (2015) : les gouvernements participants avaient reconnu la nécessité de ne pas dépasser la limite de réchauffement des 1,5° C, et chacun avait publiquement annoncé les réductions d’émissions de gaz à effet de serre qu’il s’engageait à réaliser. Formidable exploit, hélas terni par deux « détails » de poids : 1) en l’absence de tout contrôle ou sanction, aucun pays n’a tenu ses promesses (sauf quelques petits pays africains). 2) Si tous les pays tenaient leurs engagements, la température ne monterait pas moins de… 3° C. La Conférence des Nations unies sur le climat, qui s’est tenue a New York le 23 septembre 2019, illustre, de façon encore plus caricaturale, la formidable inertie du système (capitaliste).
À cette occasion, Greta Thunberg, la jeune rebelle suédoise, a tenu un discours historique, qui restera dans les annales de l’écologie combative. S’adressant aux gouvernements présents, elle a affirmé :
Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. […] Je fais pourtant partie de ceux et celles qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous !
Contre cette inertie des « responsables », se soulèvent des mouvements écologistes, des communautés indigènes, des paysans sans-terre, des anticapitalistes et, surtout, la jeunesse. C’est un combat planétaire, international, dont la manifestation la plus impressionnante a été la grande mobilisation mondiale de la jeunesse qui, à la veille de la conférence de l’ONU, le 20 septembre, a réuni 4 millions de personnes dans plus de 200 pays. L’écologie sera internationaliste ou ne sera pas. Ce qui n’est pas contradictoire, bien entendu, avec l’organisation et la lutte au niveau local.
L’écologie n’a pas de frontière !