1) L’épidémie du coronavirus nous révèle l’ampleur des contradictions que vivent les sociétés et les Etats dans le monde. Elles sont visibles et tangibles au niveau de la santé publique qui prend la forme d’une sonnerie d’urgence. Elles nous révèlent aussi les contradictions et la crise de la reproduction économique et sociale d’une manière globale.
En ce moment, nous angoissons, à l’échelle individuelle, pour savoir ce que nous allons manger ce soir, comment assurer notre travail, comment ne pas chopper ce virus ou combien durera ce confinement. Mais derrière ces mesures d’urgence, il y a une crise économique et politique qui se profile, qui couve et qui surviendra très probablement. Elle est déjà patente par le simple fait que la production est au ralenti et sera peut-être à l’arrêt pour une période indéterminée.
Les effets de cette crise sur la vie sociale et culturelle seront inégalement ressenties et vécues, entre les régions développées et les territoires sous-développés et dépendants, entre les classes aisées et les moins aisées d’un même pays, entres les pays riches et les pays pauvres…
2) Cette crise nous révèle au grand jour la progression démesurée du néolibéralisme et les limites historiques de l’économie capitaliste, notamment dans sa visibilité ostentatoire européenne, nord-américaine et asiatique. Cette Europe unie contre la planète est en train de s’effondrer. L’Italie se rapproche plus de la Russie, de la Chine, de Cuba et du… Venezuela que de sa voisine la France qui refuse toute aide et qui s’occupe de ses malheurs, de la Pologne qui a empêché le survol de son espace aérien aux avions d’aides russes ou encore de la Tchéquie qui aurait volé, paraît-il, l’aide destinée aux malades italiens !
3) Panem et circenses (« Pain et jeux du cirque ») disaient les Romains du temps de l’Antiquité. Ce slogan a perduré au point d’être repris par des pontes du mondialisme et du néolibéralisme.
Maintenant on dira pain, football, loisir et tourisme. Avec cette crise, les jeux sont à l’arrêt. Et demain, il n’y aura plus de pain. Et dans un cas pareil, il y a risque de guerres. Le danger est donc à prévoir. Il ne faut rien écarter, sans panique ni négligence de cette situation encore impensable, il y a seulement deux mois.
La chose la plus sournoise de cette crise est toutefois son instrumentalisation. Les mesures prises par des gouvernements face à ce coronavirus en sont révélatrices. Elles sont arrivées criminellement tard, précisément parce que les enjeux économiques sont plus importants que la santé des populations, notamment des travailleurs et travailleuses, acteurs et actrices directes de cette production. Leur niveau de réaction et leurs paniques sont des indicateurs de l’ampleur de la menace. Le confinement total ou territorial, reste la mesure de survie et d’urgence nécessaire en l’absence d’un traitement médical adéquat, à savoir un dépistage médical global.
4) L’absence de volonté de certains pays (France, Espagne, Grande-Bretagne…), l’incapacité d’autres (Algérie, Tunisie…) à procéder à un traitement de dépistage médical et un recours au seul confinement des malades, laissent la place à une gestion sécuritaire et chaotique.
À voir la réaction de franges de populations approuvant et appelant à une intervention militaire, à des états d’urgence ou des états d’exception, il y a tout lieu de penser que les peuples sont préparés à accepter une dictature mondialiste.
L’histoire regorge d’exemples où des Etats aux abois font passer des mesures d’exception liberticides, motivées par l’urgence d’une situation extraordinaire. Etablies uniquement contre la crise sanitaire, ces mesures pourraient se normaliser. En donnant des pouvoirs démesurés à la police et à l’administration, en institutionnalisant une justice secrète et écrite, elles signent l’abandon de tout Etat de droit.
Nous en connaissons un bout de notre histoire récente, celle des années 1990 dans une situation « d’urgence antiterroriste ». Utilisé contre les terroristes, l’état d’urgence a vu son application se diversifier en 2001, visant rapidement les militants de la protestation de Kabylie, mais aussi de toute manifestation publique, étudiante, syndicale ou politique.
5) En Algérie, cette crise sanitaire coïncide avec une autre crise de l’ordre politique. La population en mouvement de protestation depuis plus d’une année se retrouve contrainte de surseoir à ses revendications en attendant une rapide sortie de crise. Entre temps, le pouvoir poursuit son harcèlement policier et judiciaire contre des militantEs politiques, syndicalistes et autres activistes.
Dans ce contexte, cette escalade renseigne sur ses véritables intentions. Avec un président mal élu, cherchant une nouvelle légitimité par une réforme de la Constitution, cette situation semble être une aubaine pour le gouvernent. Il se prépare à faire passer ses réformes à travers la révision de la Constitution sans opposition. Il essayera ainsi de retrouver son autoritarisme à défaut d’acquérir démocratiquement une autorité politique.
Cette situation exceptionnelle peut servir de « thérapie de choc », selon les termes de la journaliste canadienne N. Klein : « utiliser les crises de grandes envergure pour faire passer les réformes à la hâte et les pérenniser ».
Ceci est valable aussi sur le plan économique. C’est ce que semble saisir une partie du patronat. « Il faudra un électrochoc pour engager les réforme structurelles, d’un autre ordre, nécessaires pour sortir l’entreprise de la crise actuelle », lancent Hassan Khlifti et Ali Harbi sur radio M. Ce serait « la dernière chance pour un auto ajustement structurel ».
6) Toutefois, rien n’est joué d’avance. Au fur à mesure que progresse cette crise, nous assistons à une prise de conscience sur le danger et le péril qu’encoure la société jusqu’aux conditions mêmes de notre vie.
La société est mise à l’épreuve. Il va falloir s’armer de courage, de prudence et de patience. Deux scénarios sont possibles : un repli irrationnel ou un élan émancipateur. Mais, dans un moment historique de mobilisation populaire mondial pour la défense des droits sociaux et démocratiques (Algérie, Liban, France, Soudan, Chili…), l’espoir pour un sursaut libérateur est permis. Dans cette situation, l’information est essentielle, surtout l’information renseignée. Nous devons rendre disponible et accessible une information fiable.
7) Sur le plan de la santé, vu nos capacités médicales et techniques limitées et la vitesse de la propagation du virus, le confinement semble indispensable à la survie collective. Mais nous constatons la double difficulté à la fois à mobiliser et à faire élever le niveau de conscience des gens face au danger, dans une période où la mobilisation va contre la sécurité.
C’est le résultat d’une méconnaissance globale de la médecine et de la santé en général, laquelle n’est pas considérée comme un domaine du savoir général et devant être inculquée véritablement à toutEs. Nous en payons aujourd’hui les frais, et cela devrait nous pousser à repenser le rapport de nos sociétés aux savoirs médicaux et scientifiques en général.
8) Enfin, se pose la question de l’organisation et de l’auto-organisation. Cette dernière se présente sous deux formes : il y a l’auto-organisation politique et structurelle. C’est l’un des objectifs de la population à travers le « Hirak » qui vise la construction d’une nouvelle structure du pouvoir pour un Etat démocratique.
Il y a l’auto-organisation de l’urgence conjoncturelle et de l’immédiat. C’est celle qui peut émerger maintenant au niveau des immeubles, des quartiers, des villages, pour lancer des initiatives d’information, de solidarité et d’entraide.
Il peut s’agir aussi d’expériences inédites, même en temps de crise extrême comme aujourd’hui, de réorganisation de la vie au quotidien. Ce sont là aussi les derniers espaces de politisation en plus des réseaux sociaux ou des quelques lieux de travail qui resteront ouverts. Dans un moment de confinement, les contours du foyer, de l’immeuble, sont les dernières limites des rapports sociaux possibles, tout en maintenant bien sûr les règles de sécurité.