Il y a deux discours qui structurent actuellement le débat dans le « Hirak » : le premier dénonce la répression dont sont victimes les marcheurs-euses, militant-es et activistes du Hirak. Le deuxième, en réaction à ce qui est considéré comme « une exagération » dans la lecture et la caractérisation du pouvoir par les premiers, appelle à un front conte la soi-disant « main étrangère ». Politiquement, la ligne de démarcation des deux postures est le rapport au hirak et au pouvoir.
Dans la première posture, le minimum démocratique est centré actuellement sur la défense des libertés démocratiques et l’unité d’action autour de la dénonciation de la répression que subissent les citoyen-nes, militant-es et activistes du Hirak. Ce qui n’exclue pas, bien sûr, l’élargissement de ces actions par les forces démocratiques, antilibérales et anti-impérialistes sur le terrain de la défense des droits sociaux, droits de grève et syndicaux, voire même sur la liberté de conscience ou encore la liberté de critique académique et universitaire.
Dans la deuxième posture, l’unité du discours s’articule autour du rejet du « Hirak » dit de « la deuxième phase ». Celui-ci, disent les tenants de cette posture, a perdu toute légitimité depuis l’élection présidentielle du 12/12 (12 décembre 2019). Ils militent pour faire renter la protestation dans les rouages institutionnels, en lui refusant l’occupation de l’espace public.
Si cette dernière posture politique est intellectuellement légitime et discutable, l’argumentaire est en revanche problématique. Il n’est pas recevable, car il procède par la spéculation et les procès d’intention. En effet, il y a dans les argumentaires des tenants de cette posture confusion entre le jugement de valeur, qui se transforme souvent en procès d’intention, l’analyse critique et le bilan.
Faire le bilan du Hirak en décidant qu’il n’avance plus ou qu’il a perdu toute légitimité ou signification ne doit pas empêcher ceux et celles qui y croient encore de manifester leur croyance librement dans la rue même pour ce qui est considéré comme des « chimères » ou des « utopies ». Le droit de manifester doit être inaliénable en démocratie, d’autant plus que ces manifestations de rue se déroulent pacifiquement, avec le sourire et dans la bonne humeur, sans qu’il y ait égratignure ou une vitre cassée. La seule violence vient des forces de répression.
La tentative d’analyse autour de la soi-disant « main étrangère » ne démontre rien et ne montre aucun fait tangible. La dénonciation par les pro-hirakistes des tortures et de la répression du pouvoir « est exagérée et amplifiée exprès » pour, disent-ils « faire intervenir les forces impérialistes ». Seulement, à ce niveau d’analyse, ça spécule et ça nourrit des procès d’intention. Sur le terrain, ceux et celles surnommés les « autoproclamés » et accusés d’être à la solde de ces forces impérialistes ne sont nullement inquiétés par la justice. Ce n’est malheureusement pas le cas pour l’islamologue Djabelkheir, pour les travailleurs de Numilog licenciés abusivement, l’activiste Amira Bouraoui ou encore l’universitaire Kaddour Chouicha, et bien d’autres, qui sont condamnés pour leurs opinions ! Ici, ça ne spécule pas.
Concrètement, y a-t-il réellement un scénario à la syrienne qui se dessine pour l’Algérie ? Quelles sont les forces impérialistes qui pourraient ou voudraient intervenir en Algérie en utilisant le Hirak comme marche-pied ?
Dans la réalité mondiale, il y a en effet deux grands camps impérialistes qui se concurrencent pour une mainmise sur les richesses de ce monde : il y a d’un côté l’impérialisme occidental, européen et américain. Il y a de l’autre côté les forces russo-chinoises qui se découvrent des élans néo-impérialistes. Les deux forces interviennent différemment pour défendre leurs influences ou dominations géopolitiques. Les premiers évoquent « la défense de la démocratie ». Les deuxièmes interviennent pour défendre « la souveraineté des nations ».
Nous savons que les deux discours ne sont que des cache-sexes d’une démarche impérialiste pour un contrôle de leur espace géopolitique respectif. Ce n’est qu’à partir de là qu’on pourra analyser la situation. Y a-t-il donc des velléités d’une intervention militaire étrangère imminente dans l’espace algérien ?
Au-delà des sentiments abstraits des uns et des autres, il faudra faire une analyse concrète. La défense de la souveraineté nationale est évidemment inaliénable. Ce qui ressort pour l’instant et concrètement, ce sont surtout des menaces à l’endroit des citoyens-ennes algériens-ennes dans leurs droits élémentaires politiques, économiques et culturels. Les forces impérialistes sont plutôt dans des négociations apaisées et rassurées avec le pouvoir algérien sur le dos du « Hirak ».