Le capitalisme est plein de ressources inhumaines (sur la campagne Adecco)

, par CORCUFF Philippe

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Le capitalisme apparaît spontanément amoral, tout à sa logique d’accumulation du capital. C’est pourquoi Marx, dans la préface à la première édition du Capital (1867), ne mettait pas en cause la moralité de tel ou tel capitaliste mais la logique d’un système : « il s’agit ici des personnes qu’autant qu’elles sont la personnification des catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue (...) peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoiqu’il puisse faire pour s’en dégager ». L’individu peut patauger sincèrement dans une bonne conscience tout en étant une pièce dans une mécanique lui échappant.

Adecco, en instrumentalisant la figure de Coluche pour une des ses campagnes publicitaires sur le thème « Les gens sont plein de ressources humaines », déborde cette orientation seulement amorale du capitalisme pour lui donner des tonalités immorales. L’humanisme coluchien devient alors une banale marchandise. Et le cynisme des publicitaires va jusqu’à faire d’un défenseur des valeurs de la solidarité contre les dégâts sociaux de la précarité, avec l’invention des Restos du Cœur, un simple porte-voix de la précarité commercialisée. Ainsi le sociologue Robert Castel a bien montré, dans Les métamorphoses de la question sociale (Fayard, 1995), combien un continuum reliait dans la phase néolibérale du capitalisme, la flexibilité au sein de l’entreprise, l’intérim et les formes extrêmes de pauvreté, comme différents stades d’une même déstabilisation de la condition salariale.

Si, selon la double boussole altermondialiste, « Le monde n’est pas une marchandise » et « D’autres mondes sont possibles », voilà une raison supplémentaire d’asseoir la modernité de l’anticapitalisme.

P.-S.

Paru dans Acteurs de l’économie Rhône-Alpes, n°74, mai 2008.
Article publié sur le blog de Philippe Corcuff, le 21 avril 2008.

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