Actualité de la philosophie politique de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) — Politique et raison critique, politique et histoire

, par CORCUFF Philippe

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Les commémorations académiques du centenaire de la naissance du philosophe Maurice Merleau-Ponty viennent de s’achever. On n’a presque pas parlé des engagements et des réflexions politiques du co-fondateur avec Jean-Paul Sartre de la revue Les Temps modernes en 1945. Pourtant cela aurait pu fournir quelques clartés utiles pour des gauches largement déboussolées en ce début de XXIe siècle.

Il est rare que des commentaires philosophiques le nez dans le guidon des années 1945-1960 puissent avoir encore tant de résonances dans nos préoccupations présentes ! Comment une pensée politique au défi des événements peut-elle être si datée (profondément enracinée dans son temps, jusque dans ses bévues) et si actuelle ?

1) Un Merleau-Ponty politique oublié ou aseptisé

Des fils politiques ont, dans la confrontation avec des actualités et des engagements successifs, contribué à tisser l’œuvre du philosophe né à Rochefort-sur-Mer le 14 mars 1908 et mort brutalement à sa table de travail à Paris le soir du 3 mai 1961 (sur sa bio/bibliographie, voir Maurice Merleau-Ponty). Aujourd’hui, la philosophie d’inspiration merleau-pontienne apparaît bien vivante au sein des universités françaises et au-delà, davantage d’ailleurs que celle de Sartre.

a) Oublis académiques

Toutefois, si les thèmes du corps et de la chair tendent à focaliser les attentions des chercheurs, les rapports à la politique, à l’histoire concrète et au marxisme, qui ont tant occupé Merleau-Ponty, sont peu traités [1]. Les philosophes merleau-pontiens connaissent certes les grands livres politiques de Merleau-Ponty - Humanisme et terreur — Essai sur le problème communiste (1947) [2] et Les aventures de la dialectique (1955) [3] — comme ses textes directement politiques situés dans des recueils publiés de son vivant — Sens et non-sens (1948) [4] et Signes (1960) [5] — ou après sa mort — Parcours 1935-1961 (1997) [6] et Parcours deux 1951-1961 (2000) [7]. Mais, bien souvent, ils ne savent pas trop quoi en faire... L’alchimie de l’alliage historiquement situé du bouillonnement philosophique et du bouillonnement politique semble avoir été perdue. Et la spécialisation à tendance conformiste du travail universitaire rajoute son poids structurel à une conjoncture de déconnexion du philosophique et du politique.

Á distance de cette configuration dominante, Emmanuel de Saint Aubert a proposé récemment une lecture stimulante de la philosophie de Merleau-Ponty, autour de la question de « l’empiètement », passant par la prise en compte de ses interventions les plus politiques [8]. Pourtant, se plonger dans Merleau-Ponty pourrait également participer à renouveler une philosophie politique universitaire qui, au cours des années 1980, a souvent pris des couleurs excessivement consensualistes, à l’écart de l’aiguillon de la critique sociale [9]. Les problèmes associés aux rapports à Machiavel [10] et à Marx [11] apparaissent particulièrement heuristiques de ce point de vue. Mais pour l’instant cela intéresse peu les chantiers universitaires...

b) Merleau-Ponty aseptisé dans la gauche officielle : de Mongin à Peillon

Et dans cette zone intermédiaire, métissée d’interrogations pratiques empruntées à « l’actualité » et de ressources universitaires, qu’on appelle parfois en France « le débat intellectuel et politique », s’exprimant notamment dans des revues tout à la fois plus « généralistes » et moins conformistes que les revues académiques ? Les politiques de Merleau-Ponty n’y sont guère plus présentes. La figure héroïsée, folklorisée et/ou ironisée de « l’engagement » sartrien tend, encore aujourd’hui, à occuper une grande partie de l’espace. Prise comme un bloc unifié, appelée à susciter l’admiration ou la moquerie, elle apparaît plus rassurante, en positif ou en négatif, que les investigations merleau-pontiennnes sur les contradictions, les ambivalences et les ambiguïtés de la politique, comme de ses rapports avec le monde intellectuel.

Des pans importants de la gauche officielle, entre électoralisme étroit, technocratisme borné et naturalisation de l’ordre capitaliste, sont tentés, depuis 1983, par un anti-intellectualisme pratique. Pour eux, discuter des penseurs importants du XXe siècle comme Merleau-Ponty (ou Wittgenstein, Lévinas, Braudel, Elias, Foucault, Castoriadis, Bourdieu, etc.), n’aurait pas grand sens (« Du Merlot pour qui ? »). Mais même pour les quelques-uns qui, en voyageant entre philosophie et politique, ont rencontré Merleau-Ponty, l’acuité de son regard philosophique sur la politique apparaît difficilement tenable.

Ainsi le directeur de la rédaction de la revue Esprit, Olivier Mongin, rabat la philosophie de l’ambiguïté à l’œuvre dans Humanisme et terreur sur une ambiguïté politique, qui serait selon lui à rejeter [12]. Il a du mal à comprendre les difficultés auxquelles se heurtait Merleau-Ponty en 1947, à partir de la vision angélique et consensuelle de la démocratie dont « la deuxième gauche » propre à la galaxie rocardienne s’est faite le chantre à partir de la fin des années 1970. Mongin, pour qui « l’accusation d’ambiguïté continue à peser lourdement » sur ce livre, réfère négativement cette ambiguïté non « à l’aventure politique d’un philosophe » mais à « celle d’une génération qui, dans l’après-guerre, prenait ses distances avec le PCF sans rompre avec le marxisme » [13]. Comme si la connexion maintenue avec le marxisme était nécessairement une tare ! Une énième façon de jeter le bébé anticapitaliste avec l’eau sale du bain totalitaire, en enjolivant l’injustice capitaliste grâce à l’expression euphémisée d’« économie de marché » couplée nécessairement à celle de « démocratie » !

Pour Mongin, dans une sorte d’illusion rétrospective propre aux générations intellectuelles post-1968, pour lesquelles l’abandon du marxisme fut, en quelque sorte, le gage nécessaire d’un certain « retour à la normale », le maintien d’une référence marxiste par Merleau-Ponty en 1947 serait au cœur de cette fameuse « ambiguïté ». Le reste — « les thèmes de la malédiction de l’histoire, de la tragédie et des maléfices du politique » — ne seraient là que « pour légitimer cette ambiguïté » [14]. Á l’inverse de cette lecture rapide, trop engluée dans les évidences du néo-conservatisme « de gauche » des années 1980, Saint Aubert rappelle que « la contestation de ce qui est “pur” est transversale chez Merleau-Ponty » [15], car le monde qui le trouble se présente comme « fondamentalement ambigu et inachevé, étrange et adverse » [16], habité « par la négativité de la chair et la blessure du désir » [17].

C’est pourquoi ces thèmes continuaient à travailler Les aventures de la dialectique (1955) et Signes (1960), malgré la distance prise avec le marxisme. Contre Mongin et son édulcoration des questions brûlantes du Merleau-Ponty politique, on peut avancer que l’exigence de penser l’ambiguïté dans l’histoire et dans la politique ne concernait pas uniquement chez lui l’époque de l’après-guerre. Si des outils marxistes lui ont été utiles dans ce contexte, il a été conduit, par la suite, à les relocaliser (et non à les réfuter), du fait de leurs insuffisances et de leurs prétentions trop totalisantes. Il a dû alors puiser dans d’autres ressources (notamment la sociologie historique de Max Weber), en interaction avec les instruments marxistes, pour prolonger ses questionnements dans de nouveaux contextes.

On peut être bon connaisseur des écrits de Merleau-Ponty et pourtant être embarrassé au moment d’en faire une ressource pour l’action politique. C’est le cas de Vincent Peillon, de formation philosophique et une des nouvelles figures dirigeantes du Parti socialiste (côté Ségolène Royal). En tant que philosophe, il est l’auteur d’un livre documenté sur la philosophie de Merleau-Ponty [18], qui ne méconnaît pas ses textes politiques. Peillon y note par exemple finement : « Le tragique ne dit sans doute pas que la conscience est privée de toute liberté, mais il insiste sur le fait que celle-ci n’est pas garantie d’avance [...] plus encore, que le destin de toute liberté est d’avoir à frayer son chemin dans la contingence, la précarité et la violence » [19].

Quand il passe à des exercices intellectuels plus directement branchés sur la politique, notre Dr Jekyll, affable politique, oublie les problèmes posés par le philosophe Mr Hyde. Conduit à redéfinir un « socialisme » actuel soluble dans le cours social-libéral de la social-démocratie européenne, plus présentable donc qu’un « socialisme marxiste » diabolisé [20], car paré du consensualisme de la « collaboration de classes » plutôt que des épines de la « lutte des classes » [21], Peillon appelle à sa rescousse, mais de manière ambivalente, Merleau-Ponty. D’une part, ce dernier, présenté étrangement comme un « philosophe pur » [22], nous aiderait à rejoindre ce que serait « la vraie nature du socialisme » [23] - formule essentialiste fort éloignée de l’esprit historique de Merleau-Ponty quant aux choses de la politique -, « trahi par le marxisme » [24] - le vocabulaire militant de « la trahison » apparaît bien inadapté à sa philosophie de l’ambiguïté. D’autre part, le philosophe s’arrêterait en chemin, incapable de suivre prospectivement le courageux Peillon (qui écrit, rappelons-le, 14 ans après la chute du mur de Berlin !) sur la voie de l’effacement de ce qui serait une désagréable parenthèse marxiste pour le socialisme français. Peillon reproche alors à Merleau-Ponty son « incapacité à trancher l’indécision, la tension qui habite son analyse » [25]. Oublié le sens merleau-pontien du tragique en politique de 1994 ! Cette schizophrénie du philosophe et du politique chez Peillon n’a pas grand-chose à voir avec la tension, indépassable mais productrice pour Merleau-Ponty, entre le philosophique et la politique.

Comme chez Olivier Mongin, « la démocratie » devient une réponse omnibus et définitive au lieu de nous hanter comme un problème. Les complications des réflexions merleau-pontiennes sur la gauche, le capitalisme et le stalinisme, à chaque fois immergées dans des circonstances particulières, s’effacent. On a simplement affaire aux slogans des boy-scouts anti-marxistes de « la démocratie de marché » ajustés à l’air du temps. Les sentiers escarpés de l’a-marxisme (ni marxiste, ni anti-marxiste), tels qu’ils s’ouvrent chez le dernier Merleau-Ponty, après nombre de tâtonnements, d’erreurs et de rectifications, dans le cours d’une réflexion sur la validité localisée de la raison critique comme sur les maléfices de la politique, sont fermés au public militant et sympathisant de la gauche officielle. L’intelligence se dégrade en « belle image » pour les médias, semble passée au filtre d’un marketing de type électoral.

Or, en la matière, « L’élégance n’est pas ce que nous recherchons », selon la formule de Ludwig Wittgenstein [26]. Et l’on pourrait ajouter avec ce dernier :

« Nous sommes sur un terrain glissant où il n’y a pas de frottement, où les conditions sont donc en un certain sens idéales, mais où, pour cette raison même, nous ne pouvons plus marcher. Mais nous voulons marcher, et nous avons besoin de frottement. Revenons donc sur le sol raboteux ! » [27]

Pour éviter les écarts abyssaux entre des rhétoriques platement idéalistes et des pratiques oublieuses des principes, la philosophie, mais une philosophie des « frottements », pourrait nous ramener au « sol raboteux », sans pour autant nous entraîner dans la voie de la recherche d’une efficacité sans éthique. Se dessinerait plutôt une éthique bringuebalée dans les rugosités des pratiques et non pas située dans un ciel éthéré, dans des « conditions idéales ».

Ainsi les gauches qui n’ont pas abandonné l’inspiration des Lumières, dans la mise en tension de la pensée et de l’action, auraient quelques raisonnements à affûter au contact des casse-têtes politiques de Merleau-Ponty. Je ne proposerai ici qu’une introduction synthétique et partielle, traversant des moments différents de l’analyse merleau-pontienne comme de ses engagements, et donc aplatissant leurs contextualités respectives. Il s’agit avant tout d’une invitation à la lecture directe de ses textes pour contribuer à faire germer des intelligences nouvelles au contact des situations actuelles.

2) Sauver le rationalisme d’un impérialisme rationaliste

Via l’héritage des Lumières du XVIIIe siècle, la raison critique est devenue un des principes régulateurs des sciences, de la philosophie et même de la politique. Moins au cours du siècle des Lumières lui-même, où les réflexions apparaissaient plus bruissantes et moins arrogantes [28], que lors de leur pesante, et parfois dogmatique, codification pendant la IIIe République, la Raison (avec un R majuscule) a alors pu occuper une place trop exclusive et surplombante dans notre univers intellectuel et politique.

a) La Phénoménologie de la perception et Renaud Barbaras

Dans sa Phénoménologie de la perception (1945) [29], Merleau-Ponty a rompu avec les excès de cette vision : non pas pour faire l’apologie de l’irrationalisme, mais pour assurer (au sens des alpinistes) les attaches de la raison, en leur attribuant un pouvoir plus limité dans le cours cahoteux des existences humaines. Dans Phénoménologie de la perception, le philosophe est encore à la recherche d’une articulation entre une phénoménologie intentionnelle et un élargissement de celle-ci restituant sa place à l’irréfléchi, entre l’intelligible et le sensible.

Avec Le visible et l’invisible (1964) [30], son dernier livre inachevé, il s’inscrira encore plus radicalement dans une critique de la place occupée par la sphère réflexive dans la philosophie.

Renaud Barbaras a joué un rôle marquant dans le renouveau des études merleau-pontiennes à partir des années 1990 en France [31].

Dans un de ses commentaires stimulants de la philosophie merleau-pontienne, Barbaras [32] reproche au Merleau-Ponty de la Phénoménologie de la perception de n’être pas assez « avancé » par rapport au Visible et à l’invisible, et donc d’être encore trop pris dans une problématique de la conscience intentionnelle. Barbaras écrit ainsi :

« Merleau-Ponty reste prisonnier de la dualité entre réflexion et irréfléchi : dominé par le présupposé du primat d’un ordre réflexif autonome » [33].

Il y aurait quelque chose comme une « imperfection » chez le « premier » Merleau-Ponty, qui se mesurerait à l’aune des déplacements opérés par la suite dans Le visible et l’invisible [34].

b) Heuristique de l’imperfection

On aura un regard différent, si l’on s’émancipe d’une telle logique de reconstruction a posteriori de l’ensemble de l’œuvre, en s’intéressant davantage à la Phénoménologie de la perception pour elle-même, dans la productivité de ses hésitations propres. On peut ainsi penser que les « imperfections » de la Phénoménologie de la perception ou, plus justement, ses fragilités, les tensions maintenues entre le réfléchi et l’irréfléchi, leurs articulations tâtonnantes constituent des pistes porteuses d’intelligibilités décalées dans un problème aussi majeur, pour la philosophie comme pour la politique, que le statut de la raison critique. Dans cette perspective, mettant en cause la hiérarchie intellectualiste, posée dès Platon, entre l’intelligible (le haut) et le sensible (le bas), Merleau-Ponty accorderait à la raison réfléchissante une validité localisée mais effective sur fond d’expérience première de l’irréfléchi via « le corps propre ». Il écrit ainsi :

« La tâche d’une réflexion radicale, c’est-à-dire de celle qui veut se comprendre elle-même, consiste, d’une manière paradoxale, à retrouver l’expérience irréfléchie du monde, pour replacer en elle l’attitude de vérification et les opérations réflexives, et pour faire apparaître la réflexion comme une des possibilités de mon être » (PP, p.279).

Pas de raison critique, semble nous dire Merleau-Ponty, sans retour réflexif sur les limites de la raison intellectuelle. L’intelligence raisonnante constituerait bien une des possibilités de l’être humain, mais une des possibilités seulement, se développant à partir d’un rapport premier au monde, non raisonné, sensible, corporel. Ni éclipse « post-moderne » de la raison, ni arrogance intellectualiste : le rationalisme apparaît sauvegardé, parce que délimité contre les prétentions impérialistes d’une Raison toute-puissante. Partant, la raison critique se présente comme un des outils à disposition de l’action politique. Se dessine alors non pas une politique rationnelle aux mains des philosophes, des savants ou autres experts, imposant leurs lois, mais la possibilité d’une action politique raisonnée accessible à une pluralité humaine historiquement située, sans être en mesure pour autant de nous débarrasser des contradictions, des ambiguïtés et des incertitudes.

3) La politique comme pari raisonné affronté à l’incertitude

Dans le sillage de Machiavel [35], Merleau-Ponty met l’accent dans ses textes les plus politiques sur le fait que, en situation d’incertitude relative, l’action humaine doit rompre avec la prétention à la certitude absolue.

a) Trois raisons en faveur de l’incertitude historique

Pour Merleau-Ponty, on ne peut pas avoir une vue surplombante et totalisante sur l’histoire en train de se faire, pour au moins trois raisons :

  1. je suis toujours collé au monde en mouvement, et mon extériorisation par la connaissance ne peut être que partielle ;
  2. en pensant le monde et en agissant dans le monde, je contribue à l’orienter dans telle ou telle direction ; me trouvant encore en chemin, je ne peux pas proposer une vue panoramique et extérieure de mon voyage ;
  3. et ce qui va faire évoluer le monde dans telle ou telle direction, ce n’est pas ma seule volonté, mais la volonté de nombreuses personnes, allant dans des sens divers, s’entrechoquant, dans des circonstances non choisies par elles, ce qui fait que la dynamique historique est largement inintentionnelle, et donc encore moins connaissable avec certitude à l’avance. La destination des voyages historiques n’est pas donnée au départ comme en général sur les lignes SNCF. Dans cette troisième raison, la dynamique globalement inintentionnelle (bien que fabriquée aussi avec des intentions) de l’histoire est fortement associée à son caractère intersubjectif, social, à l’entrelacement des subjectivités qui tissent le monde social, menant à ce que ce que font les uns a des conséquences variables sur les autres, et vice-versa.

Ces trois raisons, empêchant une vue complètement extérieure et englobante de l’histoire en train de se faire, sont bien synthétisées dans le passage d’un texte paru dans Les Temps Modernes en juillet 1948 sous le titre « Complicité objective » :

« L’époque, c’est notre temps traité sans respect, dans sa vérité insupportable, encore collé à nous, encore sensible au jugement humain qui le comprend et qui le change, interrogé, critiqué, interpellé, confus comme un visage que nous ne savons pas encore déchiffrer, mais comme un visage aussi, gonflé de possibles. » (P1, p.113).

Cette vision des choses se heurte à nos tendances dogmatiques, à un niveau collectif et individuel :

« Mais ce mépris du présent, qui est une sorte de haine de la vie, ne sert pas la connaissance, il la mutile. Quand on évite toute rencontre avec l’exubérance et le foisonnement du présent, on sauve plus facilement les schémas et les dogmes. » (ibid.)

b) Le pari raisonné : ni certitude, ni relativisme

Pour Merleau-Ponty, l’historicité de la politique, et donc sa mobilité et son ambiguïté, nourrit sa composante d’incertitude. La décision politique ne peut jamais s’appuyer sur du définitif, mais seulement sur l’évaluation partielle de probabilités et l’élaboration d’hypothèses, à chaque fois de manière historiquement située. L’action politique relèverait donc au mieux de paris raisonnés. La politique humaine ne traiterait pas d’« essences » — c’est-à-dire de formes fixes, éternelles, dérivant jusque dans les idées laïques des modes de pensée religieux —, mais de réalités changeantes, qui se déplacent, en fonction des moments.

L’action doit alors pouvoir être guidée par une connaissance du probable pour faire advenir le possible. D’où les dilemmes indépassables d’une action raisonnée :

« Une dialectique dont le cours n’est pas entièrement prévisible peut transformer les intentions de l’homme en son contraire, et cependant, il faut prendre parti tout de suite. » (HT, p.158)

Agir ou ne pas agir, c’est de toute façon une façon d’agir qui pèse sur la situation, mais qui n’a jamais la maîtrise d’une situation à plusieurs dans des circonstances non choisies. Et il y a parfois urgence : faut-il ou non tuer Simone Signoret, résistante exemplaire capturée par la Gestapo qui tient aussi sa fille, se demandent dans l’urgence les résistants du magnifique film de Jean-Pierre Melville L’armée des ombres (1969) ? Puisque, comme l’avait déjà noté Machiavel, les bonnes intentions ne suffisent pas pour produire de justes effets sur la réalité, puisque que la dynamique inintentionnelle de l’histoire déplace ces intentions jusqu’à, dans certains cas extrêmes, produire des résultats inverses à ceux visés (des « effets pervers »), on peut être conduit à user de moyens en décalage avec les fins recherchées. Mais, dans l’incertitude de l’histoire, ces moyens, parfois infâmes, sont-ils finalement nécessaires ou pas ? Faut-il tuer ou non Simone Signoret, cette personne admirable, pour sauver le réseau de Résistance ? Les résistants de Melville la tueront finalement, après des hésitations et des discussions douloureuses, mais tués à leur tour par les nazis, ils n’auront jamais de réponse définitive à cette question. Nous-mêmes, cette question peut continuer à nous tarauder…

Mais cela ne veut pas dire que « tout se vaut » dans un magma relativiste. Dans une démarche raisonnée, il y a les repères partiels du probable :

« Cela ne veut pas dire que nous puissions faire n’importe quoi : il y a des degrés de vraisemblance qui ne sont pas rien. Mais cela veut dire que, quoi que nous fassions, ce sera dans le risque. » (HT, p.159)

Ainsi « les degrés de vraisemblance » (ou pourrait parler aussi de degrés de probabilité : du type « à partir de telle connaissance partielle et située je fais l’hypothèse que cela va s’orienter plus probablement dans telle direction ») éloignent Merleau-Ponty du relativisme, et l’inscrivent toujours dans le travail de la raison critique. Mais une raison non absolutiste, adossée au sens de ses propres fragilités historiques et humaines. Car il y a toujours une part de « risque », d’aléatoire. Pour nourrir ce rationalisme de la fragilité, il oppose aussi des « conjectures [des hypothèses] méthodiques » au « savoir absolu » :

« Toujours donc, tant qu’il y aura des hommes, l’avenir sera ouvert, il n’y aura le concernant que des conjectures méthodiques et non un savoir absolu. » (HT, p.192)

c) Des divergences politiques légitimes qui ne sont pas nécessairement des trahisons

Cette approche merleau-pontienne de la politique, et plus largement de l’action humaine, nous amène à envisager que parfois de petites différences dans la connaissance de la réalité de deux personnes, adossées à des expériences diversifiées, de petites inflexions quant aux hypothèses qu’elles font quant à l’évolution de la situation, peuvent les amener, bien qu’ayant des valeurs proches et/ou des objectifs politiques à long terme peu éloignés, à s’opposer irrémédiablement dans leurs choix politiques conjoncturels.

Il faut pouvoir assumer de telles oppositions tranchées entre personnes proches, en échappant à la diabolisation des divergences politiques :

« Puisque nous n’avons, quant à l’avenir, pas d’autre critérium que la probabilité, la différence du plus ou moins probable suffit pour fonder la décision politique, mais non pas pour mettre d’un côté tout l’honneur, de l’autre tout le déshonneur. » (HT, pp.118-119)

Pourquoi alors avoir si souvent besoin de qualifier de « salauds », de « traîtres », de « pervers » ou d’« irresponsables », ceux qui font des paris différents des nôtres, en mettant « tout l’honneur » de notre côté et « tout le déshonneur » du leur ? N’est-ce pas encore faire référence, mais implicitement, sans le défendre clairement et publiquement, à une certitude absolue en matière d’histoire humaine ? Mais qui dote d’un tel couperet magique, permettant, par avance, de faire le tri définitif dans l’histoire entre le « vrai » et « le faux », plutôt que de simplement distinguer provisoirement du « plus ou moins probable » en situation, nos vrais « esprits sain-t-s » (sains et saints) ? Rationaliste, mais rationaliste plus modeste, Merleau-Ponty, se contente de noter que, en tant qu’êtres socio-historiques situés :

« c’est dans ce risque et cette confusion que nous avons à travailler et à faire paraître, malgré tout, une vérité » (HT, p.106).

« Malgré tout », embrumés dans une « confusion » indépassable et affectés par un « risque » inéliminable, pas par avance, de manière certaine, au-dessus de la mêlée, « une vérité » pas La Vérité ! Ne faut-il pas, à partir de là, dédramatiser la possibilité de divergences politiques raisonnées, tout en menant sereinement et fermement nos combats politiques ? Ne doit-on pas substituer aux joyeusetés de « la chasse aux traîtres », qui font tant saliver les dogmatiques, les sectaires et autres cons perclus de ressentiments, le débat rationnellement argumenté, pour tester la solidité des hypothèses des uns et des autres, afin de poursuivre nos actions politiques avec des repères davantage stabilisés, voire rectifiés en fonction de la discussion ?

Prenons le cas de l’avenir d’une gauche de gauche en France. Faut-il principalement peser dans la force institutionnellement hégémonique, le PS, peser de l’extérieur sur le PS (à partir de « la gauche antilibérale ») ou accumuler des forces et des pratiques novatrices, à l’abri de l’institutionnalisation, dans une stricte indépendance vis-à-vis du PS (stratégie majoritaire du « NPA ») ? Il n’y a aucune certitude en la matière, il n’y a même pas de garantie qu’une gauche de gauche soit encore possible... Le pari raisonné que pourrait formuler quelqu’un ayant quitté l’extrême-gauche dans les années 1980 pour se rapprocher de positions plus « pragmatiques » et celui que pourrait formuler quelqu’un comme moi, ayant passé 17 ans au PS avant d’entrer à la LCR en 1999, ne seront pas sensibles aux mêmes dangers : risque de marginalisation « gauchiste » pour le premier, tendance lourde de l’institutionnalisation anesthésiante pour ce qui me concerne. La discussion peut aider à mieux évaluer la solidité des arguments de l’un et de l’autre, et la portée des expériences respectives qui les soutiennent. Mais demeurera une irréductibilité ne pouvant être tranchée définitivement, sans nous obliger pour autant à l’insulte réciproque [36]. Une irréductibilité à assumer, et non pas à nier au nom d’une rhétorique de la nécessaire « unité ». Car, comme la voie de la diabolisation des adversaires, la quête bécasse de l’unanimisme (« Tous unis, tous unis ! »), elle aussi courante parce que rassurante, s’alimente et alimente l’inintelligence de ce que Merleau-Ponty appelle « un maléfice de la vie à plusieurs » (HT, p.68).

Chez Maurice Merleau-Ponty, les paris raisonnés en politique, maintenant une part de risque, peuvent déboucher sur des échecs, voire des impasses. Ils appellent donc des évaluations de l’action après coup, débouchant sur des rectifications, et cela de manière infinie. Marxisme, stalinisme, démocratie ou anticapitalisme ont ainsi été passés au crible d’un jugement variable selon les moments de l’histoire par le philosophe.

Selon les catégories de Max Weber dans sa célèbre conférence de janvier 1919 sur « La profession et la vocation de politique », « l’éthique de la conviction », éthique qui ne voit que les principes et les valeurs sans égards pour les conséquences de leur application, doit alors être équilibrée par « l’éthique de la responsabilité », qui s’intéresse aux conséquences de l’action [37].

4) Les vicissitudes de l’histoire en train de se faire : marxisme, stalinisme, démocratie, anticapitalisme

C’est une éthique rectificatrice de la responsabilité qui va guider Merleau-Ponty sur le plan politique, quand il passe d’Humanisme et terreur (en 1947) aux Aventures de la dialectique (en 1955), et qui pourrait nous guider après Merleau-Ponty dans son sillage critique.

a) D’Humanisme et terreur...

Aux lendemains de la guerre, Merleau-Ponty s’est ainsi affronté en deux temps au « problème communiste » : il est passé d’une position dite « attentiste » vis-à-vis de l’URSS, dans Humanisme et terreur, alors qu’il se sentait des affinités avec un certain marxisme, à une position résolument critique, qualifiée d’« a-communisme », dans Les aventures de la dialectique (p.311), alors qu’il s’éloignait d’un cadre de référence exclusivement marxiste. C’est une des raisons qui le conduisit à rompre avec Jean-Paul Sartre et Les Temps Modernes en 1953, pris, eux, dans un compagnonnage de route avec un PCF stalinien.

Dans Humanisme et terreur, Merleau-Ponty n’apparaît pourtant pas naïf vis-à-vis de l’URSS stalinienne. Il n’abdique pas son esprit critique à l’égard des tares de la réalité soviétique, en écrivant par exemple :

« la révolution s’est immobilisée sur une position de repli : elle maintient et aggrave l’appareil dictatorial tout en renonçant à la liberté révolutionnaire du prolétariat dans ses Soviets et dans son Parti et à l’appropriation humaine de l’État. » (HT, p.49)

Mais « l’anticommunisme » reste pourtant l’adversaire principal, car Merleau-Ponty fait encore le pari, dans l’élan de la Libération, qu’à une échelle internationale la référence au « communisme » pouvait encore avoir des potentialités émancipatrices. Il s’agit bien d’un pari traversant des zones hostiles, voire périlleuses. L’innocence et la pureté se trouvent irrémédiablement perdues. Le couperet tombe sur les illusions de « mains propres », l’inquiétude devient un aiguillon éthique, et appelle de nouvelles évaluations de la situation et des rectifications ultérieures. L’évaluation, en situation, du communisme soviétique, pouvait susciter des hésitations, et donc des erreurs. Non nécessairement par complaisance à l’égard des tares de la société soviétique (en tout cas celles les plus visibles pour un observateur extérieur et assez éloigné comme lui, doté donc d’une connaissance partielle et filtrée), mais par un pari aléatoire sur les possibilités que pouvait encore contenir la référence « communiste ».

b)... aux Aventures de la dialectique

Dans Les aventures de la dialectique, l’éthique de l’inquiétude n’est pas rompue. Elle est même approfondie, car débarrassée d’une certaine « illusion » marxiste de faire de « la naissance et de la croissance du prolétariat, la signification totale de l’histoire » (AD, p.284) comme de l’attentisme politique à l’égard de l’oppression stalinienne. L’erreur liée à la contingence de l’évaluation est rectifiée. L’histoire est toujours conçue, au croisement de Machiavel et de Marx, comme un :

« milieu mixte, ni choses ni personnes, où les intentions s’amortissent, se transforment, dépérissent, mais quelquefois aussi renaissent et s’exaspèrent, se nouent l’une à l’autre, se multiplient l’une par l’autre [...] faite d’intentions criminelles ou d’intentions vertueuses, et, pour le reste, d’acceptations qui valent comme des actes... » (AD, p.175)

Mais les tentations « d’une purification absolue de l’histoire, d’un régime sans inertie, sans hasard et sans risques [...] reflet inversé de notre angoisse et de notre solitude » (AD, p.12) sont écartées.

c) Un marxisme localisé et un anticapitalisme réaffirmé

Les outils marxistes de critique du capitalisme ne sont cependant pas invalidés, mais leur assise est consolidée par une relocalisation, grâce notamment à une critique approfondie du stalinisme :

« les tares du capitalisme restent des tares, mais la critique qui les dénonce doit être dégagée de tout compromis avec un absolu de la négation qui prépare à terme de nouvelles oppressions. La critique marxiste doit donc être reprise, réexposée toute, généralisée » (AD, pp.320-321)

Les ressources marxistes se trouvent alors épurées de certaines de leurs tendances à la généralisation hâtive et perdent une position d’exclusivité dans le répertoire de la critique sociale. En 1960, dans la préface de Signes, Merleau-Ponty précise :

« Nous disons qu’avec les événements des dernières années le marxisme est décidément entré dans une nouvelle phase de son histoire, où il peut inspirer, orienter des analyses, garder une sérieuse valeur heuristique, mais où il n’est certainement plus vrai dans le sens où il se croyait vrai, et que l’expérience récente, l’installant dans un ordre de la vérité seconde, donne aux marxistes une assiette et presque une méthode nouvelles qui rendent vaines les mises en demeure. » (S, p.15)

Cela ne correspond guère à la rhétorique anti-marxiste issue de l’air du temps des années 1980 — mais qui, déjà quelque peu affaiblie depuis le mouvement social de l’hiver 1995, risque de se démoder encore plus rapidement au contact de la crise financière en cours du capitalisme - d’un Olivier Mongin ou d’un Vincent Peillon. La critique du capitalisme apparaît toujours légitime et nécessaire à Merleau-Ponty, mais elle doit s’intégrer à une palette plus large de critiques d’une variété de modes de domination :

« Une gauche non communiste [...] ne croit pas que les institutions capitalistes soient les seuls mécanismes d’exploitation, mais elle ne les juge pas plus naturels ni plus sacrés que la hache de pierre polie ou que la bicyclette. » (AD, p.314)

Des problèmes, héritages historiques fonctionnant trop souvent comme des identités stabilisées, devront toutefois être réexaminés. C’est par exemple le cas de l’opposition routinisée, et postérieure à Marx dans la tradition marxiste, entre « réformistes » et « révolutionnaires » : est-ce que « ces deux notions usuelles ne permettent plus de comprendre l’histoire d’aujourd’hui ? », demande Merleau-Ponty (AD, p.189).

Par contre, la lutte des classes garde dans ce cadre une forte pertinence, contrairement aux odes à la (gentille) « collaboration de classes » contre la (méchante) « lutte des classes » d’un Vincent Peillon aujourd’hui :

« Il y a une lutte des classes et il faut qu’il y en ait une, puisqu’il y a, et tant qu’il y a, des classes. » (AD, p.312)

Merleau-Ponty n’a pas en tête une vision de l’histoire humaine servant d’auréole aux boy-scouts de « la démocratie de marché » des années 1980 : son cours demeurerait profondément marqué par des contradictions, des conflits, des déchirements et des violences.

d) Les nouvelles alliances du libéralisme politique et de l’anticapitalisme

Le retour positif de Merleau-Ponty sur le libéralisme politique n’alimente donc pas une vision irénique et consensualiste du monde. Il réévalue simplement, à l’aune de la barbarie stalinienne, ce que la critique communiste du capitalisme avait pu faire oublier comme étant des acquis minimaux. Contre l’association conservatrice entre libéralisme économique et libéralisme politique [38], Merleau-Ponty invite même à une association entre libéralisme politique et anticapitalisme :

« la résolution de garder en main les deux bouts de la chaîne, le problème social et la liberté. Le seul postulat de cette attitude est que la liberté politique ne soit pas seulement et pas nécessairement une défense du capitalisme. » (AD, p.314)

Si un Jean Jaurès a pu définir le socialisme comme l’extension des principes républicains et démocratiques, au-delà de la sphère politique, au monde économique et aux autres rapports sociaux [39], Merleau-Ponty a raison, face au stalinisme encore triomphant de l’époque, de rappeler qu’il y a un risque qu’on glisse dans un en deçà des acquis républicains et démocratiques inscrits dans la sphère politique des sociétés occidentales. D’où sa défense du parlementarisme comme garantissant « un minimum d’opposition et de vérité » (AD, p.313). Cette vigilance libérale (au sens du libéralisme politique) apparaît particulièrement actuelle au moment où le souvenir des oppressions qui ont pris le nom de « communisme » s’estompe et que certains, comme un penseur depuis peu à la mode dans les gauches radicales, Alain Badiou, prétendent relancer « l’hypothèse communiste » sans passer par la critique de ces impasses autoritaires et totalitaires, dans la nostalgie même d’une de ses figures historiques, le maoïsme [40].

e) De Merleau-Ponty à Rancière

Mais, légitimement attaché à la préservation de ce minimum, face à l’oppression bureaucratique qui prétend constituer une alternative au capitalisme et à d’autres dominations qui pourraient surgir, Merleau-Ponty est peut-être trop confiant à l’époque dans la portée démocratique des institutions parlementaires, affectées dès le départ par une logique oligarchique associée à la professionnalisation politique, analysée de manière pionnière par Max Weber [41]. Les aventures ultérieures des régimes représentatifs ont souvent été marquées par un étiolement de leurs composantes démocratiques et un grossissement de leurs tendances oligarchiques. L’évaluation en situation proposée en 1955 par Merleau-Ponty pourrait être ainsi rectifiée aujourd’hui par l’analyse d’un autre penseur de la démocratie, Jacques Rancière :

« Nous ne vivons pas dans des démocraties. Nous ne vivons pas non plus dans des camps, comme l’assurent certains auteurs qui nous voient tous soumis à la loi d’exception du gouvernement biopolitique. Nous vivons dans des États de droit oligarchiques, c’est-à-dire dans des États où le pouvoir de l’oligarchie est limité par la double reconnaissance de la souveraineté populaire et des libertés individuelles. On sait les avantages de ce type d’États ainsi que leurs limites. » [42]

Comme Merleau-Ponty, Rancière reconnaît le minimum libéral et démocratique des formes représentatives en usage, en évitant la ridicule extension des figures du « totalitarisme », voire du « fascisme », à la mode dans certains secteurs des gauches radicales, qui alimente le confusionnisme relativiste des tendances « post-modernes » contemporaines. Il trouve une expression plus ajustée pour en saisir les caractéristiques globales : « États de droit oligarchiques ». Le cours sécuritaire de nos sociétés comme la concentration économique des médias contribuent d’ailleurs à affaiblir ces États de droit.

5) Le philosophe et la politique : contre Sartre

Lors de sa rupture avec Jean-Paul Sartre en juillet 1953, Merleau-Ponty est conduit à affiner sa conception de l’engagement et, partant, des rapports entre le philosophique et le politique. Les lettres échangées entre Merleau-Ponty et Sartre à cette occasion (reprises dans P2, pp.129-169), comme les critiques visant Sartre dans Les aventures de la dialectique (le chapitre V s’intitule « Sartre et l’ultra-bolchevisme »), apparaissent, de ce point de vue, passionnantes. D’une certaine façon, Merleau-Ponty reproche à Sartre, dans son rapport à la politique de l’époque, d’être à la fois trop intellectuel et trop peu intellectuel.

a) Les pièges du narcissisme intellectuel

Tout d’abord, Sartre est, pour Merleau-Ponty, trop intellectuel, plus précisément trop intellectualiste. La philosophie de Sartre ferait de l’engagement une « création pure », centrée sur un « sujet pur » qui aurait à assumer sa liberté (AD, p.139). L’engagement serait un phénomène essentiellement volontaire et binaire passant par la conscience : « c’est oui ou c’est non, voilà tout ; le oui comme le non est de volonté » (AD, p.48). Il y aurait chez Sartre un « absolu du vouloir » (AD, p.152), associé à une philosophie qui fétichise le sujet posé, comme souvent dans la philosophie traditionnelle, face au monde des objets (« Sartre, bon cartésien », AD, p.205, porteur d’un « extrême personnalisme », p.206). Dans les années 1950, Sartre a trouvé une incarnation historique de ce sujet : le Parti communiste. Mais, « communiste de l’extérieur » (AD, p.248), il apporte son soutien pour des raisons différentes de celles des militants communistes ; raisons qui auraient à voir avec l’hypertrophie de l’ego intellectuel :

« Le “manque de distance” à soi, aux choses et aux autres, est la maladie professionnelle des milieux académiques et des intellectuels. L’action n’est chez eux qu’une fuite de soi, un mode décadent de l’amour de soi. » (AD, p.43)

Or la vision, classique chez les intellectuels, d’un face à face du sujet (libre) et de l’objet, d’un monde vu comme un spectacle par une conscience individuelle, manque le fait que je est fait des autres, des choses et du monde, qu’il est lesté par eux, qu’il est sensibilité et histoire, et non pure pensée, pure décision intemporelle. Avec Merleau-Ponty émerge une autre approche de l’engagement.

Pour Merleau-Ponty, je suis d’abord au monde avant de réfléchir sur lui de manière consciente, et donc de prendre explicitement et volontairement des décisions. Avant même la conscience réfléchissante, il y aurait un rapport corporel au monde, une présence au monde marquée par la présence préalable du monde :

« Il n’y a pas de conscience qui ne soit portée par son engagement primordial dans la vie et par le mode de cet engagement. » (« Le doute de Cézanne », décembre 1945, repris dans SNS, p.31)

La vie et le monde sont faits des autres, des choses, de l’histoire et de tous ces êtres associant des sujets et des objets (comme les institutions). Je serais d’abord engagé par ce monde, avant de m’engager consciemment dans ce monde. La liberté ne consisterait pas alors « à se retrancher de toutes les inhérences terrestres, mais à les dépasser en les acceptant » (« Le roman et la métaphysique », mars-avril 1945, repris dans SNS, p.44). Ainsi :

« La liberté n’est pas en deçà du monde, mais au contact avec lui. » (« La guerre a eu lieu », juin 1945, repris dans SNS, p.180).

Le non-engagement est donc illusoire, et l’intellectuel qui voudrait s’isoler participerait quand même au cours du monde et aurait, malgré ses intentions explicites, une responsabilité par rapport à lui. De cette façon décalée de poser le problème de l’engagement, on peut tirer qu’on n’est jamais complètement « dégagé », malgré notre volonté de neutralité ou nos légitimes hésitations, et qu’on n’est jamais seulement « engagé » de manière consciente et volontaire. Á chaque fois, on a plutôt à faire avec une certaine façon de nouer du volontaire sur de l’involontaire, du réfléchi sur une sensibilité, de la raison sur du corps, de l’engagement dans le monde sur de l’engagement par le monde. Nos expériences antérieures, qui résonnent, dans nos chairs les plus intimes, de nos histoires communes, constituent alors tout à la fois des points d’appui et des obstacles pour nos actions présentes, qui ne naissent pas de rien. Bref, nous sommes des hippopotames, dopés par le poids de notre passé et freinés par lui.

b) La distanciation face aux maléfices de l’événement

Trop intellectuel, le spectateur sartrien du monde politique l’est aussi trop peu pour Merleau-Ponty. La liberté du sujet sartrien se rejoue à chaque instant, dans l’urgence, sur chaque événement. Hors des fils de l’histoire, déconnectée de la mise en relation des événements entre eux contribuant à leur donner un sens, l’action pure n’est plus « qu’un seul combat monotone, à chaque instant fini, à chaque instant recommencé, pas d’acquisition, pas de trêves, pas de zones d’amortissement » (AD, p.206). Une telle conception de l’engagement « colle à l’événement sans distance » (AD, p.220) et sans mémoire. Le philosophe oublie que ses outils intellectuels lui offrent pourtant des possibilités de distanciation critique. Trop peu politique, car ayant un rapport trop imaginaire à la politique, trop éloigné de son « sol raboteux » (pour reprendre l’expression de Wittgenstein), il est aussi trop peu philosophe. Merleau-Ponty propose, à l’inverse, une méthode associant une vision plus réaliste de la politique et des instruments philosophiques de mise en perspective :

« Cette méthode est plus proche de la politique que ta méthode de l’engagement continué (au sens cartésien). Or, en cela même, elle est plus philosophique, parce que la distance qu’elle ménage avec l’événement et le jugement qu’on en fait désarme le piège de l’événement et en laisse voir clairement le sens. » (lettre à Sartre du 8 juillet 1953, repris dans P2, p.148).

Et de préciser à propos de leurs divergences quant à la conception des Temps modernes :

« Voilà pourquoi j’ai plusieurs fois suggéré de faire dans la revue plutôt que des prises de positions hâtives, des études d’ensemble, bref de viser le lecteur à la tête plutôt qu’au cœur [...]. J’entrevoyais là une action d’écrivain qui consiste à faire le va-et-vient entre l’événement et la ligne générale, et non pas à affronter (dans l’imaginaire) chaque événement comme s’il était décisif, unique et irréparable. » (ibid., pp.147-148)

Or c’est événement par événement que Sartre avale les couleuvres de la politique stalinienne, sans jamais prendre la mesure du stalinisme comme nouvelle forme d’oppression. Pris dans un rapport absolu avec chaque événement, il ne se donne plus les possibilités de rectifier les erreurs inéliminables d’un jugement partiel en situation :

« Á s’engager sur chaque événement, comme s’il était un test de moralité [...] tu te refuses de gaieté de cœur un droit de rectification auquel aucune action sérieuse ne renonce » (ibid., p.147).

Merleau-Ponty défend donc la position du recul contre « le point de vue de l’instant » (AD, p.241), sans pour autant nier de manière intellectualiste les logiques pratiques propres aux « sol raboteux » de la politique. Pour lui, qui est justement resté trop attentiste vis-à-vis de l’URSS aux lendemains de la guerre, il n’est plus question, dix ans après la Libération, de fermer encore les yeux sur une aspiration à l’émancipation qui s’est retournée en son contraire :

« Dès que l’on sort des bonnes intentions, on ne peut faire l’économie d’une analyse du communisme » (AD, p.253).

Les voies ouvertes par Merleau-Ponty nous désignent clairement deux grands types d’impasse auxquels les pitreries intellectuelles nous ont habitués au cours de l’histoire :

  1. la figure de l’Intellectuel apolitique et dégagé, prétendument retiré hors du monde et qui de temps en temps délivre, du haut de son Olympe, un message de mépris à l’égard de nos activités quotidiennes,
  2. et la figure de l’Intellectuel engagé qui croit surplomber le monde de son ego (même s’il s’affuble d’oripeaux abstraits comme « le communisme » et « le prolétariat » : les rhétoriques les plus collectivistes ne se révélant pas toujours les moins égocentrées, en particulier dans les milieux intellectuels) et qui, événement après événement, pense se mesurer seul à l’histoire.

Parmi les autres et non au-dessus des autres ou séparé des autres, exigeant avec lui-même, inquiet de sa propre pente narcissique, soucieux de ses responsabilités sociales, mais n’hésitant pas à prendre du champ pour ne pas avoir les yeux brûlés par les évidences de l’événement, l’intellectuel engagé dessiné en pointillés par Merleau-Ponty apparaît plus fragile mais aussi plus sérieux. Peu de choses à voir, donc, avec la suffisance, le clinquant et les paroles définitives des intellectuels de télévision (ou des anti-intellectuels de télévision, qui leur ressemblent parfois comme des doubles rongés par le ressentiment) !

6) En quête d’une autre philosophie de l’histoire

Nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises la question de l’histoire chez Merleau-Ponty. Car un des fils qui travaille son œuvre politique est la recherche d’une philosophie de l’histoire renouvelée.

a) Un marxisme ouvert, à distance de Hegel

La notion même de « philosophie de l’histoire », très marquée par la contribution de Hegel, est souvent associée à une vision totalisante (formant un « tout ») et évolutionniste (évoluant dans une seule direction). C’est que Merleau-Ponty appelle « le Hegel des manuels », qui :

« dans la mesure où il ramenait l’histoire à l’histoire de l’esprit, trouvait dans sa propre conscience, dans la certitude où il était d’avoir entièrement compris l’histoire et dans la réalisation même de sa philosophie, l’annonce et la garantie d’une synthèse finale. » (« La querelle de l’existentialisme », novembre 1945, repris dans SNS, p. 100)

Or, en rupture avec cet hégélianisme, Merleau-Ponty comprend le marxisme comme une ouverture de l’histoire à la contingence, prenant en compte son hésitation devant plusieurs directions à chaque moment, de manière davantage laïcisée que le déterminisme économiste de nombre de textes marxistes de l’époque :

« Ramené à l’essentiel, le marxisme n’est pas une philosophie optimiste, c’est seulement l’idée qu’une autre histoire est possible, qu’il n’y a pas de destin, que l’existence de l’homme est ouverte, c’est la tentative résolue de ce futur dont personne au monde ni hors du monde ne sait s’il sera ni ce qu’il sera. » (« Autour du marxisme », janvier-février 1946, SNS, p.144)

La double caractéristique tragique et optimiste de l’histoire serait associée à cette même contingence relative (car n’excluant pas le poids des nécessités) ouvrant à la fois la possibilité de la barbarie et de l’émancipation :

« Le monde humain est un système ouvert ou inachevé et la même contingence fondamentale qui le menace de discordance le soustrait aussi à la fatalité du désordre et interdit d’en désespérer » (HT, p. 309).

b) Avec Weber : à l’assaut de la totalité

Marx n’était-il pas lui-même ambigu dans sa vision de l’histoire, et encore plus certains marxistes pétris d’hégélianisme et se représentant le communisme comme une sorte de « fin de l’histoire » ? Car envisager, comme horizon, une société « sans classes et sans État », prétendant effacer les principales contradictions sociales comme les médiations institutionnelles pour les traiter, n’était-ce pas une fois de plus renouer avec « le Hegel des manuels », en s’inscrivant « dans la perspective d’une société vraie, homogène, dernière » (AD, p. 285) ?

Dans Les aventures de la dialectique, le parcours de Merleau-Ponty va alors s’émanciper des seules références marxistes et passer par la sociologie historique de Max Weber, outil d’une laïcisation supplémentaire du rapport à l’histoire :

« ce que Weber a établi de plus sûr : si l’histoire a, non pas un sens comme la rivière, mais du sens, si elle nous enseigne non pas une vérité, mais des erreurs à éviter, si la pratique ne se déduit pas d’une philosophie dogmatique de l’histoire, il n’est pas superficiel de fonder une politique sur l’analyse de l’homme politique. » (AD, p. 44)

Merleau-Ponty est conduit alors non pas à récuser une vision dialectique de l’histoire, faite de contradictions et de conflits, héritée de Hegel et de Marx, mais à en faire plutôt la trame infinie des parcours humains à travers les temps :

« Ce qui est donc caduc, ce n’est pas la dialectique, c’est la prétention de la terminer dans une fin de l’histoire » (AD, p. 285).

Á la fin de sa vie, l’histoire se pluralise même davantage en mouvements non synchronisés chez Merleau-Ponty :

« il y a plus d’un foyer de l’histoire, ou plus d’une dimension, plus d’un plan de référence, plus d’une source de sens. » (préface de S, p.18)

C’est la catégorie même de « totalité » [43] qui apparaît mise en cause ici en son double sens d’inspiration hégélienne : comme mode de connaissance (la possibilité de saisir conceptuellement le « tout ») et comme caractéristique de l’histoire (vue comme un mouvement nécessaire de « totalisation » : « l’Esprit universel » qui « s’élève dans l’histoire comme une totalité transparente à elle-même et apporte la conclusion », selon les mots de Hegel [44]).

En guise de conclusion : Les gauches et Merleau-Ponty aujourd’hui

On vient de souligner combien, sur les plans des Lumières de la raison critique, de l’action politique, du marxisme, du stalinisme, du capitalisme, des rapports entre philosophie et engagement politique ou de la conception de l’histoire, les textes politiques de Maurice Merleau-Ponty pouvaient aider les gauches actuellement dans le brouillard à échapper à certaines confusions et à stabiliser certains repères. Pourtant ces écrits risquent de rester largement méconnus. Pourquoi ?

  1. Au cours des années 1970, « la deuxième gauche » autogestionnaire et antitotalitaire a posé quelques questions intéressantes à l’ensemble de la gauche française : critique d’une culture étatiste bien enracinée et prise au sérieux des expériences totalitaires qui se sont qualifiées de « socialistes », entre autres. Mais elle l’a souvent fait dans une justification de « l’économie de marché », nom euphémisé du capitalisme, désarmant intellectuellement la gauche face à la contre-révolution néolibérale des années 1980 [45]. Rares sont les critiques du totalitarisme, comme Miguel Abensour et Cornélius Castoriadis, qui ont continué à associer vigilance antitotalitaire et radicalité anticapitaliste. Dans le même temps, les forces anticapitalistes qui ont résisté à ce mouvement n’ont souvent pas su lester leur critique du capitalisme de composantes libertaire et anti-totalitaire suffisantes (c’est le cas en particulier, de ma famille politique d’origine, au sein du Parti socialiste : le CERES). Puis, à partir de 1983, c’est la grande majorité de la gauche officielle qui a sombré pratiquement, puis théoriquement, dans l’enlisement social-libéral. Au sein de cette configuration, la professionnalisation politique et le marketing électoral, plus ou moins accompagnés d’anti-intellectualisme, ont pris le dessus. Et « les idées » sont souvent alors conçues comme des bibelots visant à agrémenter une conférence de presse ou un Zénith.
  2. Dans les cours des années 1980, les milieux universitaires se sont fréquemment retirés sur leur Aventin. La logique structurelle de spécialisation des savoirs et les mouvements conjoncturels successifs de désenchantement vis-à-vis des engagements politiques (PCF, gauchismes, PS) ont convergé pour alimenter un fossé entre questionnements académiques et préoccupations politiques. La légitime et nécessaire autonomie dans la production des connaissances s’est fréquemment dégradée en illusoire sentiment d’indépendance. Le peu d’intérêt suscité par les réflexions politiques de Merleau-Ponty, parmi les philosophes en général et parmi les philosophes d’inspiration merleau-pontienne en particulier, en constitue un des signes.
  3. Au carrefour du travail intellectuel et de la politique, les médias ont pris une place importante dans la visibilisation (et, corrélativement, la non-visibilisation) des auteurs et des problématiques. Les spécificités des logiques médiatiques en cours (concurrence pour la recherche du « nouveau », poids de l’urgence, faiblesses dans la formation des journalistes, primat des formats courts, superficialité dans le traitement des thèmes, contraintes de la mise en spectacle, etc.) rendent peu probables la prise en compte d’une philosophie politique des complications comme celle de Merleau-Ponty. Face à cela, la critique vivace des médias (dans ses figures modérées ou dites « radicales ») s’inscrit souvent dans des registres manichéens et superficiels analogues à ceux qu’elle critique.

Des contre-tendances existent cependant. C’est particulièrement le cas dans les gauches critiques : activité des revues (Actuel Marx, ContreTemps, Lignes, Mouvements, Multitudes, Revue Internationale des Livres et des Idées, Vacarme, Variations, etc.), lieux alternatifs de production intellectuelle (Conseil Scientifique d’ATTAC, Fondation Copernic, La Bande Passante, etc.), foisonnement de maisons d’édition (Agone, Amsterdam, Les Éditions de l’Atelier, Atelier de Création Libertaire, Le Bord de l’Eau, Éditions du Croquant, Demopolis, La Dispute, La Fabrique, Lignes, Le passager clandestin, Les Prairies ordinaires, Sulliver, Sens & Tonka, Syllepse, Le Temps des Cerises, Textuel, etc.), etc. Du côté des médias, des expériences plus hétérodoxes sur Internet, comme Mediapart et Rue 89, ouvrent aussi de nouveaux espaces. Ces contre-tendances ne sont pas au même niveau que les tendances lourdes repérées, mais elles contribuent à ouvrir davantage sur l’avenir notre mélancolie intellectuelle et politique.

Notes

[1Outre le travail plus ancien de Claude Lefort, Sur une colonne absente — Écrits autour de Merleau-Ponty, Paris, Gallimard, 1978, voir une exception : Myriam Revault d’Allonnes, Merleau-Ponty — La chair du politique, Paris, Michalon, collection « Le bien commun », 2001.

[2Humanisme et terreur — Essai sur le problème communiste (1e éd. : 1947), Paris, Gallimard, collection « Idées », introduction de Claude Lefort, 1980 ; noté HT.

[3Les aventures de la dialectique (1e éd. : 1955), Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 2000 ; noté AD.

[4Sens et non-sens (1e éd. : 1948), Paris, Gallimard, 1996 ; noté SNS.

[5Signes, Paris, Gallimard, 1960 ; noté S.

[6Parcours 1935-1961, Lagrasse, Verdier, 1997 ; noté P1.

[7Parcours deux 1951-1961, Lagrasse, Verdier, 2000 ; noté P2.

[8Voir Emmanuel de Saint Aubert, Du lien des êtres aux éléments de l’être — Merleau-Ponty au tournant des années 1945-1951, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2004.

[9Pour une critique des tonalités principalement consensualistes de la philosophie politique renaissante dans les années 1980, voir Jacques Rancière, La Mésentente — Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995, et Philippe Corcuff, Les grands penseurs de la politique — Trajets critiques en philosophie politique, Paris, Armand Colin, collection « 128 », 2005 (2e édition refondue).

[10Pour une amorce d’exploration de ce problème, voir Philippe Corcuff, « Merleau-Ponty ou l’analyse politique au défi de l’inquiétude machiavélienne », revue Les Études philosophiques (PUF), n° 2, avril-juin 2001 ; version légèrement modifiée reprise dans La société de verre — Pour une éthique de la fragilité, Paris, Armand Colin, collection « Individu et Société », 2002, pp. 186-202.

[11Daniel Cefaï a présenté une contribution dans cette direction : « Merleau-Ponty et le marxisme — La dialectique comme emblème de la redécouverte de la démocratie », revue Actuel Marx (PUF), n° 19, 1996.

[12Olivier Mongin, « Merleau-Ponty Maurice, 1908-1961 — Humanisme et terreur, 1947 », dans François Châtelet, Olivier Duhamel et Évelyne Pisier (éds.), Dictionnaire des œuvres politiques, Paris, PUF, 1989.

[13Ibid., p.689.

[14Ibid., p.691.

[15Du lien des êtres..., op. cit., p.39.

[16Ibid., p.59.

[17Ibid., p.55.

[18Vincent Peillon, La Tradition de l’esprit — Itinéraire de Maurice Merleau-Ponty (1ère éd. : 1994), Paris, LGF/Le Livre de Poche, 2008.

[19Ibid., p.81.

[20Vincent Peillon, Pierre Leroux et le socialisme républicain — Une tradition philosophique, Latresne (près Bordeaux), Le Bord de l’Eau, 2003, p.17.

[21Ibid., p.19.

[22Ibid., p.18.

[23Ibid., p.21.

[24Ibid., p.32.

[25Ibid., p.20.

[26Dans Ludwig Wittgenstein, Le Cahier Bleu (manuscrit dicté à des étudiants en 1933-1934 à Cambridge), dans Le Cahier bleu et le Cahier brun, Partis, trad. franç. de Guy Durand, Gallimard, collection « TEL », 1965, p.70.

[27Dans Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques (manuscrits travaillés vers 1936-1949), nouvelle traduction par Françoise Dastur et al., Paris, Gallimard ; 2004, Première partie, §107, p.83.

[28Voir le beau portrait contrasté des Lumières dessiné par l’historien Bronislaw Baczko, Job, mon ami — Promesses du bonheur et fatalité du mal, Paris, Gallimard, 1997.

[29Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, collection « TEL », 1945 ; noté PP ; pour davantage de développements sur les apports de La phénoménologie de la perception, dans un dialogue entre sociologie et philosophie, voir Philippe Corcuff, « Le fil Merleau-Ponty : l’ordinaire, de la phénoménologie à la sociologie de l’action », dans Jean-Louis Marie, Philippe Dujardin et Richard Balme (éds.), L’ordinaire— Modes d’accès et pertinence pour les sciences sociales et humaines, Paris, L’Harmattan, collection « Logiques politiques », 2002.

[30Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible (suivi de notes de travail), édition posthume établie par Claude Lefort, Paris : Gallimard, collection « TEL », 1964.

[31Pour ceux qui voudraient pénétrer de manière pédagogique dans les arcanes de la philosophie merleau-pontienne, on recommandera : Renaud Barbaras, Merleau-Ponty, Paris, Ellipses, collection « Philo-philosophes », 1997.

[32Dans Renaud Barbaras, De l’être au phénomène — Sur l’ontologie de Merleau-Ponty, Grenoble, Jérôme Million, 1991.

[33Ibid., p.35.

[34Ibid., p.100.

[35Voir sa « Note su Machiavel » (communication à un congrès de science politique en Italie en septembre 1949), reprise dans Signes, et Philippe Corcuff, « Merleau-Ponty ou l’analyse politique au défi de l’inquiétude machiavélienne », art. cit.

[36Voir dans cette perspective le débat public engagé avec Pierre Ruscassie, ayant eu un itinéraire politique inverse au mien (de la LCR au PS) : « La gauche a-t-elle aujourd’hui besoin d’un parti ? Débat à partir de deux itinéraires politiques différents (de la LCR au PS et du PS à la LCR) », séance de formation-débat organisée par la Fondation syndicale Manu Robles-Arangiz Institutua, Bayonne, 26 novembre 2005, version audio reprise sur http://www.mrafundazioa-alda.org/article-20147538.html.

[37Reprise dans Max Weber, Le savant et le politique, nouvelle traduction de Catherine Colliot-Thélène, Paris, La Découverte/Poche, 2003, pp.188-204.

[38Sur la dissociation du libéralisme économique et du libéralisme politique, et sur l’incorporation de ressources issues de ce dernier dans l’anticapitalisme, voir Philippe Corcuff, « Les traditions libérales et les gauches : pistes critiques en philosophie politique », communication au colloque international « L’utopisme (néo-)libéral », organisé par le laboratoire Triangle (UMR CNRS 5206/ENS Lettres et Sciences humaines de Lyon/IEP de Lyon/Université de Lyon 2), sous la responsabilité de Keith Dixon, Lyon, 8 et 9 décembre 2006, reprise sur Mediapart, 28 mai 2008, http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/280508/les-traditions-liberales-et-les-gauches-pistes-critiques-en-philos.

[39Voir notamment Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils, textes choisis et présentés par Jean-Pierre Rioux, Paris, Omnibus, 2006.

[40Sur la pensée politique d’Alain Badiou, voir Le Siècle, Paris, Seuil, 2005, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, 2007, et « Lettre d’Alain Badiou à Slavoj Žižek », dans Mao, De la pratique et De la contradiction, présentés par Slavoj Žižek, Paris, La Fabrique éditions, 2008.

[41Dans « La profession et la vocation de politique » (janvier 1919), reprise dans Max Weber, Le savant et le politique, op. cit.

[42Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique éditions, 2005, p.81.

[43Pour une critique de la catégorie philosophique de « totalité », voir Philippe Corcuff, « La “synthèse” divine des progressistes — Quand Proudhon, Merleau-Ponty et Lévinas font leur cinéma contre Hegel », revue La Sœur de l’Ange (Éditions Le Grand Souffle), n° 4, automne 2006.

[44Hegel, La Raison dans l’Histoire (cours de 1830), trad. franç. de Kostas Papaioannou, Paris, UGE/10-18, 1965, p.98.

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