La main dans le sac
Les responsables de l’attaque spéculative contre l’état grec et au-delà contre l’Euro sont maintenant connus. Il s’agit de la banque Goldman Sachs et du fond spéculatif géré par John Paulson. Lire l’article très bien documenté de Jean Quatremer paru dans Libé du 17.02 sous le titre « Goldman Sachs contre, tout contre, la Grèce ». Ce n’est pas la première fois que des états et leurs monnaies sont l’objet d’attaque spéculative. Le financier Georges Soros, qui postule maintenant au statut de philantrope, a bâti sa fortune en spéculant successivement contre la livre, la lire et le franc au début des années 90.
Ce qui est toutefois remarquable dans la situation actuelle, c’est que Goldman Sachs a bénéficié des largesses du trésor américain pour se remettre en selle et spéculer de plus belle. Cette banque d’affaire est sortie plus forte que jamais de la dernière tourmente financière. On sait de source américaine qu’une partie de ses profits ont été réalisés en jouant contre ses clients, c’est-à-dire en plaçant auprés de clients naïfs des produits financiers douteux, qu’elle se dépêchait ensuite d’enfoncer pour son plus grand profit.
Et c’est exactement ce qu’elle est entrain de faire avec les États européens.
C’est Goldman Sachs qui se charge de placer sur les marchés les emprunts de l’état grec, portuguais, espagnol... et qui joue ensuite contre ses clients emprunteurs, en n’hésitant pas à diffuser de fausses nouvelles dans les milieux financiers.
La complicité des dirigeants politiques européens
Si ces informations viennent tout juste de tomber dans le domaine public, elles sont connus des « milieux bien informés » et en particulier des gouvernements européens depuis le début de la vague spéculative. Une intervention déterminée de la Banque Centrale Européenne sur les marchés et une affirmation de principe que l’État grec ne serait en aucun cas acculé à la faillite aurait suffit à arrêter les spéculateurs en leur faisant perdre beaucoup d’argent.
Mais ce n’est pas la solution qu’ont choisi les dirigeants européens. Au contraire, ils ont pris prétexte des difficultés financières de l’état grec pour imposer au gouvernement grec nouvellement élu une politique d’austérité sans précédent contre la population. Avec toujours les mêmes objectifs : recul de l’âge de la retraite, privatisation, coupe sombre dans les dépenses publiques, diminution des salaires des fonctionnaires... Et le conseil des ministres européens, main dans la main avec la commission est allé jusqu’à parlé de mise sous tutelle de la Grèce, un pays hier encore indépendant.
Une politique digne du FMI, mais made in Europe
Cette réaction à son tour justifie l’offensive spéculative, la renforce et affaiblit encore plus l’Euro. Mais ce qui importe par-dessus tout à ces grands commis, c’est de mener efficacement la lutte de classe contre les travailleurs.
Tim Brunne un des dirigeants d’UniCredit, première capitalisation boursière bancaire de la zone euro, a fort bien résumé cette alliance : « La politique n’avait aucune chance de contraindre le gouvernement grec. C’est maintenant le marché qui le fait, la politique devrait être reconnaissante ».
Une aberration économique
Les déficits publics de l’État grec justifieraient la défiance des marchés. Les grecs vivraient au-dessus de leurs moyens. Personne ne s’en était avisé tant que la droite de Néa-Démocratia était au pouvoir, baissait les impôts directs, privatisait à tour de bras et pratiquait un clientélisme éhonté. Au contraire, la politique libérale du gouvernement grec et la croissance économique du pays était citée en exemple.
En réalité, le déficit du budget de la Grèce rapporté au PIB est inférieur à celui de l’Espagne, de la Grande-Bretagne ou des USA et l’économie grecque qui représente 3% de la zone euro ne risque guère de mettre celle-ci en péril. Selon J.C. Trichet président de le BCE, les déficits publics de la zone euro dans son ensemble, représentent environ 6% du PIB, alors qu’au USA et au Japon, ce chiffre s’élève à plus de 10%. Pas de quoi fragiliser l’euro.
Mais les états qui ont engagés leur recette pour longtemps en venant au secours des banques, dépendent toujours plus de ces mêmes banques à qui, ils prêtent de l’argent à des taux très bas et au prés de qui, ils empruntent ensuite à des taux que la spéculation fait exploser. C’est exactement ce qui arrive au gouvernement grec et les spéculateurs utilisent les fonds fournit à des taux préférentiels par la Fed ou... la BCE.
Tous les économistes savent — Joseph Stiglitz l’a rappelé il y a peu sur France Inter — que la cure d’austérité imposée à la Grèce va replonger ce pays dans la récession et dégrader les finances publiques avec des risques cumulatifs en Europe. Loin d’avoir tiré les leçons de la crise, la capitulation des États devant les marchés financiers n’est que le début d’une longue descente aux enfers, dont le prix social sera toujours plus lourd à payer.
Le gouvernement Merkel : une menace pour tous les travailleurs d’Europe
C’est la droite allemande qui est la plus acharnée à faire payer à la population grecque les frais de l’offensive financière dont elle est la victime. Elle n’a pas hésité à lancer dans la presse allemande une campagne raciste d’une extrême violence contre le peuple grec, dans des termes encore inconnus en France. Le responsable de l’édition allemande du Financial Times lui-même a qualifié cette campagne de « grotesque et criminelle ».
Il est vrai que la Deutsche Bank, une des grandes banques européennes, n’est pas neutre dans cette histoire. Il semblerait bien qu’elle soit impliquée dans les mêmes manoeuvres que Goldman Sachs. Mais ses intérêts financiers rencontrent un terreau politique fertile.
C’est en Allemagne que les coups les plus durs ont été porté à la classe ouvrière, retraite à 67 ans, démantèlement de la protection sociale, privatisation des services publics et surtout Hartz 4 contraignant les chômeurs à accepter tous travaux « d’utilité publique ».
Pour la droite allemande ce n’est pas suffisant. Elle vient tout juste de relancer l’offensive contre les allocations chômage. Mais il est politiquement insoutenable d’imposer au peuple allemand, qui jouissait il y a peu d’un des plus haut niveau de vie d’Europe, une telle régression en laissant se creuser les écarts avec ses voisins.
Imposer la régression sociale à toute l’Europe est donc devenu un objectif central pour la coalition au pouvoir à Berlin. Pour y arriver, elle est prête à s’allier avec les pires trafiquants qui sévissent sur les marchés financiers. Lorsque l’on sait qu’Axel Weber, l’actuel président de la Bundesbank, a toutes les chances de remplacer J.C. Trichet à la tête de la Banque Centrale Européenne, on peut facilement imaginer la suite.
À qui le tour ?
Les clients de Goldman Sachs ont de quoi s’inquiéter, surtout si leur déficit public dépasse les critères de Maastricht et qu’ils ont un gouvernement classé à gauche – un tout petit peu à gauche – sur l’échiquier politique européen. Ce qui est le cas du Portugal et de l’Espagne. Les déficits de l’Italie sont beaucoup plus importants, mais les spéculateurs n’ont pas encore mis Berlusconi sur leur liste noire. Il doit leur inspirer confiance !
L’offensive conjointe des spéculateurs et de la droite européenne contre ce qui reste des acquis du « modèle social européen » va frapper tour à tour chaque classe ouvrière. Le scénario est bien rôdé. Les spéculateurs désignent la prochaine victime. L’opération est justifiée par le discours des politiques sur les déficits publics et la nécessité d’une bonne cure d’austérité. A son tour le feu vert des politiques permet le succès de la spéculation et l’enrichissement des spéculateurs. Les déficits s’aggravent et justifient d’autant plus les mesures d’austérité...
Les institutions européennes : un danger pour la démocratie
À l’occasion de la crise grecque, les dirigeants européens viennent de franchir une nouvelle étape en prétendant mettre la politique d’un pays sous tutelle. L’offensive réactionnaire atteint une nouvelle étape sur le plan politique. On savait que les institutions européennes n’étaient pas démocratiques, mais c’est la première fois que la souveraineté d’un pays est ouvertement remise en cause par des instances supranationales qui n’ont elle-mêmes aucune légitimité démocratique.
Cette situation n’est prévu par aucun des traités internationaux qui jusqu’ici régissaient le fonctionnement de l’UE. Il s’agit bel et bien d’un coup de force. La superstructure européenne qui s’est érigée au-dessus des peuples et s’est développé contre les intérêts populaires, menace maintenant de se substituer aux structures politiques nationales, si le cas grec devait faire jurisprudence.
Un programme de rupture avec l’Europe capitaliste
Les opposants au projet de constitution européenne savent que le mot d’ordre d’Europe sociale n’est qu’un slogan vide de sens à partir du moment où on respecte les traités sur lesquels l’Union Européenne est bâtie. Mais la rupture avec le cadre institutionnel européen restait jusqu’ici une perspective assez abstraite.
Au cours de la crise grecque, l’engagement des institutions européennes au côté des secteurs les plus réactionnaires et des plus parasitaires du capital rend cette question concrète. En menaçant la Grèce d’exclusion de la zone euro, Westerwelle le vice-chancelier allemand, nous conduit à nous poser concrètement la question de la sortie du carcan de la monnaie unique.
La crise financière a mis en pleine lumière le problème de la souveraineté des états par rapport aux bourses et aux émetteurs privés de crédit. Ceux qui font de l’euro un instrument des marchés contre les choix politiques populaires, nous poussent à envisager pratiquement l’abandon de l’euro.
Dans les pays européens, une politique de défense de la grande masse de la population contre la crise, s’affronte immédiatement aux institutions de l’Union Européenne. Sortir de cette union, s’affranchir du carcan des traités européens et de sa monnaie devient donc une question d’actualité.
Tout programme qui vise à répondre à l’urgence sociale et écologique doit prévoir cette rupture. Cette perspective rend d’autant plus nécessaire la construction dans la lutte quotidienne de l’Europe des travailleurs et de la solidarité internationale contre l’Europe impérialiste du capital.
Le 19.02.2010.