- Comment avez-vous découvert Che Guevara et qu’est-ce qui vous a le plus touché chez lui ?
Mr. R : Vers 13 ans je portais des tee-shirts du Che sans vraiment savoir qui c’était. Je savais juste que c’était un révolutionnaire. J’ai commencé à m’y intéresser un peu plus en me documentant sur Cuba. Je me suis éduqué historiquement à travers le projet qu’Olivier m’a proposé. J’ai lu quelques livres et j’ai mieux cerné son parcours politique et personnel.
Olivier Besancenot : Moi aussi j’avais 13 ou 14 ans et je connaissais cette ombre du Che sans avoir ce à quoi cela référait, quelle était sa pensée ou son action. Son côté Robin des Bois rouge qui a pris les armes et fait la révolution me plaisait. J’avais envie de mieux connaître sa pensée politique et j’ai commencé à lire ses écrits. C’est la première figure révolutionnaire dont j’ai lu les écrits. Je me suis reconnu dans son parcours comme beaucoup de jeunes encore aujourd’hui. C’était une sorte d’entrée en matière.
- Comment vous êtes vous rencontrés ?
OB : On s’est rencontré parce qu’on avait un pote en commun et R avait fait la reprise d’« Antisocial » de Trust en rap. On devait faire un petit interlude juste avant. Le projet me parlait car la chanson était toujours d’actualité et l’idée de reprendre en rap ce qui était du rock m’intéressait. Avant il y avait un mur entre le rock et le rap. Maintenant, certains ont découvert qu’il y a une filiation entre un certain type de rap et un certain type de rock. Quand R a eu des problèmes avec un député UMP, j’étais aussi à ses côtés. R, le premier rappeur censuré !
R : Le discours d’Olivier est revendicatif. Il se rapproche de mon rap engagé et militant. Il y a un parallèle entre les deux.
- Olivier, que reconnais-tu de ton engagement dans le rap ?
OB : Je reconnais une partie de ma propre histoire. Quand je me remémore mes premiers engagements politiques, j’écoutais du rap. Mais je ne fais pas de transfert politique dans le rap. Certains projets peuvent se rencontrer, c’est le cas ici. On a longtemps vécu dans cette idée-là : que les quartiers avaient une seule voix politique, sociale et culturelle. Aujourd’hui on se rend compte qu’entre Gynéco et R il y a une marge.
- Ce projet est truffé de termes révolutionnaires : « triompher ou mourir », « camarade », « peuple », « révolte ». Comment vous êtes vous chacun imprégné de l’univers de l’autre ?
R : Avant que je ne rentre dans le projet, Olivier m’a envoyé une partie du livre qu’il était en train d’écrire avec Michael Löwy. « Triompher ou mourir » vient d’une phrase du Che. Pour moi, il était logique que les thèmes et l’écriture soient proches du monde révolutionnaire. Mon rap n’est pas militant car je ne suis pas militant mais il est engagé. Je me sens donc très proche des idées révolutionnaires. Je trouve le monde injuste et aujourd’hui vouloir un monde plus juste signifie être révolutionnaire.
OB : Dans le livret, j’ai essayé de condenser la pensée et de mettre sur papier ce qui pourrait donner à d’autres l’envie de découvrir plus. Le Che n’a pas fait que prendre un flingue et tuer des méchants. Il a essayé de réfléchir à un socialisme différent du socialisme russe et il a toujours dérangé. Notre complémentarité se fait naturellement. R a aussi chanté « L’Internationale » en reggae lors de nos meetings de campagne.
- En quoi le rap peut-il apporter des changements ?
R : Je crois que la musique peut déclencher une prise de conscience chez les gens. Comme moi avec Bob Marley. Je ne comprenais pas un mot d’anglais mais je ressentais la musique et ça me parlait. J’ai grandi en écoutant Assassin et NTM et ça a un peu participé à forger ma personne mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Après les émeutes, j’ai fait un morceau pour inciter les jeunes à aller voter. Jamel et Joey Starr se sont ralliés à cette cause aussi. C’était bénéfique car les politiques ne sont pas du tout écoutés dans les quartiers. Fadela Amara se fait insulter quand elle se rend dans les quartiers populaires. Les partis politiques institutionnels ne sont pas les bienvenus. Mais la musique ne va pas changer le monde. Si la politique n’est pas capable de changer le monde, la musique encore moins.
- Alors à quoi cela sert-il de faire un album sur le Che ?
R : J’avais fait une compilation en 1998 contre le FN qui s’appelait « Sachons dire non ». À l’époque, je voulais changer les choses avec ma petite compilation. Si une personne allait s’inscrire sur les listes électorales et réalisait que le FN était dangereux grâce à mon album, je trouvais cela déjà bien. Sur mon site Internet, beaucoup de jeunes me remercient car grâce à ce projet, ils ont appris beaucoup de choses sur le Che. C’est déjà ça de fait.
- Olivier, Joey Starr t’a dit une fois que c’était ton boulot de faire bouger les choses.
OB : On avait eu un entretien croisé et je lui disais « pourquoi ne pas plus s’engager » et il me disait « parce que c’est ton boulot ». Joey Starr fait partie d’un collectif qui s’appelle « Devoir de Mémoire » et quand on lui demande « pourquoi n’avez-vous pas fait cela avant ? » il répond qu’il l’a toujours fait. Dans ses textes, avec NTM et dans son engagement. Comme dit R, je pense que la musique sert à faire évoluer des consciences. Ce monde ne dépend que de nous quand on regarde bien. Chacun est dans son registre et chacun vit son engagement. Mon créneau, c’est de manifester, tracter, afficher, faire des assemblées générales. R a un engagement artistique mais parfois les chemins se croisent.
- Comment s’est passée votre rencontre avec Keny Arkana ?
R : Je l’ai rencontrée à l’un de ses concerts. On s’est rappelé et je lui ai parlé du projet. Olivier m’a donné l’idée de faire une chanson sur le Che et Lumumba, un révolutionnaire africain de la République démocratique du Congo. Keny a des origines argentines et j’ai des origines congolaises alors cela ne pouvait pas mieux tomber. Je pense qu’on se rejoint. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit que quand elle avait 13 ans c’est en écoutant mes disques, entre autres, qu’elle a eu envie de faire du rap. C’est ça la force du rap engagé. Pour moi, Keny Arkana est la première fille qui marche et qui fait du rap engagé. Je pense qu’on en avait besoin. On s’entend très bien. On va faire le morceau à l’Olympia au mois de novembre avec elle et on a d’autres projets.
- Au départ tu avais imaginé ce projet comme un collectif ?
OB : Je ne me souviens plus vraiment comme tout a commencé. Cela a toujours été un projet ouvert.
R : Mouss et Hakim étaient sur leur projet Origines Contrôlées et n’avaient pas le temps de s’investir. MAP était en tournée, moi aussi j’étais occupé. Pour moi, ce projet appartient à tout le monde. Peut-être que demain il prendra d’autres formes. C’est une œuvre multiple.