D’un état d’urgence à l’autre, on porte atteinte aux libertés publiques

, par VACHETTA Roseline

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De 1955 à 2016, on observe une permanence des recours à la loi d’urgence dans la gestion des crises politiques et sociales, avec quelques adaptations des textes mais une constance dans la volonté des gouvernements successifs à nous habituer à vivre dans une république autoritaire et policière.

Le 3 avril 1955, une loi pour organiser « la guerre à outrance » contre le FLN algérien

Le 3 avril 1955, la première loi sur l’état d’urgence, adoptée pour l’ensemble du territoire français, a pour fonction de s’appliquer en Algérie afin de mater le FLN et de légaliser la terreur contre des populations tentées de s’y rallier.
Elle permet la mise en œuvre de mesures d’exception. Elle donne les pleins pouvoirs aux préfets et au gouverneur général en Algérie, elle organise le contrôle disciplinaire des populations. De nombreuses libertés individuelles et collectives sont supprimées : couvre-feu, réglementation de la circulation et du séjour dans certaines zones, interdiction de séjour, assignation à résidence chez soi ou dans des zones choisies par le pouvoir, fermetures de lieux publics et de cafés, interdiction de rassemblements, perquisitions, interrogatoires, contrôle des médias. La juridiction militaire devient compétente pour juger de crimes et de délits relevant de la cour d’assises. Cette loi s’inscrit dans les pratiques du régime colonial, plusieurs de ses prérogatives s’appliquaient déjà, notamment les arrestations arbitraires d’Arabes, ou leur assignation à résidence dans des lieux choisis par le pouvoir et pour une durée indéterminée. L’application de cette loi, jamais abrogée cesse trois mois plus tard. Mais elle ouvre la porte à la loi dite des pleins pouvoirs votée en mars 1956, qui sous couvert d’obtention de renseignements, légalise tous les assassinats, les tortures et les viols.

L’état répressif se met à l’abri des garanties judiciaires

De Gaulle banalise la pratique de l’état d’exception, l’état d’urgence s’applique presque sans interruption pendant toute la durée de la guerre d’Algérie. Dans le même temps, le chef de l’État utilise l’article 16 de la Constitution, qui lui donne les pleins pouvoirs, afin de décider seul la prorogation de l’état d’urgence et d’en décréter la fin par ordonnance le 31 mai 1963. Le Parlement est dessaisi du pouvoir législatif et la justice de celui de juger. Sur les mesures supplémentaires adoptées, il y a le prolongement de la garde à vue jusqu’à 15 jours, et la création de "l’internement administratif". Si l’état d’urgence, entre 1958 et 1963, est décrété en particulier contre les généraux putschistes, puis contre les criminels de l’OAS, toutes les mesures de la loi de 1955 s’appliquent également. Ainsi, l’interdiction de manifester pénalise lourdement les militants pour la libération de l’Algérie, comme à Charonne le 8 février 1962. De plus, l’état d’exception favorise un climat ouvertement raciste, qui aboutit de manière terrifiante le 17 octobre 1961, à l’assassinat de centaines d’Algériens jetés dans la Seine par des forces de police alors qu’ils manifestaient pacifiquement.

Un outil contre les révoltes légitimes là-bas et ici

  • En Kanaky, le 12 janvier 1986, lors du conflit violent entre pro et anti indépendantistes, Eloi Machoro est tué par le GIGN. Pisani, nommé haut commissaire avec mission de ramener l’ordre, décrète l’état d’urgence. Cette nouvelle loi sera appliquée avec toute la violence du néo colonialisme, contre des centaines de Kanaks arrêtés, brutalisés et « exilés » dans les prisons de l’hexagone. La loi sera étendue à Wallis et Futuna et en Polynésie.
  • Même en 1968, la loi ne s’était jamais appliquée spécifiquement sur le continent. Mais lors des émeutes dans les quartiers populaires de fin octobre 2005, celle-ci fut décrétée puis votée par le parlement jusqu’en janvier 2006 dans 25 départements. Dans ses modalités d’application, elle insiste sur le couvre feu, la multiplication des contrôles d’identité, l’interdiction des rassemblements, "au delà de trois personnes" pour certains maires particulièrement zélés ! Non seulement sont visés des jeunes souvent issus de l’immigration néo coloniale, mais la loi d’exception devient concrètement le droit commun dans la gestion, voire la prévention, des conflits sociaux.

Réformer la Constitution pour tenter de nous habituer à l’inacceptable ?

Toutes les lois d’urgences ayant été jugées conformes à la Constitution, la question n’est pas inutile. La nouvelle loi, si elle ne reprend pas la mise sous tutelle des médias va plus loin puisque c’est le comportement suspect qui est réprimé et non plus l’activité. Constitutionnaliser ouvrira la possibilité de prolonger pendant 6 mois les mesures de l’état d’urgence sans avoir besoin de recourir une nouvelle fois au vote du Parlement. Et surtout de nous habituer peu à peu à l’inacceptable : un Etat d’exception permanent !

Dans ce contexte, le Centre d’Information Inter-Peuples ne peut qu’exiger la suspension de cet état d’urgence liberticide...

P.-S.

C.I.I.P. (Centre d’Information Inter-Peuples), 17 mars 2016. URL : (site inaccessible)

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