Un anniversaire oublié

Averroès (1126-1198) philosophe arabe d’avant-garde

, par BÉNIES Nicolas

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Tout se fête. On en sait quelque chose, avec Mai 68, par exemple. Les commémorations se succèdent, quelquefois sans fondement. Il reste, pourtant, des anniversaires oubliés. Celui d’Averroès-Ibn Rushd en fait partie. Ce philosophe arabe, à la confluence de toutes les cultures et qui a jeté, il y a 800 ans, les bases d’une pensée rationaliste à partir des écrits d’Aristote, est l’un des grands penseurs de la Méditerranée. Né à Cordoue, médecin et juriste - il écrira dans ces deux disciplines - tout autant que philosophe, il sera cadi à Séville, grand cadi à Cordoue et mourra à Marrakech, après être tombé en disgrâce. Sa descendance sera en partie le fait des philosophes juifs, avec cette volonté de séparer la philosophie et la croyance, (surtout chrétienne) . Le Moyen Age sera « averroïste » et découvrira, par son intermédiaire, Aristote. Ernest Renan lui rendra hommage, sans toutefois le comprendre totalement. Dans le contexte du déclin de l’empire Arabe, Averroès combattra tous les ayatollahs, dirait-on aujourd’hui.

« N’est-il pas temps de relever la barrière d’Averroès pour la porter en avant ? », s’interrogeait récemment Salman Rushdie [1] pour lutter contre tous les intégrismes. Deux biographies [2] permettent de redonner au philosophe arabe la place essentielle qu’il mérite. Les auteurs utilisent des méthodes différentes et complémentaires. Cet « intellectuel » - terme qui n’existe pas en langue arabe comme le souligne Dominique Urvoy - commente, confronte les traductions d’Aristote pour construire un système philosophique original. Aristote et le Coran ne sont pas censés faire bon ménage. Aussi les sépare-t-il. Ce sont deux sphères différentes, mais non contradictoire s. La recherche de la Vérité ne souffre pas de « révélations ». Si Roger Arnaldez remet à l’ordre du jour la cohérence de cette pensée, Dominique Urvoy tente de replacer Averroès dans son temps, celui de la chute de la dynastie almoravide, tout en soulignant le mouvement de cette pensée. Toutes les audaces théoriques sont permises, sans aller jusqu’à la rupture fondamentale avec la religion, avec le Coran.

Il ne s’agit donc pas de commémorer , mais de rendre vivante une pensée trop souvent oubliée et qui a fait l’objet de traductions latines perverties par l’interprétation. Pour sa part, Alain de Libera [3] fait le compte des mécomptes des traductions d’Averroès et propose de revenir au texte.

P.-S.

Article paru dans Le Monde Diplomatique, août 1998.

Notes

[1Le Monde, 16 octobre 1997.

[2Dominique Urvoy, Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman, Flammarion, coll. « Les Grandes Biographies », Paris, 1998, 253 pages, 140 F ; et Roger Arnaldez, Averroès, un rationaliste en Islam, Balland, coll « Le Nadir », Paris, 1998 (2e édition), 237 pages, 120 F.

[3Dans la présentation de L’intelligence et la Pensée, sur le De anima d’Averroès, dans la collection de poche Flammarion, Paris, 1998, 413 pages, 40F. Nouvelle traduction d’Alain de Libera, avec un ensemble de notes permettant de comprendre la logique de l’auteur et un index.

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