Réforme Blanquer du lycée professionnel : « C’est un entre-deux nocif »

, par PALHETA Ugo

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À sa prise de fonction, Jean-Michel Blanquer avait annoncé que la réforme du lycée professionnel serait l’une des ses priorités. Ce lundi 28 mai, le ministre de l’Education nationale en a présenté les grandes lignes. Ugo Palheta, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Lille 3, analyse pour Marianne ces annonces.

Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a annoncé les principaux points de la réforme du lycée professionnel - Thierry Zoccolan © AFP

« Il est temps de créer de véritables « Harvard professionnels » ». Ce lundi 28 mai, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer est passé de l’affichage de son ambition à des propositions de réforme du lycée professionnel. D’abord, à partir de la rentrée 2019, les élèves n’auront à choisir leur spécialisation qu’à partir de la classe de première, et non plus dès la seconde. Pour leurs premiers pas au lycée, ils rejoindront donc des classes de « familles de métiers » (métiers du bois ; de l’hôtellerie-restauration-tourisme ; de la relation client...). Le but étant de leur permettre de se spécialiser plus progressivement. D’autre part, au moins trois « campus d’excellence » seront créés par région d’ici à 2022. Ces établissements, qui regrouperont des filières professionnelles allant du CAP à la licence, seront tournés « vers les métiers d’avenir » et devront proposer des formations « adaptées » aux besoins du territoire d’implantation en termes d’emplois, afin de favoriser l’insertion professionnelle des étudiants. Enfin, 2 000 classes « passerelles » devraient être créées : sorte de classes préparatoires pour les bacheliers professionnels désirant gagner des BTS. Une révolution ? Ugo Palheta, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Lille 3, analyse ces annonces.

  • Jean-Michel Blanquer prétend « revaloriser » la voie professionnelle pour en faire une orientation d’ « excellence ». Ses annonces vous paraissent-elles aller dans ce sens ?

Ugo Palheta : La rhétorique de l’excellence destinée à des filières qui accueillent presque exclusivement des enfants de classes populaires pour les former à occuper des postes d’exécution, c’est un simple raffinement de très vieux discours. L’intention de revaloriser les métiers manuels, les filières professionnelles, cela fait 50 ans qu’on l’entend ! Dans les années 70, il y avait même un ministre de la Revalorisation du travail manuel… À chaque fois, ce sont les mêmes mesures cosmétiques qui sont servies : on promet davantage de possibilités pour la poursuite d’études de ces élèves, on simplifie la carte des formations, on vante l’alternance et on utilise des termes mélioratifs pour mieux vendre les nouveautés. Mais en fin de compte, rien ne change, c’est de l’enfumage.

  • La mise en place d’une seconde plus généraliste, afin de permettre aux lycéens de connaître différents métiers avant de spécialiser, n’est-ce pas ouvrir plus largement les portes du lycée professionnel ?

Cela ne va rien changer à la marginalisation de cette voie et de ceux qui la fréquentent. C’est de l’habillage. Quel est le but ? Les rendre davantage polyvalents ? Leur laisser le temps de se trouver ? Avec ce type de formations vagues et très larges, on va rendre plus difficile l’insertion professionnelle de ceux qui seront pressés de gagner le monde du travail. Cet entre-deux est nocif.

Ils pourront toujours choisir de faire la classe de terminale en alternance...

Pas sûr que ce soit positif pour les jeunes. Prenons un lycéen qui opte pour une terminale en alternance après une première à l’école et une seconde en « famille de métiers » : les employeurs qui pouvaient être tentés de l’embaucher en pensant qu’il a bénéficié d’une formation très pointue pourraient désormais être découragés. Ils pourraient penser qu’il n’a eu qu’une formation assez vague et très scolaire, le tout dans une famille de métier très large…

J’ai le sentiment que le gouvernement ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire des voies professionnelles. D’autant que créer 2 000 places, ce n’est rien du tout.

« On va rendre plus difficile l’insertion professionnelle de ceux qui seront pressés de gagner le monde du travail »

  • Pour permettre à ces élèves de poursuivre leurs études, le gouvernement promet des « classes passerelles » facilitant l’orientation des bacheliers professionnels vers les BTS. Est-ce un progrès à vos yeux ?

Il y a quelque chose de contradictoire dans les intentions du gouvernement. D’un côté, avec Parcoursup, on empêche un maximum d’élèves des filières « pros » et de « technos » d’aller vers l’université. C’était le but visé par la mise en place d’ « attendus » – et ce, même en filière non sélective – et en prétextant les difficultés que ces élèves pourraient rencontrer en licence, que personne ne conteste d’ailleurs. Et alors de l’autre côté, avec cette réforme du lycée professionnel, on dé-professionnalise la filière avec une seconde généraliste. Comment pourront-ils dès lors rejoindre des BTS ou des DUT, qui sont parmi les voies les plus sélectives ?

  • Comment rendre ces filières plus attractives, alors ?

Si vous voulez espérer que n’importe quel collégien se pose au moins la question de se diriger vers ces filières, il faudrait agir sur les conditions de travail et les émoluments des emplois qui peuvent être obtenus par ces formations. Là encore, on peut se gargariser de la création de campus dit « d’excellence » mais ça ne va pas changer la donne si les perspectives d’avenir sont minces. Ce qui changera la donne c’est qu’ils puissent envisager avoir un avenir social décent, que leur établissement s’appelle « lycée des métiers » ou « campus d’excellence ».