Permanences impertinentes

, par EPSZTAJN Didier

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  • Helena Hirata, Maria Rosa Lombardi et Margaret Maruani (Sous la direction de), Travail et genre : Regards croisés — France Europe Amérique latine, La Découverte, Paris, 2008, 278 pages, 25 €.

« L’ambition n’est pas d’ajouter une variable supplémentaire, le genre, mais d’affiner la constructions de nouvelles approches et problématiques avec la conviction qu’en approfondissant l’analyse des différences de sexe sur le marché du travail, on ne contribue pas seulement à l’accumulation de savoirs sur l’activité féminine et masculine, mais aussi à la progression des connaissances sur le monde du travail. »

L’ouvrage est divisé en trois parties « Marché du travail et genre : comparaisons internationales », « Entre vie professionnelle et vie familiale : pratiques et politiques » et « Genre, professions et carrières ». J’extrais de ce riche ensemble, quelques articles ou pistes qui m’ont semblé particulièrement pertinents ou novateurs, tout en soulignant que de nombreux articles, par leur démarche même de comparaison entre pays, enrichissent la compréhension des modalités changeantes des articulations entre genres, ou rapports sociaux de sexe et travail.

Outre la poursuite de l’analyse du sexe du chômage, Margaret Maruani souligne la conjonction d’une mutation essentielle (la forte progression du travail salarié des femmes) et la permanence d’inégalités coriaces. « La féminisation du salariat n’est pas l’égalité des sexes mais la liberté des femmes. »

De la comparaison entre Paris et Sao Paulo, dans une analyse prenant en compte à la fois les rapports sociaux de sexe (le genre), le racisme (la « race », bien évidemment non comprise au sens biologique, mais comme classification sociologique) et les trajectoires, les auteures font ressortir que « les mécanismes qui construisent la ségrégation doivent être recherchés dans la trame spécifiquement tissée dans chaque métropole par les différences et les hiérarchies symboliques socialement construites. » Elles montrent qu’à Sao Paulo « la variable sexe apparaît comme une sorte de séparateur qui organise les chances d’accès des individus aux divers parcours sur le marché du travail » et que la segmentation « raciale » « dans le parcours des individus les plus vulnérables au chômage a plus de chance de se manifester à Paris qu’à Sao Paulo. »

Analysant les grandes entreprises en Europe et au Brésil et les politiques d’égalité des chances, Paola Cappellin conclut : « L’abandon de la centralité de l’emploi, qui n’est plus le lieu préférentiel, ou corriger la maturation des asymétries de traitement conduit les entreprises à mettre l’accent, dans des programmes d’aide à la population, sur les dimensions traditionnelles de la féminité, à la fois maternelle et domestique. Autrement dit, en abandonnant la sphère du travail comme cœur de la formation des rapports asymétriques de genre, on ne fait que récupérer la dimension essentialisée de la féminité, pour développer ce que l’on pourrait appeler le maternalisme des organisations ».

L’étude sur le temps de travail des hommes et des femmes en Europe, prend logiquement en compte, mais cela ne semble pas un acquis pour tou-te-s les sociologues, à la fois les emplois rémunérés et le travail domestique et souligne le sur-travail hebdomadaire des femmes.

L’étude de Bila Sorj et Adriana Fontes « Familles monoparentales féminines, pauvreté et bien-être des enfants » précise les différentes utilisations des budgets, la qualité du suivi scolaire et le travail des enfants dans différentes régions du Brésil. L’étude porte sur les familles dont le chef est une femme seule, un homme seul, une femme avec présence du conjoint et un homme avec présence de la conjointe. Il ressort très nettement que les comportements ne sont pas uniquement liés à la pauvreté mais sont aussi structurés par le genre (l’équipement du foyer, en est un exemple frappant). Les résultats des enquêtes contredisent l’assertion qui voudrait que « les enfants de familles pauvres ayant pour chef de famille une femme connaissent une plus grande vulnérabilité que les enfants relevant de configurations familiales conventionnelles. »

L’article le plus stimulant me paraît être celui de Celi Scalon, Clara Araujo et Felicia Picanço, « Genre, famille et travail dans une perspective comparative », qui intègre dans la réflexion sur les médiations entre vie familiale, travail domestique et travail rémunéré, les différences entre perceptions, pratiques et niveau de satisfaction des femmes et des hommes. La conclusion est bien évidemment que les femmes « sont les plus insatisfaites de la façon dont sont conciliés travail rémunéré et vie privée et familiale. »

Cette démarche est aussi présente dans l’étude sur « Travail domestique et organisation des temps de vie dans les ménages » et « Division sexuelle du travail professionnel et domestique ». Les auteures (Helena Hirata et Danièle Kergoat) de ce dernier article résument ainsi les points forts des nouvelles modalités de la division sexuelle du travail :
— « Réorganisation simultanée du travail dans le champ salarié et dans le champ domestique . Cela renvoie, en ce qui concerne ce dernier, à l’externalisation du travail domestique mais aussi à une nouvelle division du travail domestique
— Double mouvement : d’une part de masquage, d’atténuation des tensions dans les couples bourgeois, et d’autre part d’accentuation des clivages objectifs entre femmes ».

Tous les articles non cités n’en sont pas moins à étudier. Division sexuelle du travail, exploitation et oppression/domination des femmes, « l’égalité est aussi genrée ».

Je termine cette note de lecture en reproduisant la conclusion de l’article « La pluralité des modèles de féminisation des professions supérieures en France et en Grande-Bretagne » de Nicky Le Feuvre : « Dès lors que les femmes se trouvent en position d’accéder à tous les secteurs de ces groupes professionnels, la pression pour la transformation des fondements matériels et symboliques du système sexe/genre devient forte... C’est pour cette raison que l’avancée en mixité des anciens bastions masculins constitue bel et bien un enjeu social et politique fondamental, sans pour autant pouvoir représenter, à elle seule, une solution à envisager de manière univoque dans la lutte contre les inégalités de sexe dans les sociétés contemporaines. »

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