« Nous sommes à un tournant à Cuba »

, par HABEL Janette

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L’APRÈS-CASTRO. Les mesures d’assouplissement des règles régissant le quotidien de la population se multiplient. Une nouvelle révolution dans l’île ? Les réponses d’une chercheuse à Paris.

Après la mise en vente libre des ordinateurs et téléphones portables, le président cubain, Raul Castro, vient d’autoriser ses concitoyens à accéder aux hôtels d’ordinaire réservés aux étrangers. L’analyse de Janette Habel, chercheuse et enseignante à l’Institut des hautes études d’Amérique latine, à Paris.

Le Temps : Dans quel cadre s’inscrivent ces mesures ?

Janette Habel : Elles font suite à la série de débats organisés en 2007 par Raul Castro et qui avaient permis de mettre au jour les attentes de la population. Les Cubains avaient réclamé des améliorations économiques et une levée des interdictions qui pèsent sur leur quotidien. Raul Castro a expliqué il y a quelques semaines que l’interdiction de posséder un téléphone portable ou une vidéo était justifiée par la crise et qu’elle n’avait donc plus lieu d’être aujourd’hui. Fidel Castro, lui, la légitimait par la nécessité de lutter contre les inégalités. En levant la prohibition, Raul Castro apparaît comme plus ouvert et pragmatique que son frère. Cela améliore son image.

- Les Cubains ont-ils les moyens de s’offrir un ordinateur ou une nuit dans un palace ?

Les Cubains sont payés en pesos - 400-450 pesos par mois en moyenne - et ces objets ou services se monnaient en CUC (ndlr : pesos convertibles). Seuls les gens ayant accès aux CUC pourront donc s’offrir ces biens : quelques artistes, ceux qui ont de la famille à l’étranger ou qui travaillent dans le tourisme notamment. Il ne sera pas interdit d’acheter un téléphone en pesos mais 1 CUC valant 24 pesos, cela reviendra excessivement cher pour un Cubain.

- Peut-on, dès lors, parler de mesures cosmétiques ?

Non, ces mesures concernent certes une minorité de Cubains mais une forte minorité. On estime que 30 à 40 % de la population possèdent des CUC. Reste à savoir s’ils en possèdent 10 ou 1000 ! L’important est que ces décisions seront suivies par d’autres, dans le secteur agricole notamment. La productivité sera stimulée, la petite propriété éventuellement encouragée. Raul Castro a également évoqué une réévaluation du peso, l’idée étant d’aller vers une monnaie unique.

- Et au niveau politique ?

L’administration pourrait être restructurée, le Conseil des ministres réorganisé. Un congrès du Parti communiste est annoncé pour 2009 ; il n’y en avait pas eu depuis plus de dix ans ! Il ne faut cependant pas espérer des changements majeurs, mais sûrement une plus grande tolérance, quant à la liberté d’expression notamment.

- Le Congrès des écrivains et des artistes cubains se réunit à partir de ce mardi. Faut-il en attendre quelque chose ?

Les artistes ont ouvert le feu des critiques l’année passée. Ils vont continuer. Ils avaient réussi à provoquer des débats à travers tout le pays, ainsi que certains changements. On trouve aujourd’hui à Cuba des livres d’écrivains immigrés et la presse - officielle, puisqu’il n’y en a pas d’autre - ose parfois certaines critiques.

- Ce « vent » d’ouverture est-il dû à l’éloignement du Lider maximo ?

Non. Les difficultés économiques sont telles à Cuba que la population est à bout de souffle. Les gens n’en peuvent plus - la crise dure depuis vingt ans - et réclament des améliorations au niveau des transports, du logement ou encore de l’alimentation. Les jeunes, en outre, sont de plus en plus critiques et impatients. Tout cela ne veut pas dire que nous sommes à deux pas d’un renversement du régime, mais à un tournant, oui sûrement.

P.-S.

Propos recueillis par Caroline Stevan.
Entretien paru dans Le Temps, édition du 1er avril 2008.

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