« Le fascisme n’est plus un épouvantail »

, par PALHETA Ugo

Recommander cette page

La possibilité du fascisme, paru en novembre 2018, est un ouvrage dédié à Ibrahim Ali. Son auteur, Ugo Palheta, évoque la banalisation de la haine et livre son analyse de la montée du fascisme.

Ugo Palheta est sociologue et maître de conférences à l’université de Lille. Son livre évoque le cas français. La possibilité du fascisme, Éditions La Découverte, 276 p., 17 euros.

La Marseillaise  : Il y a des trajectoires étranges. Comment expliquez-vous que Gilbert Collard, aujourd’hui député Rassemblement national (RN), ait été l’avocat de la famille Ali  ?

Ugo Palheta  : Cela image une tendance  : la banalisation du RN, qui fait croire qu’il a changé. Dans les années 90, on aurait jamais eu de débat sur le fait qu’il puisse être convié ou non à un rassemblement contre l’antisémitisme comme celui d’hier. Fondamentalement, son programme et son électorat sont les mêmes. Ils ont simplement « nettoyé » le parti de ceux qui faisaient des déclarations antisémites. Pour faire court, le RN a substitué l’antisémitisme par l’islamophobie. C’est sa stratégie électorale.

Vingt-quatre ans après l’assassinat d’Ibrahim Ali, on observe aussi une banalisation de la haine…

U.P.  : C’est la conséquence du contexte socio-économique dans lequel les gouvernements successifs nous ont plongés. Ils ont tenté de gagner en popularité ce qu’ils avaient perdu avec des politiques autoritaires et xénophobes. Ça a été le cas de Sarkozy et de Valls. Plus personne ne croyait en leurs politiques économiques et sociales, ils ont donc construit un ennemi commun pour se donner une légitimité, celui du jeune immigré de banlieue qui est une menace pour la laïcité et la République. Les grands partis perdent contact avec leur électorat ce qui entraîne une montée de l’abstention et du RN. Dans ce contexte, Macron a particulièrement été mal élu.

Lorsque vous présentez votre livre, vous dîtes que le fascisme est vu comme abstrait et non pris au sérieux. C’est-à-dire  ?

U.P.  : Le fascisme n’est plus un simple épouvantail ou quelque chose d’abstrait. Il n’est pas extérieur à la politique française  : il est le produit de la politique libérale. Quand la République devient inégalitaire, autoritaire et xénophobe, le fascisme s’installe. Quand Valls utilise des lois autoritaires, il y a des conséquences. Jean-Marie Le Pen a dit, il y a longtemps  : « Pourquoi préférer la copie quand on peut avoir l’original  ? » Pourquoi les gens voteraient pour un grand parti comme celui de Valls s’ils veulent un État autoritaire  ? Ils peuvent davantage se fier au RN pour ça. Il y a une lame de fond qui sert au RN, les partis actuels et leurs décisions font leurs affaires. C’est pour cela que je dis que la République ne va pas nous sauver.

Vous accordez la montée du fascisme au libéralisme. Quel est votre raisonnement  ?

U.P.  : Les politiques néolibérales ont semé un terreau propice à son développement. En cassant les acquis sociaux, elles ont délégitimé les représentants politiques. La droite et la gauche ont perdu une partie de leur électorat quand le RN en a gagné. Dans le même temps, il n’existe pas d’alternative. Les partis de gauche ne se sont eux pas développés. La France insoumise a seulement freiné le RN au premier tour des élections présidentielles. Autrement dit, il n’y a pas de socle. Cette absence de solution à gauche est, historiquement, un élément de la montée du fascisme. C’est d’ailleurs un slogan antifasciste  : « Leurs avancées sont dues à nos reculs. »

Toujours dans la présentation de votre livre, vous dites déconstruire de fausses idées. Avez-vous un exemple à mettre en exergue  ?

U.P.  : Il y a une idée qui veut que Macron ait pour objectif de moderniser la société. C’est faux. Son objectif est de rattraper le retard de la France dans l’imposition de politiques néolibérales. Entre autres, cela veut dire moins de taxes pour les grands patrons et rupture avec les acquis sociaux.