Chicken connection

, par HORMAN Denis

Recommander cette page

La RDC est l’un des pays les plus pauvres du monde. Plus de 75% des Congolais vivent avec moins d’un dollar par jour. Pourtant, la RDC recèle d’énormes potentialités.

Plus de 70% de la population congolaise vivent en milieu rural et dépendent de l’agriculture traditionnelle. La RDC est probablement et potentiellement le pays le plus riche de l’Afrique subsaharienne du point de vue agricole. Dans les années 1990 la dépendance alimentaire a cependant pris des proportions de plus en plus grandes. Jusque là, le pays était en relative autosuffisance alimentaire, avec plusieurs dizaines de milliers d’hectares de production vivrière. Aujourd’hui, moins de 10% des protéines animales consommées à Kinshasa sont produites localement (volaille, oeufs de table, poisson, porc, boeuf...). Pour l’année 2003, les importations couvraient 93% des protéines animales d’élevage consommées à Kinshasa, en porc, volaille et boeuf. Et si on ajoute les 114 697 tonnes de poissons congelés importés au cours de la même période, la production nationale ne représentait plus que 3% des besoins du marché [1].

Les importations agricoles, elles aussi, n’ont fait qu’augmenter, ces dernières années. Le blé utilisé au Congo est exclusivement du blé importé, provenant de l’Union européenne et des Etats-Unis majoritairement. Le riz est surtout d’origine asiatique (Thaïlande, Vietnam, Inde).

Ces importations ont provoqué un recul sensible des deux principales productions locales, le manioc et le maïs ou encore d’autres produits clés comme le riz, le sucre, l’arachide, l’huile végétale, qu’on peut facilement produire dans le pays. Acheminés surtout dans les grandes villes du pays, les importations alimentaires sont souvent de moindre qualité, bon marché et subventionnées directement ou indirectement. De plus, elles bénéficient de tarifs douaniers de plus en plus bas, comme suite à l’adhésion de la RDC à l’OMC en janvier 1997.

Initialement, les importations avicoles se composaient de poulets entiers congelés. Par la suite, avec l’extension de la misère, ces produits entiers furent progressivement supplantés par les découpes de poulet congelé, puis les découpes de poules de réforme (poules à bouillir qui ne pondent plus) : gésiers, cuisses, pattes, cous, poitrines, ailes, croupions. Congelées et exportées, ils sont vendus sur les marchés de Kinshasa à des prix deux à trois fois moins chers que la production avicole locale, avec des marges bénéficiaires encore appréciables pour les exportateurs et importateurs [2].

Certes, depuis 2003, il n’y a plus — ou quasiment plus — de restitutions à l’exportation (exportations subventionnées) de viande de volaille à destination de l’Afrique. Mais d’autres éléments interviennent dans le dumping indirect ou camouflé, provoquant une concurrence « déloyale » avec les prix de la production locale. D’abord, ces bas morceaux importés, abats et sous-produits, « résidus » des marchés européens et américains n’ont quasiment plus de valeur marchande dans les pays exportateurs. On sait également que les aliments pour bétail, qui représentent plus de 50% du coût de production de ces viandes, sont fortement subventionnés par la Politique Agricole Commune (PAC) en Europe. Aux États-Unis et davantage encore au Brésil, l’approvisionnement en maïs ou soja est bon marché, associé, dans ce pays sud-américain, à un faible coût de la main d’oeuvre.

Sur place, par contre, en RDC, le coût élevé des intrants (poussins, aliments, produits vétérinaires...), l’absence de politiques gouvernementales incitatives, la non-protection du marché local contre l’importation massive et incontrôlée des produits avicoles sont autant d’éléments qui se surajoutent à la caractérisation des produits avicoles importés et qui ont entraîné la fermeture de fermes à Kinshasa et dans le Bas Congo. Avec, en cascade, la perte de nombreux emplois directs et indirects liés à l’élevage de poulets de chair et de poules pondeuses.

En juin 2004, un représentant de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en RDC publiait une étude qui n’est pas passée inaperçue [3]. Le document souligne par exemple qu’ « en juillet 1999, le Gouvernement (de la RDC, ndlr), avec la collaboration de la FAO, a mené une enquête sur les poulets et produits dérivés contaminés par la dioxine. Cette étude a révélé que la RDC avait importé de Belgique au premier semestre 1999, 2 191,7 tonnes de viande de poulet, 24,72 tonnes de mayonnaise et 1,7 tonnes de poussins contaminés à la dioxine. 57,6 pour cent de la quantité de viande précitée et 42 pour cent de la quantité de mayonnaise indiquée étaient déjà consommés au 7 juin 1999, date à laquelle le Gouvernement congolais avait décidé de suspendre les importations des produits précités en provenance de l’Union européenne ».

En mai 2005, dans une lettre ouverte adressée aux ministères de l’Agriculture et de la Santé, l’Unagrico (l’Union nationale des agriculteurs du Congo) dénonçait l’importation, sans contrôle, d’oeufs (venant entre autre de l’Inde), de saucisses et autres déchets alimentaires. Il s’agit d’un cri d’alarme face à un danger qui menace toute la société congolaise, que d’aucuns n’hésitent pas à appeler un « génocide alimentaire ».

À plusieurs reprises, l’Unagrico a tiré la sonnette d’alarme sur les importations de produits avariés. Il s’agit en particulier d’oeufs réfrigérés importés, de qualité douteuse en provenance de l’Union européenne, plus particulièrement de l’Allemagne et de la Hollande. Il s’agit encore et surtout d’oeufs « vieux » de plus de 45 jours (venant d’Inde) — les directives de l’UE stipulent un délai maximum de 21 jours après la date de la ponte — et soumis sur place à une rupture de la chaîne du froid. Un danger mortel pour la population !

D’autre part, l’Office congolais de contrôle a été maintes fois confronté à des importations de produits alimentaires avariés, sans date de production ni de péremption, avec des licences d’importation falsifiées ou inexistantes. En mars de cette année, un membre des services judiciaires de Kinshasa faisait le constat suivant : « Les irrégularités, les falsifications, les discordances et les contradictions des documents d’importation renforcent les présomptions de l’existence d’un réseau international de blanchiment d’argent par le biais des produits alimentaires pourris ». Ce même agent formulait des demandes de renseignements adressées à plusieurs pays dont la Belgique et la France.

Cependant les atouts ne manquent pas : un personnel formé et compétent ; l’existence, à Kinshasa et dans le Bas Congo, de fermes, de grands producteurs de la filière « poules pondeuses ». Et puis, il y a le potentiel agricole, avec en particulier le maïs, principale céréale en RDC, qui a gagné en importance ces dernières années.

Surmonter les obstacles, valoriser les atouts, cela implique la mise en place de politiques et de mesures d’encadrement pour encourager et développer la filière avicole locale. C’est un préalable à des mesures protectionnistes efficaces et indispensables contre le dumping avicole. Il serait en effet impensable de freiner d’un coup et de manière drastique les importations de viande et de poisson de basse qualité, mais à des prix bas, pour une population kinoise de 8 millions d’habitants, dont plus de 70% se trouvent en dessous du seuil de pauvreté.

Cela n’exclut pas pour autant le renforcement de mesures de contrôle sur des importations frauduleuses, sur des produits impropres à la consommation. Il y va de la sécurité alimentaire de toute une population. Cela n’exclut pas la limitation des importations d’oeufs de consommation, en concurrence directe avec une production locale qui, boostée par des mesures de soutien, pourrait tendre vers l’autosuffisance.

Web : www.gresea.be

P.-S.

La Libre Belgique, 28 mars 2007. URL : https://www.lalibre.be/debats/opinions/chicken-connection-51b8927be4b0de6db9af7223

Notes

[1Alain Huart, « Diagnostic multifactoriel du secteur élevage, canevas de conception de projets de production animale dans les pays en développement. Cas type de la RDC », Faculté de médecine vétérinaire, Institut vétérinaire tropical, Université de Liège année académique 2004-2005.

[3A. Spijkers, « RDC, Appui à la mise en place d’une stratégie de contrôle et de surveillance de la qualité des aliments » ; FAO, juin 2004.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)