Entretien

« Avec le NPA, nous voulons bousculer les logiques dominantes »

, par GAY Vincent, VELVETH Jean-Robert

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À deux jours du congrès de dissolution de la LCR qui sera suivi de celui fondant le NPA, entretien avec Vincent Gay, 32 ans, documentaliste, un des responsables de la « commission écologie » du mouvement. Langue de bois inconnue de l’intéressé.

  • JRV : Pour démarrer cet entretien peux-tu te présenter en quelques mots ? Quand as-tu rejoint la LCR et quel est ton parcours militant, quelles sont tes responsabilités ?

J’ai rejoint les JCR puis la LCR en 1996 dans la foulée du mouvement social de décembre 95, au début de mes études. Bien qu’étant politisé avant, ce mouvement a agi comme un révélateur des capacités d’organisation collective des salariés et des étudiants. Mais très rapidement s’est posée la question de comment continuer. Parmi les militants que j’ai alors rencontrés, ceux de la LCR m’ont semblé le plus en phase avec une radicalité émergente au milieu des années 90 ; ils défendaient la nécessité de l’unité dans les luttes, le militantisme syndical et associatif, la compréhension de ce qui émergeait alors dans les mouvements sociaux. De plus un rapport antidogmatique vis-à-vis des références théoriques et historiques m’a permis de découvrir énormément de choses. J’ai milité comme syndicaliste étudiant, ainsi qu’à Ras l’Front, puis à Raisons d’Agir et ATTAC. L’autre mouvement d’importance de ces années là a été pour moi celui des chômeurs en 97-98. En arrivant à Paris en 2003, j’ai rejoins la commission écologie de la LCR. Je suivais auparavant ses travaux, mais cet investissement correspondait à la fois à la conviction qu’un anticapitalisme conséquent se devait de prendre à bras le corps la question écologique dans ce qu’elle a de plus subversif, et à la fois à la nécessité de renforcer une commission peu étoffée malgré l’ampleur des tâches à accomplir. Je suis devenu un des animateurs de la commission. Parallèlement je milite syndicalement dans l’Éducation Nationale.

  • J.R.V. : En quoi le NPA dont le congrès de fondation se déroule du 6 au 8 février 2009 peut-il changer la donne à gauche ? Quel est ton avis sur son processus de création tant sur le plan quantitatif que qualitatif ? Comment le NPA sortira-t-il de la sphère étriquée de l’extrême gauche ?

Changer la donne à gauche, c’est bien de ça dont il s’agit ! Les derniers congrès du PS et du PC ont illustré la profondeur de la crise des partis de la gauche traditionnelle. Mais cette crise ne veut pas dire qu’ils n’existent plus. Contrairement à d’autres pays, le tournant vers la droite de la social-démocratie ne correspond pas à un basculement idéologique de la population vers le capitalisme. Il y a donc un espace pour construire une gauche anticapitaliste qui doit se fixer comme objectif de disputer l’hégémonie au PS. Sur le plan idéologique, le NPA est sans doute aussi crédible que le PS. Une fois sa première phase de construction établie, le NPA doit pouvoir bien entendu participer à l’animation des luttes sociales mais aussi être capable de faire des propositions sur le champ politique. Sortir de ce que tu appelles la sphère étriquée de l’extrême gauche, c’est aussi ça : ne pas se cantonner à un rôle d’observateur critique de la scène politique et sociale, mais en devenir un acteur essentiel pour en bousculer les règles et les logiques dominantes. Au-delà des succès de son porte-parole, le NPA, sans prétention hégémonique sur l’ensemble de la gauche de la gauche, doit être en position d’organiser et de représenter tous ceux qui luttent, toutes les colères contre ce système. Et ces colères, elles sont fort nombreuses ! Il s’agit donc pour cela de forger peu à peu une culture politique commune, d’affiner au fil du temps la notion d’anticapitalisme, sans pour autant reproduire ce que fut la politique de la LCR pendant 40 ans. Le premier travail de préparation du congrès a permis de riches échanges sur une multitude de sujets. Les militants ont eu à cœur de s’emparer des débats ; déjà à ce titre l’objectif est atteint et les textes qui devraient être adoptés au congrès seront une bonne base pour avancer ensemble. Tout en assumant le fait que beaucoup de questions restent ouvertes, notamment sur les questions stratégiques ; par exemple si le refus de participation à des assemblées exécutives avec le PS est un principe nécessaire, cela ne peut être une boussole stratégique suffisante.

  • JRV : Peux-tu rappeler aux lecteurs de Mediapart les raisons profondes qui ont déclenché le processus conduisant au NPA ? Quels objectifs poursuivra ce nouveau mouvement tant dans les luttes sociales, écologiques, sociétales que dans les urnes ? Les éventuelles alliances électorales se feront sur quelles bases ?

Cela dépend à quand on remonte. De quand date la nouvelle période qui permet l’émergence du NPA ? 2007 ? 2005 ? 2002 ? 1995 ? 1989 ? Chacun de ces moments a sa place dans la situation dans laquelle nous sommes : la chute du mur et la nécessité de reconstruire une organisation sur d’autres bases que celles des débats du mouvement ouvrier depuis 1917 ; le réveil social et la lutte contre le libéralisme tant sur le plan des luttes que sur le plan idéologique, avec les apports des mouvements altermondialistes ; l’affirmation dans les urnes à plusieurs reprises de ce refus du libéralisme économique et son corollaire des succès électoraux de l’extrême gauche. L’arrivée au pouvoir d’une droite dure, cherchant à renouveler le style et les orientations de la droite française, appelle aussi, en retour, une volonté de résister. En étant présents à chacun de ces moments – en particulier lors de toutes les luttes menées par les étudiants, les lycéens, les cheminots, les profs, les salariés licenciés... –, la LCR a pu être en phase avec des secteurs militants et des secteurs de la population. Si en 2002, nous avons raté le coche en étant trop frileux, les débats ont évolué et la place de la Ligue a grandi, notamment grâce à sa participation à la campagne référendaire unitaire de 2005 contre le TCE. La campagne de 2007 et l’élection de Sarkozy ont fait le reste, même si à titre personnel je ne considère pas clos les débats sur l’unité à la gauche de la gauche.

Un risque pour le NPA serait de cantonner son activité strictement aux questions sociales au vu de l’ampleur des attaques de Sarkozy. S’il est bien un héritage de la LCR qui ne doit pas se perdre, c’est bien de ne pas considérer la politique uniquement sous l’angle économique, sous l’angle du face-à-face travailleur-patron. Comment le NPA doit réagir face aux attaques contre les libertés publiques, face au retour du religieux et de l’ordre moral (subventions aux écoles privées, proximité avec le Vatican, attaques contre le planning familial, manifs des pro-avortements...), face au racisme dont sont victimes les immigrés et leurs descendants, face à la relance du nucléaire et l’arnaque du Grenelle de l’environnement, face aux modifications des politiques internationales...

Notre mouvement devra aussi être présent lors de mobilisations comme celles contre le sommet de l’OTAN en avril prochain ou encore, à la fin de l’année, pour manifester contre le cours actuel des négociations internationales sur les changements climatiques qui sont loin de répondre à l’urgence en la matière mais risquent par contre de faire reposer la responsabilité des réductions de gaz à effet de serre sur les pays du Sud et les classes populaires ; on verra si le NPA est capable de se déployer sur ces différents terrains d’intervention, tout en maintenant une orientation centrale qui est celle aujourd’hui du refus de faire payer aux travailleurs et aux plus pauvres les conséquences de la crise économique. A chaque fois il s’agit pour moi d’agir à deux niveaux : en menant des campagnes propres du NPA mais aussi en faisant des propositions pour l’unité d’action en direction des autres forces politiques, associatives ou syndicales. La récente déclaration commune des organisations se situant à gauche du PS peut être un bon point de départ pour engager des campagnes communes. On peut procéder de la même façon sur le plan électoral : sans être d’accord sur tout, si on peut s’accorder sur des points essentiels, tant programmatiques que stratégiques, des campagnes communes sont possibles, mais à la seule condition que ça n’oblige pas à en rabattre sur le programme.

  • JRV : La LCR était cataloguée comme « organisation trotskyste » même si nombre de ses militants ne se définissaient plus ainsi depuis longtemps. Comment décrirais-tu, idéologiquement, les « bases » du NPA ? Ses statuts font-ils référence explicitement à des courants de pensée ? Si oui, lesquels ?

L’anticapitalisme est pour le moment l’élément fédérateur, mais il s’agit d’un « anti » porteur de beaucoup de « pour », qui restent à préciser, à affiner, sans pour autant chercher à dessiner la carte exacte de la société future. Dans un tel moment, les références idéologiques restent encore floues, au moins pour trois raisons. Les terribles échecs du socialisme au XXe siècle nécessitent de reprendre, ou poursuivre, des débats sur ce bilan et sur les leçons que l’on doit en tirer, en particulier en matière d’auto-organisation, de démocratie, de diversité des formes de pouvoir, y compris au sein du mouvement que nous construisons, sans se contenter de ripoliner les formules du passé. Deuxièmement, le capitalisme s’est modifié, la crise écologique et la globalisation modifient en bonne partie les conditions dans lesquelles nous devons penser la politique. Tant que des expériences de masse n’auront pas vu le jour, les débats, notamment stratégiques, resteront limités. Enfin, nous avons pu rencontrer un problème de rapport aux sens des mots et aux références. Si je n’ai aucun problème à me dire communiste révolutionnaire (et pas seulement par souci de filiation historique), je conçois que de telles références soient étrangères à des militants qui veulent radicalement changer cette société. Cela étant, nous ne partons pas de rien, y compris parce que l’héritage de la LCR, à ne pas confondre avec celui du trotskysme au singulier, permet de disposer d’un certain nombre de réflexions et d’outils d’analyse de la situation présente. De plus l’apport d’autres courants, pour ceux que je connais le plus, issus de l’écologie radicale, permettent de renouveler un certain nombre d’approches ou de renforcer ce qui n’était qu’à l’état de prémisses. Enfin je soulignerais le fait que la curiosité intellectuelle et militante vis-à-vis des élaborations issues des mouvements sociaux doit nous permettre de confronter nos analyses et références à la réalité des luttes.

  • JRV : Tu es un des responsables de la « commission nationale écologie » de la LCR qui va se fondre dans celle, plus large, du NPA. Dans les débats qui ont traversé les 467 comités NPA, le terme d’éco-socialisme est souvent revenu. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Ce que j’ai pu constater depuis presque un an, c’est qu’en matière d’écologie politique, les apports militants les plus importants sont extérieurs à la ligue. Lors de la coordination des collectifs de juin, puis lors de la rencontre nationale écologie que nous avons organisée en décembre, deux tiers environ des participants n’avaient jamais été adhérents de la LCR. C’est d’ailleurs peut-être sur ce terrain que se rencontrent le plus de trajectoires variées. Si la ligue a fait un gros boulot collectif en la matière ces dernières années, son histoire fait qu’elle a « écologisé son marxisme ». Aujourd’hui nous militons avec des camarades dont le parcours militant passe en premier lieu par la défense de l’environnement, souvent dans des associations locales. L’ampleur de la crise écologique, l’abandon des Verts à être une force alternative au capitalisme, la compréhension de l’imbrication de la question écologique et de la question sociale ont favorisé ces rencontres et la possibilité d’un militantisme au sein d’un même parti. La commission écologie du NPA va avoir du pain sur la planche. Il s’agit pour nous non pas de devenir les experts es-environnement du NPA mais de travailler avec l’ensemble des militants à faire du NPA un parti radicalement écologiste, un parti qui puisse interroger l’ensemble des questions sociales à la lumière de la crise environnementale.

Pour ne prendre que trois exemples sur lesquels nous avons planché :
— la revendication de nationalisation ou de socialisation des grands groupes de l’énergie est une condition nécessaire mais pas suffisante. Une fois rendue publique la propriété de tels groupes, comment les utiliser pour changer radicalement la donne en matière énergétique, comment créer un service public unifié décentralisé, s’appuyant sur des coopératives, associant salariés et usagers ?
— la question agricole a ressurgi en France à travers la lutte anti-OGM et la défense de l’agriculture paysanne. Cela est nécessaire, mais on ne peut défendre un autre modèle agricole, en France et ailleurs – en particulier dans les pays pauvres –, sans s’en prendre aux grandes propriétés, sans opérer une redistribution des terres permettant l’installation de dizaines de milliers de paysans.
— l’interdiction des industries dangereuses et inutiles ne peut être décrétée sans y accoler des revendications quant au devenir des salariés, le maintien de leur salaire, leur formation...

Bref, si nous parlons aujourd’hui d’écosocialisme, ce n’est pas d’abord le fruit d’une démarche intellectuelle, mais c’est avant tout un positionnement politique face à la crise écologique qui travaille nécessairement notre projet, au regard de l’aveuglement de la gauche traditionnelle (y compris d’une certaine extrême gauche) et du réformisme tristement « réaliste » des Verts et de bon nombre d’ONG environnementales.

P.-S.

Entretien paru sur Écosocialisme (blog personnel de Velveth).

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