Invité aux réunions sur la réforme de l’imposition cantonale des entreprises (RIE III), le groupe Ensemble à Gauche en a claqué la porte à la fin de juin pour entrer en campagne contre le volet fédéral de la même réforme. Il participera également au référendum cantonal. Les deux objets pourraient être votés au début de 2017. Pourquoi faire feu de tout bois ? Interview du député Jean Batou.
- Jean Batou : « Notre priorité est de faire échouer cette réforme antisociale au plan fédéral comme cantonal. »
- Image : Laurent Guiraud
Jean Batou, pourquoi Ensemble à Gauche s’est-il retiré des débats sur RIE III ?
Notre priorité est de faire échouer cette réforme antisociale au plan fédéral comme cantonal. Nous avons des chances : RIE II a été refusée par les citoyens avant d’être acceptée de peu. Les citoyens se méfient de plus en plus des conséquences fiscales et sociales de ces options. En ce qui concerne Genève, nous sommes entrés dans le processus de discussion sans illusion et avons constaté qu’effectivement il n’y avait pas de marge de manœuvre. Au bout du tunnel, c’est l’austérité pour tous, avec l’augmentation de la dette cantonale en prime !
La gauche a mené des doubles batailles sur le salaire minimum ou les forfaits. Sans succès. Pourquoi serait-ce différent aujourd’hui ?
Les gens ont une certaine mémoire. Ils se souviennent qu’ils auraient mieux fait de ne pas accepter RIE II, qui a coûté des centaines de millions à la Confédération. À Genève, il ne faut pas se faire d’illusions, s’il faut faire de vraies économies, il faudra tailler ce qui coûte : les EMS, les HUG, les soins à domicile, l’éducation. Les gens vont faire le lien entre le niveau des impôts payés et les prestations finalement disponibles.
Êtes-vous opposés à un aspect particulier de RIE III ou à toute baisse de l’imposition des entreprises ?
Les inégalités se creusent et la concentration des richesses progresse pour les personnes morales comme pour les personnes physiques. On ne peut pas accepter que la seule question à résoudre soit la meilleure manière d’organiser le dumping. Ensemble à Gauche est favorable à une imposition progressive des entreprises, supprimée par RIE I, permettant une baisse de l’imposition pour les plus petites d’entre elles. Mais il faut souligner qu’aujourd’hui déjà, avant RIE III, à Genève, 60% des entreprises ne paient pas d’impôt sur les bénéfices.
L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) estime que le système suisse d’imposition des entreprises n’est plus acceptable. Cela ne vous interpelle pas ?
Il faut arriver à une grille d’imposition équivalente pour toutes les entreprises. Pourquoi ne pas baisser le taux maximum pour les entreprises ordinaires et augmenter le minimum pour les sociétés à statut ? Le taux neutre pour l’Etat tourne autour de 16%. Il n’y perdrait rien et offrirait un taux faible en comparaison internationale.
Pour les holdings, la hausse serait importante. Vous prendriez la responsabilité de leur exode ?
Personne ne connaît le taux qui entraînerait leur départ. Il n’y a aucune base scientifique pour l’établir. Le Conseil d’Etat parle de 13%. A qui l’a-t-il demandé ? Au Groupement des multinationales ! Quant à la Confédération, elle a élaboré un système qui semble fragile. Certaines niches fiscales semblent peu compatibles avec les recommandations de l’OCDE. Par ailleurs, une directive européenne vient d’être adoptée par la Commission européenne. Elle prévoit que si le taux d’imposition des bénéfices est supérieur de 50% à celui de la Suisse, les entreprises européennes seront désormais taxées au taux de leur pays d’origine. Apparemment, une succursale d’une entreprise française taxée à 13,8% dans le canton de Vaud pourrait donc être taxée en France, où le taux d’imposition atteint 33%…
Donc plus besoin de référendum ?
Si, car la réforme fédérale n’a fait aucun pas en direction de la justice fiscale. Les Chambres ne se sont souciées que d’apaiser un peu les cantons et les villes pour éviter une jonction des oppositions. Elles n’en sont pas moins passées en force pour le reste en s’appuyant sur le climat de crise lié au franc fort. Dont l’impact a été surévalué, car le solde commercial de la Suisse reste positif, ses grandes entreprises se portent bien, même si l’économie mondiale ralentit.
RIE III vise aussi à accroître l’attractivité fiscale du pays. Après la fin du secret bancaire, ce n’est pas une mauvaise idée, non ?
Mais pourquoi l’accroître ? La Suisse est aujourd’hui extraordinairement bien placée en comparaison internationale ! L’impact de la fin du secret bancaire est moindre que prévu, parce que cette méthode de fraude fiscale est caduque, ringardisée par des montages financiers autrement intéressants pour les grandes fortunes. En développant la notion de secret des données, la Suisse est d’ailleurs déjà passée à autre chose.
Si le référendum national passe, vous ne craignez pas une nouvelle mouture de la loi encore moins généreuse pour les cantons ?
Si le corps électoral dit non à RIE III, la Confédération devra entendre les arguments des référendaires.
Les ministres cantonaux de gauche semblent peu appuyer le référendum national. Cela vous inquiète-t-il ?
Certainement. Ce faisant, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Les ministres de gauche cantonaux nous font du Valls/Hollande, appliquent de fait le programme de la droite tout en étant ultraminoritaires, au moment même où l’UDC et le PLR ont décidé de se passer de tout accord au centre.