- Philippe Poutou
- © Crédits : Agence APPA.
- LA TRIBUNE — À l’automne 2020 vous n’étiez pas très tenté pour vous présenter une troisième fois à l’élection présidentielle. Or fin juin 2021 vous avez été investi en tant que candidat du NPA à la présidentielle 2022. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
PHILIPPE POUTOU — Je l’ai toujours dit, personnellement je ne souhaitais pas recommencer. Les camarades du parti pensaient la même chose, il était normal de changer. Nous souhaitions un autre visage et notamment celui d’une camarade. Mais voilà, nous avons des contraintes et la plus importante étant le filtre des 500 parrainages, il nous est apparu qu’il serait moins insurmontable à obtenir avec un visage déjà connu dans le paysage politique.
Ce qui permettait en même temps de renforcer la légitimité de notre candidature dans un contexte politique difficile, dans un système électoral si peu démocratique qu’il rend quasiment invisibles les candidatures comme la nôtre. Alors c’est une tâche militante que le NPA m’a confiée à nouveau. Mais nous continuerons à refuser le plus possible la personnalisation à outrance, nous défendrons une candidature qui se veut la porte-parole d’un collectif, d’un programme anticapitaliste, d’une perspective de résistances et de luttes.
- Être candidat à une élection présidentielle exige de collecter les signatures de 500 élus, une opération qui semble chronophage. Il se trouve que vous êtes au chômage suite à la fermeture de l’usine Ford Aquitaine Industries à Blanquefort : n’est-ce pas une situation susceptible de vous poser des problèmes vis-à-vis de Pôle emploi et de compromettre votre engagement politique ?
J’ai été licencié comme la plupart de mes collègues de l’usine Ford (870 emplois directs disparus quand même !). Et aujourd’hui je suis sans emploi. Certes j’ai mon « boulot » d’élu municipal et métropolitain depuis juillet 2020. Mais ma préoccupation actuelle est évidemment de m’assurer de trouver un emploi au lendemain de l’élection. En attendant, la campagne va avoir lieu. C’est une situation particulière, je le reconnais. C’est vrai qu’il est plus habituel et plus facile pour un candidat d’être ancien ministre, député, sénateur, haut fonctionnaire, avocat ou chroniqueur télé. Et il est beaucoup plus rare, mais rien ne l’empêche, que ce soit un ouvrier ou même un chômeur. C’est notre originalité. De cette manière, ça montre que le pouvoir est toujours entre les mains de la même classe sociale dominante et que notre camp social, le camp des exploité-es et opprimé-es a très peu la parole, qu’il lui est très compliqué d’avoir accès à des élections et encore plus à pouvoir être élu dans telle ou telle fonction.
- Philippe Poutou
- © Crédits : Agence APPA.
Cette campagne c’est l’occasion pour nous de dénoncer la personnalisation de la fonction, de dire que le pouvoir ce n’est pas seulement le pouvoir du président mais celui d’une classe sociale qui dirige la société. Qu’en changeant de président, on ne change pas la nature du pouvoir et des intérêts qu’il défend. Le pouvoir est à ceux qui possèdent les richesses, qui dirigent l’économie : la classe des capitalistes. En remplaçant un président ultralibéral par un autre ultralibéral, plus ou moins réactionnaire ou plus ou moins conservateur, on ne change rien en réalité. Il s’agit bien d’un système à changer radicalement. C’est pour cela que nous défendons l’idée que ce sont les mouvements populaires qui peuvent changer les rapports de forces et transformer le pouvoir et la société.
- Aurez-vous la possibilité, pour obtenir ces signatures, de vous appuyer sur la totalité du NPA ?
Drôle de question. C’est bien le NPA qui se présente à la présidentielle, qui m’a désigné comme candidat, lors d’une conférence nationale. Et c’est nous, les camarades NPA, avec nos sympathisant-es et nos soutiens qui partons à la recherche des 500 parrainages nécessaires. L’objectif est bien d’être là en 2022, d’aller là où nous ne sommes pas invité-es, pour bousculer, pour montrer qu’on doit prendre nos affaires en mains, faire de la politique nous-mêmes, nous le camp des opprimés, le camp des prolétaires. Alors, jusqu’au bout, nous allons compter sur celles et ceux, qui sont convaincus que nous avons les idées de la révolte à faire exister dans cette campagne.
Nous lançons d’ailleurs un appel aux maires et aux élu-es qui pensent que nous sommes utiles à la vie politique, qui nous voient comme légitimes, à nous parrainer, c’est un acte démocratique et non pas un soutien politique. Nous irons à leur rencontre durant les mois qui viennent pour discuter, pour convaincre qu’il est important et normal que nous soyons présent-es à la présidentielle.
- De fortes turbulences ont agité le NPA, en particulier à cause de la situation créée à Bordeaux, où vous avez réussi à créer à l’occasion des Municipales de 2020 le collectif « Bordeaux en luttes » en association avec La France Insoumise. Vous avez réussi à faire votre entrée sur les bancs de l’opposition à la mairie de Bordeaux : pourquoi n’avoir pas poursuivi l’expérience en soutenant le candidat de LFI pour la Présidentielle ?
L’expérience avec « Bordeaux en luttes », très positive, dont on est très fiers, c’était de construire une liste anticapitaliste regroupant des militants du mouvement social, des camarades de luttes, dont des camarades de LFI, pour défendre un programme radical en rupture avec la gauche institutionnelle, une liste pour relayer les mobilisations, faire entendre les colères. C’est ce que nous essayons de faire avec nos trois élu-es (Evelyne Cervantes-Descubes de FI, Antoine Boudinet le Gilet Jaune et moi-même), l’équipe de camarades BEL (Bordeaux en luttes -Ndlr) et les gens autour qui nous aident. Nous restons déterminé-es à défendre nos idées et faire exister les quartiers populaires dans un endroit si peu habitué à ça.
Ce qui est possible localement avec des camarades militant-es ne l’est plus forcément au niveau national avec des dirigeants de parti et avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon, un ancien ministre d’un gouvernement PS-EELV, nostalgique de Mitterrand, défenseur d’une république une et indivisible... Comme en 2012 et 2017, le NPA portera donc une voix anticapitaliste, internationaliste, anti-impérialiste, anti-militariste, anti-raciste, pour une société sans exploitation, sans oppression, sans frontière : notre « utopie » révolutionnaire.
- Philippe Poutou, Evelyne Cervantes-Descubes et Antoine Boudinet : les trois élus municipaux du collectif Bordeaux en luttes dans la cour de la mairie de Bordeaux en juin 2020
- © Crédits : Agence APPA.
- Quels seront les axes porteurs de votre campagne, et comment allez-vous la différencier de celle de LFI et de LO (Lutte ouvrière) ?
Avec LFI, nos différences profondes se situent par exemple sur notre revendication de liberté de circulation et d’installation des réfugié-es, pour l’ouverture des frontières, pour le droit des peuples à l’autodétermination (kanakes, basques, bretons, corses...) pour l’expropriation et la socialisation de secteurs économiques comme les banques, l’industrie pharmaceutique, l’énergie ou encore l’idée que la révolution c’est dans la rue et pas dans les urnes.
Avec LO, nos différences portent sur la défense de mobilisations à construire unitairement sur les terrains de l’écologie radicale, de l’antifascisme, du féminisme ou encore LGBTI qui sont pour nous aussi fondamentales que la lutte des classes. En fait, s’il y a trois candidatures, c’est parce qu’il y a des projets et des programmes différents, à respecter comme tels, ce qui peut permettre, on le souhaite, un débat politique public sur la perspective de changer le monde.