Un conflit emblématique

, par BARNIER Louis-Marie

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La massivité de la grève suivie par les Personnels Navigants Commerciaux (PNC) à Air France (près de 85 % de grévistes suivant les syndicats), indique un véritable changement d’attitude de la part de cette population, comme en témoigne, fait nouveau, la participation importante à des assemblées de grévistes.

Certes la compagnie nationale a toujours connu des conflits durs, que ce soit avec les personnels des escales, des centres industriels, voire des pilotes.

L’intransigeance d’un employeur soumis de tout temps à la pression d’un transport de faible coût, est une constante dans l’histoire d’Air France.

De nombreux conflits existent en ce moment même dans la compagnie.

Mais que ce soit les PNC qui déclenchent le premier grand conflit de l’après-privatisation démontre qu’il se passe quelque chose dans cette population, voire dans tout le pays.

Le « métier de rêve » de l’hôtesse de l’air a certes pris quelques rides dans l’imaginaire populaire.

L’ouverture, quoique relative, du transport aérien à une plus grande partie de la population a relativisé le mythe aérien.

Si la proportion de diplômés (90% des PNC ont BAC + 2,60% ont même BAC +4) est toujours importante, en revanche, c’est la composition sociale de ces diplômés sortant de l’Education nationale qui a changé et s’est démocratisée.

L’identification des Personnels navigants commerciaux aux Personnels navigants techniques (PNT) en a sans doute été rendue plus difficile, tant la proximité sociale entre PNT et PNC complétait la proximité spatiale.

L’histoire sociale des PNC est en effet marquée historiquement par la tentation d’arrimer les avantages des hôtesses et stewards à la sphère des pilotes.

Ce lien PNT-PNC était d’autant plus fort qu’il s’appuyait, de façon implicite, sur l’opposition cockpit – cabine, technique – commercial, homme – femme, conduisant à une mariage naturel entre ces deux corporations.

Le vecteur de cette union était l’enjeu, pour les PNC, de la reconnaissance de leur rôle de sécurité dans la cabine, à travers une expertise de en matière de sécurité complétée par un niveau de culture général, lié à un bon niveau d’anglais, permettant l’empathie avec des passagers de toute classe sociale.

Or justement, ce groupe des PNT, à partir de sa technicité et de son rôle social, s’est inscrit dans une alliance avec la direction d’Air France.

Certes, quelques conflits émaillent cette alliance, mais que ce soit lors de la mise en place d’un financement spécifique pour leur Comité d’Etablissement (avec le soutien de syndicats corporatistes PNC), brisant ainsi la solidarité agents du sol et du vol, ou bien dans l’exigence d’un accord d’intéressement respectant un écart hiérarchique plus important, les dernières années ont démontré la persistance de ce choix stratégique de la part de la direction d’Air France et des syndicats PNT.

Le recul des syndicats corporatistes PNC aux dernières élections professionnelles en septembre 2007 (30% des voix) annonçait la rupture du couple PNT-PNC, celle-ci est patente aujourd’hui à l’occasion de ce conflit conduit de fait par les syndicats confédéraux.

Quelles questions posent les PNC à travers leur conflit ?

Ils exigent la prise en compte salariale de la pénibilité de leur métier. Rappelons d’abord que leur salaire de base (pour indication, il est de 1600 € brut à l’embauche, d’après les syndicats), pour une population largement diplômée comme nous l’avons souligné, n’atteint le salaire moyen de leur population de référence que grâce aux indemnités de repas, de découcher et autres primes de vol.

Si cet équilibre a pu fonctionner, c’est que la pénibilité était considérée comme « naturelle ».

Celle-ci est indéniable, horaires perturbés, décalages horaires, rotations s’enchaînant, dépressurisations quotidiennes successives (par les montées et descentes à 3000 m d’altitude).

La vie familiale est perturbée, au point que les PNC se considèrent comme des « nomades ».

C’est en quelque sorte la reconnaissance de la banalisation de leur situation qu’ils réclament : comme tout salarié, le paiement des majorations d’heures de nuit, des heures d’attente entre deux vols, un salaire de base correspondant à leur qualification, et le rétablissement d’une retraite à 55 ans actuellement remise en cause.

À ce titre, ce conflit présente les composantes au centre du débat social d’aujourd’hui. Salaire, pénibilité, organisation du travail, retraite, sont les volets d’une relation salariale que les PNC remettent en cause.

Une nouvelle génération relève ce défi, les salariés pourraient bien se reconnaître dans leur conflit, et surtout dans leur détermination, ... et les rejoindre.

P.-S.

Article paru dans L’Humanité, édition du 30 octobre 2007.

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