La théologie de la libération a produit en Amérique latine une réflexion originale et nuancée qui essaie d’éviter les impasses de l’irénisme chrétien traditionnel et d’un certain culte révolutionnaire de la violence. Cette réflexion ne se contente pas de l’exégèse des textes canoniques, mais part de l’expérience historique du continent au cours des trente dernières années et de la praxis collective des chrétiens socialement engagés.
En réalité, ce qu’on désigne habituellement comme « théologie de la libération » – un corpus de textes traduits depuis 1971 par des figures comme Hugo Assmann, Frei Betto, Gustavo Guttierrez, Leonardo Boff, Ruben Dri, Pablo Richard, Ennque Dussel, Jon Sobrino, Ignacio Ellacuria, pour ne citer que les plus connus – n’est que l’expression intellectuelle et spirituelle d’un vaste mouvement social, né au moins une dizaine d’années plus tôt, qui se manifeste à travers un réseau serré de pastorales populaires (de la terre ouvrière, urbaine, indigène, de la femme), de communautés ecclésiales de base, de groupes de quartier, de commissions Justice et paix, de formations de l’Action catholique (JUC, JOC, JEC), de prêtres, religieux et (surtout) religieuses, qui ont assumé de façon active l’option préférentielle pour les pauvres - non sous la forme traditionnelle de la cnarité, mais comme solidarité concrète avec la lutte des pauvres pour leur libération. L idée que les pauvres sont les sujets de leur propre histoire, et les acteurs de eur propre émancipation est peut-être la plus grande nouveauté de cette marche par rapport à la doctrine sociale de l’Église. Ce mouvement social, qu’on pourrait désigner comme christianisme de la libération - et qui peut aussi s’investir dans des partis politiques comme le PT brésilien ou le FSLN nicaraguayen - est une composante essentielle de la plupart des tentatives de transformation sociale en Amérique latine au cours des trente dernières années.
L’offensive de Rome contre la théologie de la libération (notamment par la nomination systématique d’évêques conservateurs), l’essor massif des sectes évangéliques protestantes dans les quartiers pauvres des grandes villes, et le désarroi provoqué dans la gauche latino-américaine par les événements en Europe de l’Est ont conduit de nombreux observateurs à parler, vers 1989-1990, de la « fin de la théologie de la libération ». La spectaculaire élection, peu après, du Père Aristide à la présidence de la République en Haïti, et le récent soulèvement zapatiste au Chiapas (attribué, en partie ou globalement, à tort ou à raison, à l’influence de la théologie de la libération), montrent que cette conclusion est pour le moins prématurée...
Quel est le rapport entre le religieux et le politique dans le christianisme de la libération ? Si l’on accepte la définition wébérienne de la modernité comme diffé-rentiation et autonomisation croissante des domaines de la vie sociale, le refus, par ce mouvement, de la privatisation de la foi et de la séparation des sphères entre le spirituel et le temporel, semble présenter une dimension « pré-moderne ». Certains scientifiques sociaux, notamment nord-américains, n’ont pas hésité à parler du caractère « traditionaliste », « régressif », voire « archaïque » des prêtres révolutionnaires. Toutefois, en exigeant la plus totale séparation entre l’Eglise et l’État, ainsi que le respect, par les chrétiens, de l’autonomie des mouvements sociaux et politiques - refus catégorique d’un syndicat ou parti chrétien - le christianisme de la libération apparaît comme résolument moderniste.
En réalité, l’opposition habituelle entre « tradition » et « modernité » comme pôles mutuellement exclusifs - véritable tarte à la crème de beaucoup de travaux sur les pays d’Amérique Latine - ne rend pas compte d’un phénomène de ce type, qui relève plutôt d’une articulation spécifique de ces deux démarches.
Une expression de Walter Benjamin (dans une lettre à Scholem en 1927) peut nous aider à comprendre la rapport entre christianisme et libération dans ce mouvement : il s’agit d’un renversement paradoxal du religieux dans le politique, et réciproquement.
Ajoutons à cela les lumineuses analyses de Lucien Goldmann (dans Le Dieu Caché) sur les homologies structurales entre la religion (Pascal) et l’utopie sociale (Marx) : les deux se réfèrent en dernière instance à des valeurs transindividuelles - contrairement à la vision individualiste du monde qui prédomine dans la société bourgeoise moderne. Le rapport à ces valeurs - Dieu pour la religion, la communauté humaine à venir pour l’utopie sociale - relève de la foi, c’est-à-dire d’une conviction ultime qui n’est pas soumise à la vérification empirique ni passible de démonstration factuelle. Ce qui fonde la foi, c’est plutôt, dans les deux cas, le pari (tel que Pascal l’avait défini), c’est-à-dire, l’engagement, le risque, le danger d’échec et l’espoir de réussite [1].
De ce point de vue, la nouveauté de la théologie de la libération c’est le « renversement réciproque » entre religion et utopie, par l’affirmation d’une immanence de Dieu dans l’histoire, selon le paradigme biblique de l’Exode. Pour la théologie de la libération, Dieu est présent dans la marche du peuple vers sa libération, et la communauté humaine - aussi bien dans les solidarités du présent que dans la promesse d’un avenir différent - est une valeur à la fois religieuse, éthique, sociale et politique.
On assiste donc, dans cette culture politico-religieuse latino-américaine à un processus de fusion, par affinité élective - pour reprendre le concept de Max Weber (Wahlverwandtschaft) qui désigne les rapports dynamiques entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme - entre christianisme et utopie sociale. L’homologie structurale (« l’affinité ») devient, dans certaines conditions historiques et sociales, un processus actif d’interaction et de choix réciproque (« l’élection »), pouvant conduire à une convergence plus ou moins organique.
Quelles sont ces conditions ? Le contexte socio-historique qui voit l’essor de ce courant religieux à vocation émancipatrice est déterminé par deux séries d’événements historiques distinctes : le triomphe de la révolution cubaine en janvier 1959 et la période de luttes révolutionnaires qu’elle inaugure ; l’élection de Jean XXIII comme Pape (1958) et le début de l’aggiornamento de l’Église catholique qui va conduire au Concile Vatican II.
La première manifestation d’une pensée chrétienne latino-américaine « libératrice » est antérieure au Concile : ce sont les nouveaux développements au sein de l’Action catholique brésilienne (et en particulier de la JUC et de ses aumôniers, notamment dominicains) qui vont donner naissance à ce que l’on appelle la gauche chrétienne. À cette époque (1960-64) la question de la violence ne se pose pas comme un problème moral et politique important ; elle le deviendra par contre à partir de 1964 ; quand les militaires vont prendre le pouvoir au Brésil en renversant le président constitutionnel.
Les années 60-80 sont une période de polarisation sociale et politique violente en Amérique, avec une succession de coups d’État et de mouvements de guérilla inspirés les uns par l’exemple brésilien et les autres par le modèle cubain. En 1966 un événement va ébranler profondément la conscience de la jeunesse chrétienne du continent : la mort de Camilo Torres, premier prêtre à s’engager dans un mouvement de guérilla à orientation marxiste. L’ELN (Armée de Libération Nationale, de tendance castriste) colombienne. Peu avant de partir pour les montagnes, dans un entretien avec un journaliste français, Camilo Torres affirmait sa conviction que la révolution était la seule façon d’accomplir l’impératif chrétien de l’amour du prochain : il justifiait son option révolutionnaire par la doctrine de l’Église sur la guerre juste contre la tyrannie [2].
Au cours des années suivantes va se développer, en Colombie même, et dans d’autres pays d’Amérique Latine (notamment en Argentine et en Uruguay) un petit courant de chrétiens révolutionnaires, qui se réclament de Camilo Torres et sont prêts à assumer cet engagement jusqu’aux dernières conséquences ; mais l’écho du prêtre guérillero portera bien au delà de ce cercle relativement restreint [3], touchant un nombre croissant de chrétiens qui participent à des mouvements sociaux ou politiques de contestation des régimes militaires et/ou oligarchiques.
Comment réagit le Vatican face à toute cette effervescence ? Dans son encyclique Populorium Progressio (mars 1967) Paul VI critique la tentation révolutionnaire et affirme que « l’insurrection révolutionnaire - sauf dans le cas d’une tyrannie évidente et prolongée qui attente gravement aux droits de la personne humaine et nuit dangereusement au bien commun du pays - génère des injustices nouvelles, introduit des déséquilibres nouveaux, provoque des nouvelles ruines. On ne doit jamais combattre un mal réel au prix d’un malheur encore plus grand [4] ». L’intention pontificale était évidemment de mettre en garde contre les voies insurrectionnelles, mais en rappelant la traditionnelle doctrine de l’Église au sujet des tyrannies, il a ouvert une petite fenêtre par laquelle vont rapidement s’engouffrer les chrétiens révolutionnaires. Prenant conscience du danger, Paul VI va s’efforcer de colmater la brèche, lors de son discours du Congrès Eucharistique à Bogota en 1968 : « Les changements brusques et violents des structures sont trompeurs, inefficaces et certainement non conformes à la dignité du peuple ». Mais il était trop tard : la petite phrase entre tirets de Populorium Progression, sur l’exception qui justifie le recours à la violence libératrice, deviendra une pièce centrale dans la légitimation politico-religieuse de l’engagement révolutionnaire des chrétiens latino-américains.
Les évêques d’Amérique Latine ne sont pas non plus restés indifférents aux vents nouveaux qui soufflaient dans les années 60 : lors de la conférence de Medellin du CELAM (Conseil des Evêques latino-américains) en 1968, un document est adopté qui constitue un véritable tournant dans l’histoire de l’Église du continent. Dans son chapitre intitulé « Paix » se trouve un sous-chapitre sur « Le problème de la violence en Amérique Latine » qui définit, pour la première fois, la situation d’injustice qui existe dans le continent comme « une violence institutionnalisée », qui exige « des transformations globales, audacieuses, urgentes et profondément rénovatrices ». Sans aller jusqu’à légitimer la violence, le document affirme néanmoins sa compréhension : « Cela ne doit pas nous étonner que naisse en Amérique Latine la "tentation de la violence". Il ne faut pas abuser de la patience d’un peuple qui supporte depuis des années une condition qu’accepterait difficilement celui qui a une plus grande conscience des droits humains ». Bien entendu, les évêques à Medellin se réclament eux aussi du célèbre passage de Populorum Progressio - en ajoutant toutefois une précision capitale : la tyrannie en question peut être « aussi bien celle d’une personne que celle de structures évidemment injustes ». Le champ d’application de l’exception à la règle (non usage de la violence révolutionnaire) se trouve ainsi considérablement élargi [5] Les concepts de violence institutionnalisée et de tyrannie structurale, introduits par la conférence de Medellin ont déplacé la problématique du champ moral/individuel sur le terrain social et politique, et ont ainsi ouvert le chemin pour la théologie de la libération.
La participation de chrétiens ou même de membres du clergé dans des mouvements à vocation insurrectionnelle trouve un terrain particulièrement propice au Brésil, où existait déjà, comme nous l’avons vu, un courant chrétien de gauche depuis 1969. En 1968-69 plusieurs religieux dominicains vont s’engager dans le soutien logistique et politique à l’Action de libération nationale, groupe de guérilla urbaine d’inspiration castriste (dirigé par un ancien cadre communiste, Carlos Marighella). Plusieurs d’entre eux seront emprisonnés et torturés par la police politique du régime militaire. En Bolivie aussi, vers 1969-71, de nombreux chrétiens participent à la guérilla de l’ELN (Armée de libération nationale, fondée par Che Guevara), parmi lesquels un séminariste, Nestor Paz. Peu avant sa mort au combat en octobre 1970, Paz envoie un message qui justifie son engagement par l’amour du prochain : « Nous savons que la violence est douloureuse parce que nous sentons dans notre propre chair la répression violente du désordre établi, mais nous sommes disposés à libérer l’être humain parce que nous le considérons notre frère. Nous sommes le peuple en armes, c’est le seul chemin qui nous reste. L’être humain est plus important que le "samedi" et non l’inverse [6] ».
C’est aussi pendant ces années qu’on voit se développer en Amérique Latine une sorte de « théologie de la révolution » dont un des axes principaux est la légitimation religieuse de la violence émancipatrice. Par exemple, Almeri Bezerra de Melo, dominicain brésilien, ancien aumônier de la JUC (exilé à Rome), écrit en 1969 un article sur « Christianisme et Révolution » qui met en question de façon radicale la tradition « pacifiste » de l’Église : « la condamnation du soulèvement révolutionnaire, presque toujours formulée en termes véhéments dans la langue officielle de l’Eglise, est facilement transformée en une justification des rapports de force existants ».
Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens en Amérique Latine, y compris des prêtres et des évêques, « réagissent au problème de la violence en tenant compte de nuances et même en admettant ouvertement qu’une guerre révolutionnaire puisse être la seule possibilité pour beaucoup de peuples opprimés [7].
La théologie de la libération, qui apparaît en 1971 avec les livres de Hugo Assmann et Gustavo Gutierrez, se distingue de ces premières tentatives par une démarche bien plus ample. Selon Gutierrez, la théologie de la révolution a été trop centrée sur la question de la violence - arbre qui souvent cachait la forêt. D’origine européenne (notamment allemande) la théologie de la révolution a eu le mérite de rompre avec une conception de la foi spontanément liée à l’ordre établi et de justifier l’engagement révolutionnaire des chrétiens. Cependant, elle court le risque de se transformer en « idéologie révolutionnaire chrétienne », trop restrictive et incapable de devenir une véritable réflexion critique sur la praxis historique de libération. Refusant de faire du problème de la violence l’axe principal de la théologie de la libération, Gustavo Gutierrez insiste sur la nécessité de distinguer entre différentes modalités de violence : « dans les considérations faites au sujet de la violence, on évite par tous les moyens de mettre sur le même pied ou de confondre la violence injuste des oppresseurs, soutiens de ce "système néfaste", avec la juste violence des opprimés, qui se voient obligés d’y recourir pour parvenir à leur libération [8] ».
L’idée fondamentale de Gustavo Gutierrez et de la théologie de la libération, c’est qu’il ne peut exister de paix sans la réalisation de la justice. Or, l’abolition d’une situation d’injustice et de violence institutionnalisée passe par le conflit :
« Ce qui heurte le plus, peut-être, un chrétien qui veut se placer franchement et de façon décisive du côté des pauvres et des exploités, et qui s’engage dans les luttes du prolétariat, c’est la caractère conflictuel qu’acquiert, dans ce contexte, sa praxis sociale. Le domaine politique, tel qu’il se présente aujourd’hui, implique des affrontements (où la violence se retrouve à des degrés divers) entre groupes humains, entre classes sociales d’intérêts opposés. Etre un "artisan de la paix" ne dispense pas d’être présent à ces conflits. Bien plus, être vraiment pacifique exige que l’on y prenne part pour résoudre ces conflits à la racine, en comprenant qu’il n y a pas de paix sans justice [9] ».
Aux yeux de Gutierrez, l’action non-violente - prônée par de nombreux eveques, y compris parmi les plus socialement engagés, comme le brésilien D. Welder Câmare - est un choix légitime, mais il n’est pas le seul : « D. Helder propose une pression morale libératrice" » pour mettre fin aux structures oppressives et injustes qu’on connaît en Amérique Latine. Beaucoup pensent, cependant, que cette libération devra passer, tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre, par les chemins de la contre-violence, en réponse à une situation de violence légalisée [10] ».
Cependant, aussi bien Gutierrez qu’Assmann ou Leonardo Boff, ainsi que la plupart des théologiens de la libération ne développent nullement le thème de la violence dans leurs écrits. Une des raisons de cette auto-limitation est leur conviction que la théologie de la libération doit situer sa réflexion aux niveaux des options fondamentales, éthico-religieuse et socio-politiques, laissant les questions stratégiques et tactiques aux mouvements politiques. Le problème de la violence, comme celui des formes de lutte en général, les formes d’organisation, le programme, les alliances, etc. appartient à ce dernier domaine [11].
Les membres du clergé (généralement des ordres religieux) et les théologiens activement engagés dans les mouvements sociaux et les luttes de libération, choisissent le plus souvent des formes d’action non-violentes, comme la conscientisation, l’organisation à la base, l’éducation populaire, la défense des droits de l’homme ; s’ils vont souvent aider des forces révolutionnaires (en leur offrant des refuges, ou un soutien politique), il est plus rare qu’ils s’engagent directement dans le combat armé. C’est le cas par exemple des mouvements révolutionnaires d’Amérique Centrale - Nicaragua, El Salvador, Guatemala - au cours des années 70 et 80.
Le Nicaragua est la première révolution dans l’Amérique Latine du XXe siècle à laquelle les chrétiens vont participer massivement - y compris un secteur du clergé - en tant que chrétiens. Des nombreux militants de la Jeunesse chrétienne révolutionnaire (formée par le jésuite Fernando Cardenal) vont s’engager dans les rangs du Front sandimste de libération nationale. Les deux frères Cardenal (Ernesto et Fernando) ainsi que des nombreux autres religieux et prêtres soutiennent le FSLN, mais la participation directe aux actions armées de la guérilla reste l’exception.
Parmi ces exceptions se trouve le père Gaspar Garcia Laviana, missionnaire espagnol du Sacré Cœur vivant au Nicaragua depuis 1970, qui décide en 1977 de se joindre aux combattants du FSLN. Il expliquait sa décision dans une lettre de décembre 1977 en se référant explicitement à la résolution de Medellm : légitimité de l’insurrection révolutionnaire en cas de tyrannie prolongée, qu’elle provienne d’un individu ou de structures manifestement injustes. Dans une deuxième lettre de 1978, le père Laviana écrit : « Ma foi et mon appartenance à l’Église catholique m’obligent à prendre une part active au processus révolutionnaire avec le FSLN... Ma contribution active à ce processus est un signe de solidarité chrétienne avec les opprimés et ceux qui se battent pour les libérer [12] ». Il sera tué peu après lors d’un affrontement avec la Garde nationale.
Cette participation chrétienne a profondément marqué l’idéologie et la pratique du sandmisme, y compris après le triomphe de l’insurrection (juillet 1979). La révolution sandiniste a aboli la peine de mort au nom du principe proclamé par le commandant Tomas Borge (ministre de l’intérieur) : « Notre vengeance sera le pardon ». Elle est ainsi devenue le premier mouvement révolutionnaire moderne depuis 1789 dont la victoire n’a pas été suivie par des exécutions, la guillotine ou des fusillades.
Dans son essai publié en 1990, Juan Hernandez Pico, jésuite et théologien nicaraguayen (né en Espagne), résume les idées de la théologie de la libération sur la révolution, la violence et la paix. Sa conclusion porte sur cette nouveauté que représente l’expérience sandiniste du point du vue de la maîtrise de la violence : « L’existence en Amérique Centrale d’un processus révolutionnaire comme le nicaraguayen, qui a épargné au maximum les formules répressives et ne s’est pas livré à l’ivresse d’un bain de sang vengeur, est une exception tellement significative dans l’histoire des révolutions qu’elle mérite une considération attentive. Avec la révolution les pauvres cherchent la vie, la leur et celle de leurs ennemis. Ils sont capables de générosité dans leur triomphe [13] ».
Peut-on dire de même de leurs adversaires ? Cet article de J.H. Pico a été publié dans un grand ouvrage de synthèse en deux volumes sur la théologie de la libération (Mysterium Liberationis), organisé par Ignacio Ellacuria, jésuite espagnol vivant depuis 1949 à El Salvador, où il était devenu un des plus importants théologiens de la libération de toute l’Amérique Latine. Recteur de l’Université Centre-américaine (UCA) d’El Salvador, Ellacuria s’était engagé dans un combat non-violent en défense des pauvres et des droits de l’homme à El Salvador. Peu avant la publication de ce livre, le 16 décembre 1989, il fut assassiné, avec six autres professeurs jésuites de l’UCA par des militaires envoyés par l’Etat major de l’armée salvadorienne.
Religion, politique et violence : le cas de la théologie de la libération