1. Je considère effectivement que l’existence des classes sociales, de leurs places antagoniques dans la société et de leur lutte pour la répartition des richesses constituent toujours une grille d’analyse essentielle pour comprendre le monde tel qu’il va. On peut même dire qu’avec la mondialisation capitaliste et l’offensive néolibérale que l’on connaît actuellement ce facteur explicatif de l’évolution des sociétés n’a jamais été aussi pertinent. Beaucoup s’interrogent ou feignent de s’interroger sur l’existence ou la disparition de la classe ouvrière. Mais personne ne songe à s’interroger sur... la disparition de la bourgeoisie capitaliste. Et pour cause ! La concentration des richesses produites par le travail de tous au profit d’une petite minorité privilégiée n’a jamais été aussi grande. En revanche, on se doit de comprendre les transformations apparues au sein de la classe ouvrière, avec la disparition ou la diminution de certains groupes comme les mineurs ou les sidérurgistes et le développement de nouvelles couches (employés, techniciens, etc.), toujours exploitées et aliénées dans le processus de production. Ces couches, en termes de formation ou de revenus, sont très hétérogènes et n’ont pas directement conscience de faire partie du prolétariat au sens large du terme. Il convient donc de travailler le contenu de nouvelles revendications unificatrices débouchant sur la remise en cause commune d’un système capitaliste qui marchandise complètement leur existence du berceau au cimetière, mais sous des formes plus subtiles qu’avant. Cela ne signifie pas, pour autant, que l’exploitation capitaliste et la lutte des classes expliquent tous les phénomènes politiques et sociaux. À ces phénomènes centraux se superposent diverses formes d’oppressions oppression de genre, oppression raciste, oppressions nationales et culturelles qui sont à l’origine d’autant de mouvements sociaux. Tous ces mouvements ont leur légitimité et ne doivent en aucun cas être subordonnés à la lutte entre exploités et exploiteurs. Dans ces combats quotidiens, la LCR n’établit pas de hiérarchie. Mais elle vise à faire converger la lutte contre l’exploitation capitaliste et les luttes contre toutes les formes d’oppression.
2. OUI, ELLE EST ABSOLUMENT NÉCESSAIRE. Chaque jour, on peut constater que la propriété privée des moyens de production, la concurrence entre entrepreneurs privés et la recherche du profit maximal à court terme qui en découle sont absolument incapables de satisfaire les besoins sociaux des populations. Cela dit, l’idée de nationalisation a été largement discréditée, à la fois par l’expérience de l’économie bureaucratique de l’Union soviétique et des pays de l’Est, et par les nationalisations effectuées par l’Union de la gauche après 1981. C’est pourquoi je pense qu’il faut réhabiliter la notion d’appropriation collective dont la nationalisation n’est que l’une des formes possibles en partant, comme nous y invite le mouvement altermondialiste, de l’affirmation qu’existent des « biens communs » : la santé, l’éducation, la culture, le logement, la nourriture, l’eau, l’énergie, la possibilité de communiquer, etc., auxquels chacun et chacune doit pouvoir avoir accès, quels que soient ses revenus. C’est une logique de service public et de contrôle démocratique de la population qui doit s’appliquer, ce qui implique d’aller vers la gratuité, un objectif évidemment impossible si leur production reste l’apanage de propriétaires privés, seulement intéressés par le profit.
3. LOIN DE CONTRIBUER à une redistribution plus égalitaire des richesses, les différentes réformes fiscales mises en oeuvre depuis des décennies, et aujourd’hui par le gouvernement Sarkozy, visent en fait à défendre les intérêts des patrons et des contribuables les plus privilégiés au détriment des salariés modestes et des couches populaires. Le poids croissant des impôts indirects, en particulier la TVA, va tout à fait dans ce sens.
C’est, de loin, la fiscalité la plus injuste puisqu’elle frappe indistinctement les consommateurs, quelles que soient leurs ressources. Il faut faire exactement l’inverse : restaurer la progress ivité de l’impôt sur le reve nu en augmentant le nombre de tranches et en accroissant les taux appliqués aux tranches supérieures, rétablir à 50 % le taux de l’impôt sur les bénéfices, rétablir les droits de succession et inclure l’« outil de travail » dans l’assiette du calcul de l’ISF. Et supprimer la TVA, en commençant par la TVA sur les produits de première nécessité...
4. NOTRE OBJECTIF c’est la destruction du système capitaliste et la construction d’une société socialiste reposant sur l’appropriation collective, la planification démocratique et l’autogestion. Cela implique précisément une certaine rupture avec l’économie capitaliste mondialisée et la priorité donnée à la satisfaction des besoins populaires avant celle des actionnaires. Naturellement, fidèle en cela à la tradition de notre mouvement, je ne conçois pas l’instauration d’une société libérée du règne du profit d’une société socialiste dans un seul pays. Mais je reste convaincu qu’un pays qui romprait effectivement avec le capitalisme constituerait une source puissante d’impulsion d’un mouvement social européen et international qui contesterait le capitalisme dans les autres pays.
5. LA CAMPAGNE CONTRE LE TRAITÉ de Constitution européenne (TCE) a été particulièrement éclairante. La coalition des élites (politiques, syndicales, économiques, culturelles, françaises et internationales) n’a pu empêcher les couches populaires d’exprimer leurs refus et leurs aspirations. Aux opposants de gauche au TCE les bons esprits promettaient l’isolement ; il n’en a rien été, ni en France ni en Europe. Sitôt après le 29 mai français, le peuple néerlandais a dit non, lui aussi. Et ces deux refus populaires ont rencontré beaucoup de sympathie parmi les autres peuples d’Europe, privés pour la plupart du droit de donner leur avis par référendum. L’objectif n’est donc pas seulement de reconquérir des marges de manoeuvre pour une politique économique nationale différente, mais d’agir pour que, ensemble, les peuples d’Europe imposent une autre Europe, démocratique et sociale, fondée sur l’alignement vers le haut des acquis sociaux. Cela implique évidemment l’abrogation des traités libéraux européens et l’adoption d’une nouvelle Constitution, à l’issue d’un processus constituant. Si une « France de gauche » se dotait d’un tel projet, elle se heurterait sans doute aux gouvernements libéraux en place ; mais elle ne serait pas isolée parmi les peuples !
6. TOUTES LES POLITIQUES RESTRICTIVES suivies depuis une trentaine d’années et toutes celles plus restrictives encore qui pourraient être imaginées n’empêcheront pas l’immigration, aussi longtemps que des masses considérables d’hommes et de femmes ne pourront vivre décemment dans leur pays d’origine. L’immigration zéro, l’immigration sélective, l’immigration choisie n’auront aucun effet, sinon de transformer les immigrés qui viendront de toute façon en immigrés clandestins, taillables et corvéables à merci précisément du fait de leur statut de clandestins, pour le plus grand profit des e ntreprises occidentales. La seule solution, à la fois digne et réaliste, c’est l’égalité des droits (dont le droit de vote et d’éligibilité) et la reconnaissance du droit à la libre circulation et à la libre installation. Notons au passage que, contrairement à la propagande dominante, ce principe aujourd’hui accepté pour les ressortissants de l’Union européenne n’a pas provoqué le fameux « appel d’air » que certains semblent redouter.
7. L’OBJECTIF DE « MESURES SOCIÉTALES » est non seulement d’augmenter les libertés individuelles, mais aussi de mettre en oeuvre l’égalité des droits, quels que soient le genre, l’âge, les origines nationales ou ethniques, les modes de vie, les orientations sexuelles, etc., pour promouvoir une société vraiment humaine.
De manière non limitative, je citerais volontiers :
— l’égalité salariale entre hommes et femmes (avec la mise en oeuvre d’un plan de rattrapage des salaires et des pensions) ;
— une loi-cadre contre les violences faites aux femmes (avec la création de centres d’accueil pour les victimes) ;
— la création d’un service public de la petite enfance ;
— la création d’un service public du quatrième âge ;
— l’égalité des droits pour les immigrés, à commencer par le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections et la régularisation de tous les sans-papiers ; — la lutte contre les discriminations à l’embauche et au logement dont sont victimes les individus d’origine non hexagonale ;
— l’abrogation des mesures sécuritaires, la dissolution des BAC et des polices municipales ;
— la lutte contre l’homophobie et la reconnaissance du mariage homosexuel ;
— la légalisation du cannabis et la dépénalisation de l’usage des « drogues » ;
— l’abaissement à 16 ans de l’âge du droit de vote...
8. FRANCHEMENT, JE N’AI AUCUNE PROPOSITION à présenter aux grandes puissances et aux institutions internationales : ce ne sont pas des partenaires qu’il faudrait convaincre, mais des adversaires qu’il faut neutraliser et vaincre ! Par contre, il est très important de développer les solidarités et les convergences avec les peuples et les mouvements qui tentent d’organiser les résistances à la mondialisation capitaliste. Plus précisément, notre internationalisme signifie d’abord et avant tout la construction de luttes communes contre l’impérialisme (à commencer par l’impérialisme nord-américain et, bien sûr, notre propre impérialisme, l’impérialisme français) et contre les institutions internationales à son service, à commencer par l’OMC, le FMI et la Banque mondiale qu’il s’agit de supprimer et non de réformer. À ce propos, la candidature de Dominique Strauss-Kahn au FMI, venant après l’élection de Pascal Lamy à l’OMC, en dit très long sur l’ampleur de la dérive idéologique et de la faillite morale de la social-démocratie...
CONCLUSION. Aujourd’hui, être de gauche implique tout à la fois de rester fidèle à un héritage celui des luttes de la classe ouvrière pour améliorer son sort et changer le monde et de se confronter à la société telle qu’elle existe, avec ses zones de barbarie mais aussi ses espaces de résistance et d’espérance. De ce point de vue, le succès du débauchage des élites socialistes auquel s’est livré Nicolas Sarkozy est révélateur : comment, en effet, résister aux sirènes du pouvoir lorsque l’on partage, au moins en partie, la même culture, les mêmes diagnostics et les mêmes solutions ?