Refinancer les communes : un choix de société

, par HORMAN Denis

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À l’approche des élections communales d’octobre, le Réseau francophone « Action contre la spéculation financière et pour la justice fiscale » a tenu au Palais des Congrès de Liège un colloque sur le refinancement des pouvoirs locaux. Au menu : une réflexion sur la fiscalité, du fédéral au local. Et la critique des injustices ayant trait au financement des communes. L’occasion, surtout, d’avancer une série de propositions permettant aux communes de remplir leur mission essentielle : satisfaire les besoins fondamentaux de la population.

Dans notre pays, les dépenses des villes et communes sont financées essentiellement par les transferts d’autres pouvoirs. Le pouvoir fédéral transfère aux régions une partie des impôts sur les personnes physiques, le précompte immobilier (impôt direct sur le revenu du patrimoine immobilier (IPP), précompte perçu directement par le fédéral. De même, le fédéral perçoit la taxe additionnelle communale, dont le taux est déterminé par les conseils communaux. À leur tour, les Régions alimentent le Fonds des communes sur la base de leur budget, financé essentiellement par les recettes fédérales, provenant de l’impôt sur le revenu et accessoirement par les recettes d’impôts régionalisés (droits d’enregistrement, droits de succession, etc.). Les communes ont également des ressources propres, ce sont les taxes perçues directement par les communes.

En 2004, le montant des recettes ordinaires des villes et communes était de 12,92 milliards d’euros. À titre de comparaison, le montant total des recettes fiscales de l’Etat était de 79,5 milliards d’euros.

Pour l’année 2004, la répartition des trois sources de financement des villes et communes s’établissant comme suit : recettes fiscales (45,65 %), fonds et subsides (44,03 %) et ressources propres (10,32 %).

Les dessous de la fiscalité communale

C’est la Banque Nationale de Belgique (BNB) qui le signale : au 3e trimestre 2005, les actifs financiers des ménages belges s’élevaient à près de 762 milliards d’euros, soit près de dix fois le montant des recettes fiscales globales de l’Etat ! Un prélèvement de 0,5% sur ces actifs financiers produirait une recette de près de 4 milliards d’euros, soit 29,49 % des recettes ordinaires des communes en 2004. Ces avoirs financiers sont en fait concentrés entre les mains d’un faible pourcentage de ménages (fortunés, cela va sans dire) : 10 % des ménages détiennent plus de 50 % du patrimoine national et le 1 % le plus riche de la population en possède 25 %.

Parce que la Belgique maintient le secret bancaire fiscal, il n’existe pas de répertoire des comptes bancaires et à fortiori de cadastre des patrimoines financiers. Ceux-ci échappent donc en grande partie à l’impôt. Les revenus financiers échappent à la taxe additionnelle communale. Depuis 1983, ils ne sont plus globalisés avec les autres revenus dans la déclaration annuelle à l’impôt sur le revenu (IPP). Leur contribution fiscale se réduit au précompte mobilier libératoire : 15 % sur les intérêts de comptes bancaires ou d’obligations et 25 % sur les revenus d’actions. Cela signifie que les détenteurs de revenus du capital ne contribuent pas au financement de leur commune. Il y a donc une discrimination intolérable entre les revenus touchés par la fiscalité locale et ceux qui y échappent légalement.

Les entreprises, elles aussi, font de belles affaires. En raison de la compétition fiscale que se livrent les territoires (États, Régions, communes), la fiscalité des entreprises a sensiblement diminué. Il y a quelques années déjà ; la Flandre a décidé de ne plus imposer au précompte immobilier l’outillage et de ne plus indexer le revenu cadastral des bâtiments industriels. La Wallonie lui a emboîté le pas. Dans la cadre du Plan Marshall, le gouvernement wallon a pris des mesures pour alléger la fiscalité des entreprises : suppression du précompte immobilier sur tous les investissements acquis à l’état neuf, suppression progressive d’autres taxes industrielles. En Province du Hainaut par exemple, l’impact de la suppression de certaines provinciales a déjà été évalué : un manque à gagner de 21,6 millions d’euros, soit 6,94 % de son budget annuel.

Choyées, les entreprises le sont à bien des égards. Afin de conserver l’attractivité fiscale de la Belgique pour les firmes multinationales, le gouvernement libéral-socialiste a trouvé la parade pour le remplacement à terme des centres de coordination : il s’agit des intérêts notionnels. Les entreprises qui investissent sur fonds propres peuvent, à partir de cette année, déduire fiscalement un intérêt fictif, celui qu’elles auraient payé si elles avaient eu recours à l’emprunt.

En conclusion, l’essentiel des recettes fiscales des villes et communes est de plus en plus supporté par les revenus du travail et les propriétaires de leur habitation. Mais, là aussi, les réformes engagées à des niveaux de pouvoir supérieurs ont eu des répercussions négatives sur les finances communales. On peut évoquer le démantèlement des taux les plus élevés de l’impôt sur les personnes physiques (réforme Reynders de 2001), véritable cadeau fiscal pour les hauts revenus. En effet, le taux le plus élevé de l’IPP (fixé à 50 %) est déjà atteint pour un salaire imposable de 30.000 euros.

Le précompte immobilier, quant à lui, est un impôt sur les bâtiments et l’outillage. Il est calculé sur le revenu cadastral. En principe, le revenu cadastral est revu périodiquement pour tenir compte de l’évolution des loyers. En tout cas, la loi le prévoit. Mais la dernière révision date de la fin des années 1970. Aucune mise à jour ne semble prévisible à court ou moyen terme. Au contraire, dans la réforme en cours au sein du ministère des Finances, le cadastre est de plus en plus marginalisé : cadre administratif âgé, pas de recrutement, organisation administrative et informatique défaillantes, etc.

Précarité dans un paradis fiscal

Pas d’impôt sur la fortune ni sur les gains boursiers. Des patrimoines financiers inconnus du fisc, mais qui placent la Belgique au sommet du hit-parade des pays de l’Union européenne : l’équivalent de 300 % du PIB en 2005. Notre pays est repris dans la liste officielle des paradis fiscaux, un paradis qui côtoie une précarité sociale persistance. La Belgique a beau être un des pays les plus riches d’Europe, la pauvreté et la précarité y touchent durement certaines catégories de la population. Les chiffres les plus récents indiquent que 15 % des Belges vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit un revenu inférieur à 775 euros par mois pour une personne isolée (seuil de pauvreté calculé à 60 % du revenu médian). Le montant du minimex se situe en dessous du seuil de pauvreté pour une personne isolée : 625,60 euros par mois. Le gouvernement a fait un geste. Deux augmentations sont prévues : 1 % en 2006 et 2 % en 2007. 23 % des chômeurs sont en situation de pauvreté. Ce taux de pauvreté touche également 26 % des pensionnés. Les aides sociales sont déterminantes pour empêcher des pans entiers de la population belge de basculer dans la précarité. Sans elles, 42 % des personnes vivraient sous le seuil de pauvreté.

Propositions de refinancement

« Face à la forte augmentation de la précarité, un refinancement des services publics communaux est indispensable pour assurer réellement une vie décente à l’ensemble de la population. C’est l’égalité devant l’impôt et le principe de la redistribution des richesses qui doivent déterminer les voies du financement communal. Le financement du budget communal doit être réparti en tenant compte de la faculté contributive des ménages et des entreprises. »

Cet extrait de la déclaration finale du colloque situe clairement la démarche qui préside à quelques propositions prioritaires et indispensables pour la mission des communes : la préservation et la consolidation de services publics pour la satisfaction des besoins fondamentaux de la population. Du fédéral au communal en passant par les Régions, une fiscalité juste et redistributive en est un élément essentiel.

Les propositions avancées dans la déclaration finale s’appuient d’une part sur l’égalité devant l’impôt (celui-ci doit toucher tous les revenus et tous les patrimoines) et d’autre part la progressivité de l’impôt (le taux d’impôt doit être proportionnel aux facultés contributives).

Globalisation des revenus financiers (impliquant la levée du secret bancaire fiscal), révision des revenus cadastraux (immobiliers) reflétant la réalité locative, un impôt des sociétés correspondant à leurs facultés contributives, un impôt sur les grosses fortunes permettant une diminution drastique du stock de la dette publique et de la charge des intérêts (c’est le premier poste de dépenses des pouvoirs publics), telles sont les propositions essentielles avancées par l’assemblée réunie par le réseau « Action contre la spéculation financière et pour la justice fiscale ».

Source

Le Journal du mardi, 29 mai 2006.

Diffusion Web

Gresea (Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative), 26 mai 2006. URL : http://www.gresea.be/spip.php?article462

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