- Marouane : Pourrais-tu entrer dans un gouvernement de gauche, pour peser sur une hausse des salaires, des allocations sociales et des retraites ?
Olivier Besancenot : Dans un gouvernement anticapitaliste qui prendrait de telles mesures, plus d’autres encore, comme l’interdiction des licenciements, ou qui se battrait pour une réelle répartition égalitaire des richesses, sans problème. Evidemment même. Un tel gouvernement impliquerait de grandes mobilisations sociales pour que le pouvoir lui-même soit partagé. Un tel gouvernement, enfin, est évidemment contradictoire avec le programme du Parti socialiste et de ceux qui proposent d’accompagner les dégâts du capitalisme.
- Pedro : Comment le France peut-elle être une puissance mondiale sans le capitalisme ?
Olivier Besancenot : Être anticapitaliste, c’est être internationaliste. Des mesures anticapitalistes qui seraient prises ici n’enverraient pas la France sur la Lune et ne couperaient pas notre population des autres peuples du monde. D’ailleurs, la plupart des mesures que nous préconisons, nous les proposons aussi à l’échelle européenne : un salaire minimum européen basé sur les revenus nationaux les plus élevés, une loi européenne d’interdiction des licenciements, ou des services publics européens. D’ailleurs, dans l’histoire, quand notre pays connaît de grandes ébullitions sociales, en général, d’autres pays, au-delà de nos frontières, connaissent les mêmes secousses.
- Pierre : Quelles sont les mesures que vous préconisez pour réduire les déficits publics ?
Olivier Besancenot : D’abord, d’arrêter de distribuer des aides publiques à des groupes riches qui n’en ont pas besoin. Les dizaines de milliards distribués par l’Etat ont servi à certains pour spéculer de nouveau, comme avant la crise. Nous proposons, de plus, de nouvelles recettes en taxant les profits, en taxant les plus riches qui continuent à s’enrichir dans la crise. Aujourd’hui, ceux que le gouvernement taxe toujours moins sont également ceux à qui le gouvernement donne toujours plus d’aides publiques. Et ceux-là mêmes se trouvent en position de force pour finalement spéculer sur la dette de l’Etat à hauteur chaque année d’environ 50 milliards d’euros. Tous ceux-là et celles-là ne constituent qu’une infime minorité de la population.
- Philou : Dans un récent entretien, la secrétaire nationale des Verts a qualifié votre comportement politique de « bête », en n’étant jamais disponible pour assumer des responsabilités et changer concrètement la vie des gens, vous contentant d’une posture de donneur de leçons. Que répondez-vous ?
Olivier Besancenot : En guise de donneur de leçons, ce n’est pas mal comme commentaire. De mon côté, je préfère continuer à respecter les positions que je ne partage pas. Le débat avec Europe Ecologie est un débat politique. Pour notre part, l’écologie est aussi un combat social. Par exemple, plutôt que de parler d’écotaxe, et culpabiliser la population quand on parle d’écologie, nous avançons la proposition d’écogratuité. Très concrètement, cela pourrait passer par la gratuité des transports collectifs pour tous, une telle mesure dans toute la France représenterait un coût de 2 milliards à 2,5 milliards d’euros. Comparé aux bénéfices, ne serait-ce que celui de Total prévu cette année à 8 ou 9 milliards, qui se permet par ailleurs de licencier, ce n’est finalement pas grand-chose.
- Pierre : Il faut donc nationaliser Total ?
Olivier Besancenot : Il faut en effet réquisitionner tous les groupes énergétiques (Total, EDF, Suez, Areva, etc.) dans un seul et même service public de l’énergie. Ce service public devrait avoir le monopole de la distribution. Ce serait bon pour l’emploi, ce serait bon pour les usagers, qui peuvent d’ores et déjà constater que l’ouverture à la concurrence se traduit par une augmentation des tarifs, contrairement à ce que nous annoncent à chaque fois les vendeurs des mérites du libéralisme. Enfin, ce serait bon pour l’environnement, car ce serait l’occasion d’investir collectivement pour la sobriété énergétique et la sortie du nucléaire.
- Stone 43 : Tant que le PCF aura encore un souffle de vie, l’unité de la gauche de la gauche sera-t-elle possible ?
Olivier Besancenot : Je ne milite pas pour la mort du Parti communiste. Nous croisons les militants communistes régulièrement dans les mobilisations, et depuis longtemps. Le débat pour fédérer la gauche radicale, entre le NPA et le PCF notamment, porte sur la question des alliances avec le PS. Le Parti communiste s’apprête de nouveau à participer aux majorités de régions avec les socialistes. Or, pour nous, le bilan de ces régions n’est pas satisfaisant. Vingt régions sur vingt-deux gagnées par la gauche il y a six ans, et finalement, ce contre-pouvoir potentiel au sarkozysme n’a pas porté ses fruits. Par ailleurs, comment cogérer avec le Parti socialiste, qui s’apprête, lui, à cogérer une défaite sociale majeure avec le gouvernement sur l’épineux dossier des retraites ?
Dire qu’il faudra de toute façon travailler jusqu’à 61 ou 62 ans, cela revient à envoyer un accusé de réception à l’Elysée en lui disant : « vas-y, fonce ! »
- Alain : Ne craignez-vous pas de voir ces sociétés déménager à l’étranger si elles se sentent trop sous pression en France ?
Olivier Besancenot : Le discours de la pression fiscale sur les entreprises qui ferait fuir les plus riches est un discours que j’entends depuis tout petit. Et c’est au nom de cela que les gouvernements successifs ont nivelé vers le bas l’ensemble des législations sociales. L’impôt sur les bénéfices des sociétés est ainsi passé de 55 à 33 %, sans parler de toutes les dérogations. Je suis pour la redistribution des richesses. Si quelques-uns se trouvent effrayés par de telles mesures et décident de rejoindre à toute biture la Suisse, eh bien qu’ils le fassent. Je suis de toute façon favorable à la liberté de circulation. Mais malgré tout, les vraies richesses resteraient ici, car les richesses, ce n’est pas que le portefeuille de quelques actionnaires, c’est d’abord les entreprises, les machines, le savoir-faire. Et tout cela pourra être contrôlé par la majorité de la population.
- Christel : Selon vous, les patrons devraient-ils être remplacés par des ouvriers actionnaires de leur propre entreprise ?
Olivier Besancenot : L’actionnariat salarial est une impasse. Souvenons-nous seulement de France Télécom, où les agents ont pleuré deux fois : une première fois comme salariés, qui allaient subir les conséquences sociales de la privatisation sur leurs conditions de travail ; et une deuxième fois comme actionnaires, puisque la plupart ont tout perdu. Quand j’entends le gouvernement vanter le mérite d’une privatisation en proposant à la population de devenir propriétaire d’un service public en achetant une action, j’aurais presque envie d’en rire si le sujet n’était pas si grave. Je rappelle que lorsqu’un service est public, il est la propriété de tous, puisque c’est nous qui le finançons avec l’argent de nos impôts. Sauf qu’aujourd’hui, l’argent de nos impôts ne finance pas les services publics, mais quelques banques qui ont bien vite repris les mauvais travers.
- Florian : Que pensez-vous de la polémique Proglio ?
Olivier Besancenot : Que cette affaire est révoltante et en même temps symptomatique. Révoltante parce que ne serait-ce que 40 % d’augmentation de rémunération par rapport à l’ancien directeur, cela prouve que dans les hautes sphères ils vivent dans un monde à part. Les salariés de Sanofi qui ont fait grève pour obtenir une augmentation de 150 euros sans succès doivent apprécier ce montant d’augmentation. Symptomatique aussi, car c’est simplement l’arbre qui cache la forêt. La question posée est le mode d’attribution de ces rémunérations. Les grands patrons tournent au sein des différents conseils d’administration, à coups de jetons de présence qui valent en général un smic, uniquement pour siéger et fixer la rémunération de leurs autres petits copains. La question posée est donc celle du contrôle des salariés eux-mêmes sur ces rémunérations. Sans cette avancée démocratique, il n’y aura pas de répartition de richesses, il n’y aura pas la fin de ces écarts insupportables.
- MrTim : Ne pensez-vous pas qu’en refusant de gouverner avec les partis de gauche, vous refusez aussi d’agir vraiment et vous condamnez à rester éternellement dans l’opposition ?
Olivier Besancenot : Je crois au contraire que l’indépendance farouche vis-à-vis des partis institutionnels qui s’apprêtent à créer ensemble un centre gauche en France est la meilleure garantie pour peser sur les décisions politiques. C’est la garantie de garder sa liberté de parole, de proposition et d’action, dans l’activité politique et sociale quotidienne, et dans les institutions quand on y est élu. C’est la possibilité d’avoir, par exemple dans les régions, des conseillers régionaux qui, sans être dans les exécutifs, sont autant de délégués du personnel qui appuieront les mesures qui vont dans le bon sens, mais resteront suffisamment libres de ne pas voter des mesures contradictoires avec notre programme, comme les subventions données au patronat ou celles qui vont vers les lycées privés.
Certains ont tenté pendant vingt ans de peser de l’intérieur. Ils n’y sont pas arrivés, ont cautionné des politiques désastreuses au moment de la gauche plurielle. Et la seule différence aujourd’hui par rapport à il y a vingt ans, c’est qu’il faudra compter pour cela dorénavant avec Bayrou et Cohn-Bendit dans les bagages.
- Pierre : Vous parlez de politique désastreuse au moment de la gauche plurielle, mais les 35 heures et l’âge du départ à la retraite, que vous défendez ardemment, ne viennent-ils pas de lois socialistes ?
Olivier Besancenot : Les 35 heures auraient pu être une grande avancée sociale. Malheureusement, la loi Aubry a voulu faire avec le patronat donnant-donnant. D’un côté, on baisse le temps de travail, et de l’autre, on livre au patronat un cadeau alors inespéré, celui de l’annualisation et de la flexibilité du temps de travail. Résultat des courses à l’époque : de nombreuses grèves contre l’application de cette loi, que ce soit dans l’automobile ou à La Poste, que je connais bien. Au final, la droite arrivera quelques années plus tard, face à cette loi devenue impopulaire, pour revenir sur les 35 heures, non pas pour annuler l’annualisation ou la flexibilité, mais bien pour nous faire bosser 39 heures, voire plus. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des mesures positives qui ont pu être prises par des gouvernements de gauche : le pacs, le congé paternité, etc. Mais quand je fais la balance entre le pour et le contre, il n’y a malheureusement pas photo. La gauche plurielle restera ce gouvernement qui a privatisé plus que deux gouvernements de droite réunis. Quant aux grandes conquêtes sociales, je crois qu’on les doit plutôt aux luttes de nos anciens.
- Jean Lauvergnat : Pensez-vous, comme Vincent Peillon, que France Télévisions est aux ordres de l’Elysée ?
Olivier Besancenot : Je crois que les différentes réformes gouvernementales vont dans le sens de remettre en cause, en effet, l’indépendance des médias. Ces différentes mesures ont suscité de l’émoi dans la population comme chez les journalistes. Je ne suis pas pour autant un adepte des théories du complot. Je ne crois pas que le président de la République ait besoin de décrocher son téléphone pour donner la juste ligne. La pensée dominante est malheureusement véhiculée sans qu’il y ait besoin de telles injonctions.
- Lucile : Pensez-vous que les centrales syndicales font le jeu des contre-réformes du gouvernement en n’appelant pas à la grève générale ?
Olivier Besancenot : Le NPA a toujours milité pour la convergence des luttes, et donc la généralisation des grèves. Quand les anticapitalistes revendiquent cette solution, certains ont peur, y voient déjà le fantasme du grand soir. Alors qu’au fond, ce qui nous guide, c’est un souci d’efficacité pour faire en sorte que toutes les luttes partielles qui existent gagnent enfin. Et c’est en effet une lapalissade que de dire qu’ensemble on peut déplacer des montages, et qu’isolément, on se retrouve souvent dans un tête-à-tête néfaste avec le patronat ou avec le gouvernement.
Je continue donc à penser qu’en janvier 2009 une séquence sociale ascendante s’était ouverte, faite de grandes manifestations et d’une volonté collective de se retrouver. Malheureusement, la stratégie des principales directions syndicales, qui nous ont emmenés de manifestation en manifestation tous les deux mois, n’a pas abouti à cette convergence. Elle a participé à sa manière à ce que le gouvernement reprenne la main, socialement puis politiquement, au mois de juin dernier.
- Florian : Comment expliquez-vous la baisse d’ampleur des mouvements sociaux ces six derniers mois ?
Olivier Besancenot : Les mobilisations sociales connaissent en effet depuis plusieurs mois un reflux. La combativité d’une partie des travailleurs et de la jeunesse a été atteinte puisque les luttes précédentes n’ont pas pu ou n’ont pas su aboutir à des victoires ressenties comme telles. Et c’est bien de victoires nouvelles dont nous avons besoin, comme nous en avons pu connaître sous Villepin au moment du contrat de première embauche où, je le rappelle, la mesure avait été votée par le Parlement, mais avait été défaite par la rue. Cela étant, même dans une période de reflux, les mobilisations continuent, locales, partielles, mais souvent radicales et unitaires, que ce soit pour l’emploi, les salaires ou la défense des services publics. Avec des hauts et avec des bas. Ce mouvement permanent est là pour rappeler à tous que, dans ce pays, il est difficile de faire sans prendre en compte la voix populaire.
- Fontaine : Que pensez-vous du port du voile intégral dans notre société ?
Olivier Besancenot : Je suis évidemment conscient de ce que représente la burqa du point de vue du droit des femmes et de la laïcité. En tant qu’internationaliste, je connais aussi tous les dégâts liés aux intégrismes religieux. Pourtant, et sans équivoque, je suis contre tout projet de loi sur le port de la burqa, qui sera inefficace, qui sera un leurre, et qui servira de toute façon à stigmatiser non pas les intégrismes religieux, mais un peu plus encore la communauté musulmane. Le gouvernement, pensant récupérer les voix de l’extrême droite, orchestre une campagne raciste, xénophobe et islamophobe qui devient insupportable. La burqa, les youyous dans les salles de mariage, les dérapages verbaux de plusieurs ministres ou responsables politiques sont là pour attester que ce qui doit faire office de nouveau bouc émissaire, c’est spécifiquement aujourd’hui le musulman.
Ce discours entraîne la peur, et la peur, comme chacun sait, est mauvaise conseillère.
- Cromwell : Si on suit votre raisonnement, il ne faut rien faire sur la burqa ?
Olivier Besancenot : Je crois aux solutions envisagées par la discussion démocratique et la conviction. Et j’affirme qu’une loi sur la burqa ne sera d’aucune manière un rempart contre l’intégrisme religieux, mais lui ouvrira au contraire un grand boulevard. Car cette loi, qui n’aura aucune espèce d’incidence, n’aura comme seule conséquence que de permettre à certains intégristes de se présenter en victimes et en martyrs. Par ailleurs, je crois sincèrement que tout ce débat, comme celui sur l’identité nationale, est un leurre, puisque quand on parle de cela du matin jusqu’au soir, même dans un chat, pendant ce temps-là, on ne parle pas d’autres choses, qui sont pourtant des sujets de préoccupation majeurs : nos emplois, nos salaires, la santé, le logement, etc.
- François : Quel est votre avis concernant la politique de M. Woerth sur les 3 000 évadés fiscaux ?
Olivier Besancenot : Je crois que les évadés fiscaux n’ont pas grand-chose à craindre de la politique du gouvernement actuel. On a envisagé pour eux des cellules pour trouver des compromis, on est souvent prêts à leur dérouler un tapis rouge. On note, au-delà des effets de communication, à quel point le gouvernement traite les évadés fiscaux avec une certaine attention, pendant qu’il traite l’ensemble du monde du travail à grands coups de bras d’honneur.
- Christophe : Le NPA sera-t-il ou pourra-t-il être un jour autre chose que « le parti d’Olivier Besancenot » ? Quels sont les autres porte-parole du NPA ?
Olivier Besancenot : Il y a dans cette campagne régionale un porte-parole national de la campagne, Pierre-François Grond, qui assumera la représentation militante publique et médiatique pour soutenir nos différentes listes dans les régions. Pour ma part, je me concentre donc sur la candidature de l’Ile-de-France, où je suis tête de liste.
- Poulman : La défense des travailleurs n’implique-t-elle pas de compromettre ses idéaux, et de participer à un gouvernement ?
Olivier Besancenot : Défendre les travailleurs, c’est défendre les mesures qui sont favorables aux travailleurs. Et sûrement pas de cautionner des gouvernements élus par ces travailleurs et qui, finalement, se retournent contre eux une fois élus. Je suis favorable à l’unité de toute la gauche dans les résistances et les luttes face à la droite. Je revendique mon indépendance quand il s’agit de proposer un programme. Nous sommes prêts à faire des compromis, c’est-à-dire aboutir à un accord où chacun fait quelques concessions entre forces de la gauche qui veut toujours changer le monde. Mais je suis contre la compromission et la gauche, ces vingt-cinq dernières années, a beaucoup payé à cause des désillusions qu’elle a suscitées une fois qu’elle arrivait au pouvoir. Notre degré d’exigence, au NPA, est pour moi une marque de fabrique.