- Ekaitza : L’État français a décidé d’appliquer le mandat d’arrêt européen (MAE) à Aurore Martin. Quelle est, selon toi, la signification de cette mesure, dans ce cas particulier ?
Claude Larrieu : On peut même préciser que l’État français a en fin de compte décidé d’appliquer le MAE à Aurore Martin. En effet, l’Audiencia Nacional de Madrid avait déjà délivré un premier MAE à son encontre en juin 2010, qui avait été refusé par le tribunal français car jugé trop imprécis. En novembre 2010, à peine six mois plus tard, le même tribunal a cette fois jugé les « délits » (article d’opinion dans Gara, conférences de presse en Hegoalde...) suffisamment précis. Comment l’interpréter, si ce n’est par une pression accrue de l’État espagnol qui a fini par obtenir que l’État français valide pour la première fois un MAE lancé contre l’une de ses ressortissantes (les tentatives antérieures, en 2004, contre les trois jeunes d’Iparralde militant-e-s de Segi, puis contre Jean François Lefort porte parole d’Askatasuna, avaient échoué). La raison est politique. Plus la gauche indépendantiste s’exprime et agit en faveur d’une résolution politique, démocratique du conflit, plus l’État espagnol, avec la complicité et l’aide de l’État français, poursuit voire accentue la répression. Au fond, l’État espagnol refuse ce droit démocratique qu’est le droit à l’autodétermination au peuple basque, croyant régler la question en bâillonnant le droit à la parole, le droit à l’opinion. L’État français le suit dans cette voie qui prétend empêcher un peuple de choisir son destin, alors que l’ETA a décrété une trêve illimitée, alors que des changements profonds sont aujourd’hui à l’ordre du jour dans le Pays Basque. L’heure est au débat, à la confrontation des idées et des projets politiques, contexte difficile à accepter pour l’État espagnol.
On peut aussi se poser la question : pourquoi avoir pris pour cible Aurore Martin plutôt qu’un dirigeant plus « connu » de Batasuna ? Une réponse possible : les États espagnol et français estimaient ainsi que la mobilisation serait moins importante. Si tel était leur calcul, il a été totalement erroné. L’ampleur de la mobilisation en est la meilleure preuve.
- Ekaitza : Autour de cette décision de justice, vous avez organisé un collectif. Qui rassemble-t-il et quels sont vos objectifs ?
Claude Larrieu : En fait, le collectif Pays Basque contre le MAE date de 2004, et a été réactivé l’an dernier. Il regroupe aujourd’hui les organisations suivantes : Abertzalen Batasuna, Anai Artea, Askatasuna, Batasuna, CDDHPB, LAB, NPA, Segi et Solidaires. Il est bien entendu ouvert à toute organisation qui en partage les objectifs, objectifs qu’on peut ainsi résumer :
— expliquer et dénoncer le mandat d’arrêt européen, instrument liberticide aux mains des États européens, qui leur permet de museler les oppositions politiques qu’ils refusent. Le MAE est une procédure expéditive, autorise qu’un état sollicité remette l’un-e de ses ressortissant-e-s à un État demandeur, même si le « délit » dans l’un ne l’est pas dans l’autre (ainsi Batasuna, comme Segi, sont des organisations interdites ou légales suivant que l’on soit d’un côté ou de l’autre de la Bidasoa), même si sévissent dans l’état demandeur juridiction d’exception et torture comme c’est le cas dans l’État espagnol
— mobiliser le plus largement possible pour défendre les militant-e-s victimes du MAE, pour exiger l’abrogation du MAE
— défendre les libertés démocratiques que sont les droits d’expression, de réunion, d’opinion et donc refuser la stratégie d’illégalisation de la gauche indépendantiste, dénoncer les atteintes aux droits civils et politiques qui frappent les militant-e-s basques.
Ces derniers mois, le collectif a organisé nombre d’actions, manifestations, rassemblements, conférences de presse... Il a pris contact avec de nombreuses organisations tant au niveau du Pays Basque qu’au niveau hexagonal. Les résultats sont pour l’heure très positifs, montrant que lorsque les libertés élémentaires sont en jeu, une large unité est réalisable.
- Ekaitza : L’application du mandat d’arrêt européen semble remise en cause par de nombreux acteurs politiques issus de secteurs différents. Pour quelle raison maintenant ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette décision votée à une écrasante majorité par les élus européens (y compris par la gauche institutionnelle française) ? Comment y faire face ?
Claude Larrieu : De fait, l’application du MAE à Aurore Martin a entraîné de nombreuses réactions de secteurs les plus divers tant au niveau politique (prises de position de membres des différents partis de gauche mais aussi de certains de droite) que syndical ou associatif ou encore de diverses « personnalités ». Il faut citer le texte rendu public par 80 élu-e-s du Pays Basque qui n’ont pas hésité à se déclarer prêts à héberger Aurore chez eux et donc à enfreindre la loi.
Sur l’initiative du Collectif, un manifeste « Pour l’abrogation des législations d’exception en Europe, Pour la liberté d’Aurore Martin » a été très largement signé dans le Pays Basque comme dans tout l’Hexagone. L’ensemble des signataires appelle, avec le Collectif, à une journée de débat et de mobilisation le 18 juin, à Biarritz, halle d’Iraty. Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme et Anaiz Funosas, responsable d’Askatasuna et membre du Collectif, interviendront au meeting à 19 heures.
Cette large réaction s’explique par plusieurs facteurs, parmi lesquels le changement du contexte politique au Pays Basque. Mais principalement, l’application du MAE à une jeune militante de nationalité française « simplement » pour un délit d’opinion dans l’État espagnol, le fait qu’elle risque jusqu’à 12 ans de prison dans les geôles espagnoles, frappe les esprits et du même coup, entraîne une prise de conscience plus large que le cas d’Aurore. Ainsi, un soutien plus important qu’à l’habitude, lorsqu’il s’agit de militantEs du Sud, a accompagné les huit jeunes d’Hegoalde de Segi réfugiés en Pays Basque Nord au début de cette année. De façon générale, l’application du MAE à Aurore a provoqué un questionnement de fond sur le MAE, loi scélérate votée effectivement à une écrasante majorité au Parlement européen. Jusqu’à présent, seuls des secteurs minoritaires le dénonçaient. Aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont les juristes qui n’acceptent pas des droits de la défense quasiment nuls avec le MAE qui, rappelons-le, n’est examiné par la justice de l’État sollicité que sur la forme, pas sur le fond. En effet, le MAE repose sur « un degré de confiance élevé entre les États européens ». Aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont les responsables et membres d’organisations qui s’inquiètent de cette « confiance » autorisant par exemple la livraison d’Aurore Martin à l’État espagnol. Le cas d’Aurore est devenu emblématique, il a permis de mettre le zoom sur cette procédure lourde de menace et de danger qu’est le MAE, non seulement pour les militant-e-s basques, mais aussi pour l’ensemble des militant-e-s politiques, syndicaux, associatifs au niveau de l’espace européen. En cette période de crise du capitalisme, luttes et résistances sociales se multiplient et le MAE peut être utilisé contre elles. Le Manifeste – signé par des responsables d’organisations politiques allant d’Alternative Libertaire au PS, en passant par le PC, les Verts etc., des syndicalistes de la CGT, CFDT, Solidaires... des représentants de la LDH, FIDH, du MRAP, du SAF, d’Attac... ainsi que des écrivains, historiens... comme Stéphane Hessel, Maurice Rajsfus, Albert Jacquard, Benjamin Stora... — prend position au-delà du cas d’Aurore Martin puisqu’il dénonce les juridictions d’exception et les cas de torture dans l’État espagnol, la répression politique envers les militant-e-s basques, la menace que représente le MAE pour n’importe quel-le militant-e au niveau de l’Europe.
Dans ce contexte, il importe de poursuivre et d’intensifier la mobilisation, seule capable de faire reculer la logique répressive des États. Le Collectif Pays Basque contre le MAE entend bien continuer à informer et agir dans ce sens. L’important travail accompli ces derniers mois a permis de constituer un vaste réseau, tant au niveau du Pays Basque que de l’Hexagone. Des liens se sont tissés entre organisations, individus qui n’avaient pas forcément l’habitude de travailler ensemble, et en particulier, tout cela a permis d’organiser le 18 juin où nombre de signataires du Manifeste seront présent-e-s. Pour le Collectif, c’est là une étape importante qui doit permettre de continuer à intervenir et mobiliser ensemble pour les droits civils et politiques au Pays Basque, pour l’abrogation des juridictions d’exception et du MAE, pour la liberté d’Aurore Martin et de tous-toutes les autres.