- Philippe Poutou était à Ajaccio ce mercredi 23 mars.
- © Photo : Julia Sereni.
- Pourquoi ce déplacement en Corse ?
Nous avons eu l’opportunité de venir avec l’annulation d’une émission liée à la campagne présidentielle. C’était pour nous l’occasion de rencontrer les camarades d’A Manca et les camarades syndicalistes de Corse, en lien évidemment avec l’actualité politique et sociale. On a envie de discuter, de comprendre ce qu’il se passe, et puis cela correspond aussi à nos idées : c’est lorsque les peuples et les populations se battent et expriment leur colère que les choses peuvent vraiment changer.
- Justement, vous avez déclaré que les révoltes pouvaient changer l’histoire, cela veut-il dire que vous justifiez les violences ?
C’est un petit raccourci, mais c’est vrai qu’on n’est pas du tout gênés lorsqu’il y a de la révolte dans la rue. On n’est pas du tout gênés par cette révolte ici que l’on considère comme légitime, parce qu’en fait, la véritable violence, c’est la violence de l’État français. Ce n’est pas juste une attitude coloniale, avec le déni démocratique, le mépris à l’égard des prisonniers politiques corses et le refus de reconnaitre un statut et des droits à un peuple, c’est aussi une colère sociale qui s’exprime, liée au chômage, à la précarité. C’est aussi, avec la spéculation immobilière, la bétonnisation, la difficulté pour les jeunes de se loger, d’avoir des terres agricoles. Tout cela se mélange, il y a un ras-le-bol, et ça pète. Donc on n’est pas gênés par la réponse, on pense même qu’elle est essentielle, quand on est agressé, il faut répondre. Ce n’est pas une justification de la violence, mais c’est reconnaitre que les choses ne peuvent changer que lorsqu’on ne se laisse plus faire.
- Vous croyez au processus de négociations engagé par le gouvernement ?
Pas du tout. On voit bien que les milieux nationalistes corses se sont fait balader durant tout le mandat d’Emmanuel Macron, et en quelques jours de manifestations, on a vu le gouvernement trembler, reculer, suspendre les statuts de Détenus Particulièrement Signalés, libérer Yvan Colonna alors même qu’il était en train de mourir… On voit comment la colère a bousculé le pouvoir, qui a commencé à lâcher des choses. Récemment, Gérald Darmanin a même parlé d’autonomie. Mais c’est évident que si la mobilisation s’arrête, il n’y aura plus de discussions derrière. Il ne faut pas oublier qu’on est en période électorale. Ce sont des ficelles classiques de la part d’un pouvoir de faire comme s’il était prêt à discuter, et en fait de temporiser jusqu’à la prochaine élection, où les promesses seront oubliées. On n’y croit pas.
- Vous vous êtes prononcé en faveur de l’autonomie et de l’autodétermination des peuples. Jusqu’à l’indépendance ?
Oui. Nous, on revendique le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il y a un peuple, il faut lui reconnaître des droits. Après, c’est au peuple de décider de ces choses-là. Jusqu’où aller, quelle forme d’autonomie, quels liens avec la France ? C’est au peuple corse et à la jeunesse corse qui est en train de se battre de se prononcer. Mais si jamais on va vers un processus d’indépendance, comment garantir la question des droits sociaux pour les populations ? On sait que nous sommes dans un monde d’appétits égoïstes de la part des riches ou de ceux qui dominent l’économie, et il y a toujours ce risque-là. Il faut connecter la question politique et la question sociale. On sait aussi que dans le peuple corse, il y a aussi des classes sociales différentes et les choses doivent évoluer sans se faire au détriment de ceux qui sont déjà sous le coup de la crise et du chômage.
- Vous évoquiez la spéculation immobilière, que pensez-vous du statut de résident ?
Je ne sais pas ce que cela implique précisément. C’est difficile à dire, de l’extérieur. Le tout, c’est d’arriver à assurer des conditions de vie et des possibilités d’installation à ceux qui vivent sur un territoire. C’est lié au droit d’un peuple à disposer de lui-même. Mais ça peut être aussi un piège pour le nationalisme, et il ne faudrait pas que l’on tombe sur une sorte de sectarisme qui pourrait confiner à du racisme ou une forme de refus de l’autre. Car on est aussi pour la liberté d’installation et de circulation. Comment construire un monde sans frontières tout en respectant des droits politiques pour des peuples ? On veut construire un monde de coopération, de liberté et pas juste un monde où chaque peuple se bétonne dans ses propres frontières.
- Et la coofficialité de la langue corse ?
On est pour. C’est le droit de parler sa propre langue, qu’elle soit reconnue. C’est une bataille anticoloniale, en fait. La langue française s’est imposée et c’est une logique colonialiste de l’État français qui a imposé sa langue. La langue corse doit être parlée et avoir un statut officiel. C’est lié à la question démocratique de fond : parler sa propre langue, c’est reconnaitre l’histoire d’un peuple, c’est reconnaitre ses droits, pour nous, tout cela s’enchaine de manière logique.