Répression

Personnels, parents, élèves : désobéissons à l’État policier

, par MENSION Jean-Michel

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Le libéralisme a deux faces. L’une donne le maximum de libertés aux entreprises, qui en profitent pour restructurer et licencier sauvagement. Le revers de la médaille, c’est la répression, la criminalisation de la misère. On tente de nous refaire le coup du cocktail : classes laborieuses, classes dangereuses, vieux de plus d’un siècle, alors que les conditions d’existence ont évoluées, sur le plan de la santé, de l’habitat, de la nourriture, du salaire.
Certes la pauvreté pour certains est toujours présente et la misère est réapparue ainsi que certaines maladies comme le saturnisme et la tuberculose qui se développent, mais il n’y a plus d’épidémies de choléra comme il y en eut au milieu du XIXe siècle, époque où pour les plus pauvres, l’alternative était voler ou mourir.

Aujourd’hui, présentée démagogiquement, la fonction essentielle de la politique sécuritaire est de masquer l’incapacité du pouvoir, qu’il soit social-libéral ou ouvertement de droite, à donner des emplois aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail et ceci particulièrement dans les anciennes zones ouvrières : les banlieues...
Plus le sentiment, manipulé, d’insécurité systématique croît, plus il se crée une psychose de peur dans la population adulte, qui a un emploi et bénéficie, encore, d’une stabilité d’existence à laquelle elle tient plus que tout. Alors cette population qui croit à la démocratie se défend : elle vote ! Les sociaux-libéraux ont compris ce phénomène fin 97 en affirmant, qu’après le chômage, leur seconde priorité était la sécurité. Pratiquement, ils ont inversé l’importance qu’ils accordaient à ces deux priorités. Mais autant voter pour l’original que pour la copie et c’est Le Pen qui a empoché la mise, malgré le vote de la loi liberticide, dite Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) qui a servi de marche-pied à Sarkozy, qui l’a fignolée et rebaptisée Loi de sécurité intérieure (LSI).
Cette loi, c’est l’application de la tolérance zéro concoctée en 1982 par deux éminents personnages, Anthony Fischer, mentor de Thatcher, et William Casey, futur directeur de la CIA. Le fondement de la « théorie » de la vitre brisée, qui entraîne la tolérance zéro, est fort simple et rappelle le vieux proverbe de nos possédants : « qui vole un œuf vole un bœuf ». Comme le disait, il y a déjà quelques années un reporter d’Antenne 2 « il faut traiter les micros événements comme les faits les plus graves ». Cette nouveauté libérale remettait en cause la théorie dite de « la courbe en J » qui interprétait la violence en terme social de privation : elle se développe lorsque l’élévation des aspirations des individus ne s’accompagne plus d’une amélioration comparable de leurs conditions de vie. Vu le matraquage publicitaire permanent, nombre d’aspirations étaient créées par le système lui-même et ce fut le début de l’époque des « marques » et lorsque vint la crise... la fauche inévitable des « marques ». Il fallait sévir fermement. La tolérance zéro s’est d’abord exportée en Angleterre ou aujourd’hui on trouve des flics dans les écoles, par exemple à Sunderland, l’un des quartiers les plus pauvres du pays, un poste de police a été installé dans l’école. Les enfants ont de 3 à 11 ans, 80 % des parents sont sans travail et 70 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. La directrice de l’école se félicite car elle voit dans les policiers le seul modèle masculin pour les enfants.

La Loi sur la sécurité intérieure

La loi Sarkozy est une véritable razzia contre les libertés. Tous ceux qui dépassent de la norme « libérale » sont visés : les mendiants, les SDF, les protitué(e)s, les jeunes des banlieues dites « chaudes » et qui sont comme par hasard d’origine non française, les immigrés, comme dans toute l’Europe depuis les accords de Schengen en 1995, la jeunesse en général, car elle peut être prompte à la révolte et incontrôlable, nous y reviendrons, et les Roms qu’Hitler en son temps tenta d’exterminer (il y eut un véritable génocide, le Samudaripen, au cours duquel des centaines de milliers de Roms furent assassinés). Plus de 90 % des Roms vivant en France ont la nationalité française, mais Sarkozy, profitant de l’arrivée de ceux qui ont fuit l’Europe de l’Est, particulièrement la Roumanie, où ils sont haïs et traités comme de véritables esclaves, expulse des campements, souvent avec l’accord du maire (même s’il est communiste !) ou, comme à Achères, contre son avis et celui de la justice qui avait accordé un délais aux expulsés...
Fondamentalement, en ce qui concerne les jeunes, on assiste à une remise en cause de la circulaire de 1945 qui donnait la priorité à l’éducatif sur le répressif et permettait un suivi individualisé des jeunes délinquants. Le juge des enfants Chazal, l’un des premiers à appliquer cet esprit écrivait : « nous devons souhaiter que la justice pénale s’attache plus profondément qu’elle ne le fait à l’étude des l’homme qu’elle doit juger et que dans certains cas elle sache appliquer au délinquant le traitement “éducatif”, voir psychologique, que sa personnalité peut commander ». C’est de l’anti-sarkozisme total.
Depuis 77, époque à laquelle Peyrefitte alors Ministre de la justice commençait à suivre de près les questions de violence et de sécurité, plus de 200 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre et parmi elles le nombre de jeunes des banlieues est imposant, alors que celle-ci ne représente qu’un tiers des quartiers. La chasse au faciès est systématique depuis la mise en place du premier plan Vigipirate que la gauche plurielle n’a jamais supprimé. Contrôles systématiques plusieurs fois par jour, injures racistes — Sarkozy prétend lutter contre le racisme, il faudra donc, s’il tient ses promesses, ce dont nous doutons, qu’il exclut de la police au moins les 3/4 de ses membres. Ces provocations policières, ces meurtres que l’on appelle bavures, sont en constante augmentation depuis cinq ans reconnaissait Le Monde il y a quelques semaines, elles ont permis que se développe dans une partie de la population « l’intox sécuritaire » d’autant que les chiffres annoncés par les seuls services de police ne reflétait que l’activité de celle-ci et non ceux de la délinquance. Tout le monde l’admet aujourd’hui, sauf sans doute Alain Bauer coauteur avec Xavier Reufer, militant d’extrême droite bien connu, d’un livre Violence et insécurités urbaines dans lequel ils affirmaient que le crime concernait le criminel et non la situation sociale. Prestataire de services en sécurité, plus il bluffait sur la réalité, plus il empochait de fric en vendant des contrats locaux de sécurité.
Sarkozy lui-même crée un Observatoire de la délinquance, où l’on tiendra compte des enquêtes de victimisation qui donnent des chiffres nettement plus proches de la réalité. En fait l’une d’entre elles réalisée au début de 2001 révèle que seulement 0,45 % des habitants de la Région parisienne de plus de 14 ans ont fait l’objet en 98, 99 et 2000 d’une agression assez sérieuse pour avoir entraîné un arrêt de travail d’au moins huit jours ! Dans le même temps, 6,67 % des habitants de cette région ont été victime d’une agression, ou d’une tentative et dans un cas sur deux, il s’agissait de violence verbale ou d’attitude menaçante. Alors pas d’angélisme certes, ni envers les jeunes, qui sont les premières victime de cette violence dans le cadre de bagarres entre groupes ou bandes (qui existent depuis le XVIe siècle en France) et aucun angélisme envers la police, particulièrement les Brigades anti-criminalité (BAC) qui ont du sang sur les mains et ressemblent fortement aux flics qui effectuaient les rafles des juifs en 1942 et balancèrent des centaines d’algériens dans la Seine en 1961. Tous ceux là ont le même esprit de corps.

La jeunesse face à la répression

Il y a quelques années on a créé 716 Zones urbaines sensibles (ZUS) qui regroupaient 7,62 % de la population totale. En 1999, précaires et chômeurs représentaient 45,5 % de la population des ZUS contre 25, 8 % sur l’ensemble du territoire. Dans certains cas, précaires et chômeurs frôlent les 60 % et dans ces ZUS, le chômage des jeunes de 15 à 24 ans est de 39,5 % pour 25,6 % dans le reste de la population, ce qui est déjà catastrophique et qui démontre bien que la violence est avant tout sociale.
Une épée de Damoclès pend au-dessus de la tête des jeunes et en tout premier lieu des jeunes de banlieue. La consommation du cannabis a considérablement augmenté, on parle de 5 millions d’utilisateurs. Le « deal » de hasch est devenu une source de revenu pour des petits dealers qui sont loin d’être millionnaires, comme le prétendent les médias. En fait c’est une prise de risque qui fait partie du bizness général de l’économie parallèle, quelques fois de subsistance, qui se crée dans toutes les situations de pauvreté aggravée, pour les pauvres certes, mais aussi pour d’autres qui s’en enrichissent, voir le « marché noir » pendant la guerre. On constate, en 1975, 3 500 délits concernant les stupéfiants et 109 731 en 2000. Contrairement aux « conseils » du gouvernement, de simples consommateurs sont incarcérés, car en dernier ressort tout dépend de la tête du juge et ce qu’il pense du jugé. La propagande développée par des « savants » aux ordres redémarre. Comme on ne peut pas prouver que l’alcool est moins nocif pour les jeunes que le shit, qui ne pousse à l’usage de drogues dures que très exceptionnellement. On renverse la vapeur en prétendant que les fumeurs de joints deviennent plus vite gâteux que les autres ! Aujourd’hui même j’apprends qu’une nouvelle loi se concocte sur le sujet pour la prochaine rentrée scolaire. Cela ne présage rien de bon... Même la campagne sur la sécurité routière qui n’a jamais égratigné les fabricants de « cercueils à roulettes » se termine par la décision de contrôler les fumeurs avec un « haschotest ». De nombreux Français n’ont jamais
encaissé la perte de l’Algérie, nous avons un racisme très politico-colonial, et voir leurs beaux enfants préférer la drogue des « bicots » au bon vieux pinard doit les rendre malades !
Les sanctions s’aggravent pour tous : les mendiants, les SDF, les prostitué(e)s, les fraudeurs des transports en commun et les jeunes en ont leur part. Deux mois de prison pour stationnement dans un hall d’immeuble et 3 750 euros d’amende, soit plusieurs mois de SMIG, mais que peuvent faire ces jeunes le soir alors qu’il n’y a aucun lieu de loisir à des kilomètres à la ronde ? Deux ans de prisons et 30 000 euros d’amende pour injure et menace à agent, fonctionnaire, juge... et y compris si on menace ou injurie leur conjoint (et les concubins et concubines ?). Alors que les flics utilisent systématiquement la provocation pour arrêter les jeunes en les inculpant d’injures et rébellion, cela fait du chiffre, l’objectif sacro-saint de Sarkozy, dénoncé publiquement par un capitaine de gendarmerie qui explique que la loi du chiffre c’est la « tentation du bidonnage ».
Là n’est pas le pire, l’incarcération des mineurs a augmenté de 40 % en cinq ans, passant de 2 900 à 4 200 en 2000. Sous peu, selon les prévisions, il y en aura 1000 de plus. Pour les mineurs récidivistes le ministre de la justice
a choisi de construire des centres fermés d’une capacité de 10 places. Selon lui, ces locaux permettront de mener une vie normale, sauf que les mineurs seront contrôlés en permanence, obligés d’accomplir tout ce qu’on leur demandera et ne pourront sortir du centre qu’accompagnés d’un membre de l’encadrement. Le placement sera de 6 mois minimum et les emprisonnés, car il s’agit bien de prison, ne pourront voir leurs parents qu’à l’intérieur de l’établissement où les 10 punis seront encadrés par 24 « éducateurs » alors qu’actuellement il y a en France un éducateur pour 100 flics ! Prétendre que ces centres sont une alternative à l’emprisonnement est une véritable escroquerie. Il y aura des centres pour les 13-16 ans et d’autres pour les
16-18 ans. En plus des sanctions pénales pourront être prises contre des jeunes dès 10 ans contre 13 actuellement.
Sur le terrain judiciaire le gouvernement entend systématiser les jugements en comparution immédiate pour des délits allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Il s’agira de simulacre de procès, au cours desquels les avocats, commis d’office, prendront connaissance du dossier quelques minutes avant le procès, dossier qui sera constitué par les seules déclarations des policiers ayant enquêté. Nous savons qu’une bonne partie des juges sont aux ordres, les médecins également d’ailleurs mais en principe ce sont eux qui ont les policiers à leur disposition et non l’inverse. Nous savons que de nombreux juges jouent le jeu de la répression (voir l’acquittement du flic Hiblot, qui avait assassiné un jeune « beur ») mais maintenant, et c’est aussi pour ça qu’ils ont manifesté, ce sont les flics qui sont les maîtres du jeu répressif malgré les protestations des juges et avocats. Quant aux prisons, elles débordent. Il y a 10 000 prisonniers de plus que de places prévues pour leur détention et l’on envisage la construction par le privé probablement de 13 200 nouvelles places... ainsi que l’augmentation du nombre de prisonniers. Les condamnations aux longues peines sont de plus en plus lourdes, le refus de la liberté conditionnelle quais général, le nombre de prisonniers en préventive ne cesse d’augmenter. Leur situation n’est donc pas près de s’améliorer ! Le fichier des empreintes génétiques passera de 2 100 actuellement à 600 000 !

Violence et sécurité à l’école

La violence à l’école est l’un des thèmes les plus chéris par les médias. Ce qui retient le plus l’attention c’est la violence contre les enseignants. Du temps où la violence s’exerçait sur les enfants, et ce temps dura presqu’un siècle, on en parlait peu. La « laïque » était à l’honneur. Aujourd’hui, quand d’ex-colonisés se trouvent à l’école en face de leurs ancêtres les gaulois, ils ne les respectent pas toujours. Sans doute auraient-ils une attitude différente si on leur avait appris à lire à tous du temps des colonies et non à une petite minorité. Sans doute que si les enseignants actuels étaient plus solidaires de leurs élèves quand ils se font tabasser et injurier par les flics, cela se passerait mieux en classe. Et surtout si tous ces jeunes avaient un avenir auquel s’accrocher, cela irait encore mieux, mais là, les enseignants ne sont pas responsables. Certains se plaignent du manque de respect dont font preuve les élèves, mais comparé au manque de respect que la société dans son ensemble leur accorde à eux, il n’y a pas de commune mesure et il est déplorable qu’un enseignant ne comprenne pas une chose aussi simple. Que le chahut explose dans les classes, que les mômes s’y emmerdent car ils n’ont rien à foutre des prétendus bienfaits de l’éducation républicaine quand la République est incapable de leur assurer un avenir décent, qui doit s’en étonner ? Tout au plus pourront-ils servir aux basses œuvres comme leurs parents qui aujourd’hui sont au chômage depuis au moins deux générations et n’ont donc aucune autorité sur eux. Les enseignants, eux, devraient être à la tête de ceux qui se battent pour la réinsertion sociale de leurs élèves comme ils ont été à l’époque à la tête de la lutte contre l’école dite prétendue libre.
Face à la « fureur » médiatique parlons chiffres. Le ministre de l’Éducation nationale indique que pour l’année 98/99, une moyenne de 240 000 incidents de toute nature ont été déclarés chaque trimestre dans les établissements du second degré. Parmi ces faits 2,6 % sont considérés comme graves ayant fait l’objet d’un signalement à la justice. Parmi ces faits graves plus de 70 % sont de simples violences verbales. Sur les 240 000 incidents, on ne compte que 1 000 agressions sur des personnes. Dans 86 % des cas, les victimes sont des élèves contre 13 % d’enseignants et d’administratifs. Selon ces données, 13 fonctionnaires de l’école sont agressés par trimestre, soit environ 40 personnes par an, c’est peu par rapport au personnel de l’Éducation nationale (1 million). En fait les victimes d’agressions physiques sont à 86 % des élèves... Comme l’écrit Laurent Mucchielli dans Violence et insécurité, c’est fondamentalement l’irrespect dont la forme la plus grave est l’injure : « c’est le durcissement d’un phénomène qui n’est cependant pas nouveau : le chahut ».
Darcos veut faire de l’école un sanctuaire, Ferry rompt avec l’égalité des chances à l’école, ce qui était déjà fait depuis longtemps. On ne peut être condamné enfant si l’on attaque un enseignant, et il est tout de même étonnant que ceux-ci que l’on veut transformer en flics n’aient pas plus réagi à cette mesure infâme. Les enfants eux-mêmes imitent les grands, la loi du plus fort prend le dessus et le racket touche 6 à 9 % des élèves. L’ordre moral avance, entre autre sous la férule de Blandine Kriegel et l’on commence à parler de la suppression des écoles mixtes...
Le XIXe siècle frappe à la porte, la jeunesse, elle, veut vivre au XXIe siècle. Soyons solidaires de ses désirs.

L’Observatoire des libertés publiques vient de lancer une pétition appelant à la création d’un Observatoire de la délinquance policière.
Si vous êtes intéressés, contactez-nous :
OLP
7/9 passage Dagorno
75 020 Paris

Pour citer cet article

Jean-Michel Mension, « Personnels, parents, élèves : désobéissons à l’État policier », N’autre école, n° 3, printemps-été 2003.

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