Crise de Kanesatake

Nationalisme mafieux et lâcheté

, par BONHOMME Marc

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Il n’est pas surprenant qu’à une politique de misère réponde une forte opposition nationaliste.

Le bricolage pour régler la crise de 1990 [1] aura accouché... d’une autre crise.

Tant bien que mal, en regroupant les terres achetées pour remplir plus ou moins les trous du damier terres privées autochtones et terres privées « blanches », on a fait de Kanesatake une quasi-réserve avec son Conseil de bande sous tutelle fédérale et encadré d’ententes Ottawa-Québec.

Coincé, le Conseil de bande sait qu’il sera appuyé en termes de financement minimum pour les services de base et en termes d’autonomie restreinte et conditionnelle que s’il respecte la politique des gouvernements blancs. Ainsi, ce Conseil, par rapport à la communauté qui l’a élu selon les règles imposées du colonisateur, devient-il un conseil de « pommes » : rouge au dehors et blanc au dedans ! Il doit collaborer avec la Gendarmerie royale du Canada et la Sûreté du Québec, que ce soit avec zèle ou réticence, pour faire respecter la loi blanche.

Cependant, il n’est nullement question de lui donner les moyens légaux (c’est-à-dire l’autodétermination sur un territoire suffisamment grand) et financiers (c’est-à-dire compenser les immenses torts historiques de la conquête et de l’occupation) pour au moins mettre à niveau son développement socio-économique avec celui de la société blanche qui l’entoure de toute part.

Rien de surprenant qu’à cette politique de misère, de répression et de servilité réponde une forte opposition nationaliste, d’autant plus que la nation Kanienke’haka (Mohawk) est l’une des héritières de la puissante Confédération des cinq puis six nations (Hodenausaunee) qui pendant longtemps à traité d’égal à égal avec les puissances française, britannique et étasunienne.

Le vent néolibéral

Qui dit opposition nationaliste, cependant, ne dit pas opposition de gauche ni même progressiste, bien que de tels courants existent au sein de la nation Mohawk. Le vent néolibéral qui souffle fort depuis 25 ans a fait en sorte que le courant nationaliste qui s’est imposé est le nationalisme néolibéral, exactement comme au Québec avec le « Québec Inc. » soutenu par le Parti québécois.

Par contre, la nation Kanienke’haka n’a ni la taille démographique (moins de 10 000 habitants), ni territoriale (trois réserves exsangues et souvent polluées), ni économique (pas de base industrielle ou commerciale ou de services) que le Québec a. Et surtout, elle est handicapée par une histoire de forte oppression à laquelle participe le Québec tout comme le Canada.

Dans ces conditions, sauf rare exception, aucune institution financière ou transnationale ne va lui consentir du financement pour se construire des entreprises nationales capables d’être performante dans la société « blanche ».

Cependant, le capitalisme néolibéral comporte un large secteur illégal, si ce n’est mafieux, dont font partie, en tout ou en partie, le trafic de la drogue, des armes, des jeunes femmes pour la prostitution et la contrebande de toute sorte. C’est la brèche dans laquelle s’insère « Mohawk Inc. ». Ainsi, se construit un embryon de bourgeoisie Kanienke’haka protégé par ses propres forces armées, légales et illégales, et qui apporte à la communauté un développement économique selon ses intérêts, c’est-à-dire inégal et tronqué, dans le cadre contraignant du colonialisme « blanc ».

Pour faire face à la récente crise politique, émanation d’une crise socio-économique permanente, le PLQ a opté pour la realpolitik la plus crue. Pourtant allié stratégique du Conseil de bande, il a plutôt opté pour régler la crise en négociant avec le camp le plus fort et donc à son bénéfice. Tout ce qui l’intéresse, c’est d’empêcher un nouvel Oka, non pas pour sauver des vies, mais pour ne pas devoir régler les problèmes de fond que sont les droits territoriaux et le self-government, avec des moyens financiers à l’avenant. Quant au gouvernement fédéral, trop heureux de pouvoir compte sur un gouvernement servile au Québec, il se réfugie lâchement dans le silence même s’il est constitutionnellement le premier responsable.

La crise de Kanesatake ne se règle pas par l’ingérence et encore moins par le recours à la force. Il faut négocier avec toutes les associations représentatives de la communauté — sans oublier les femmes terriblement absentes, et sans doute apeurées, lors de ce drame — sur la base d’une reconnaissance du droit à l’autodétermination de la nation Kanienke’haka et de la réparation des immenses torts historiques.

P.-S.

Article paru dans Le Devoir, édition du 20 janvier 2004.

Notes

[1NDLR de la LBn. L’événement auquel fait référence Marc Bonhomme, c’est la crise d’Oka à savoir 78 jours de confrontation armée pendant l’été 1990 entre autochtones Mohawks, policiers provinciaux et l’armée canadienne.

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