Les trois succès de Marseille Contre-Attaque à Gauche et leur avenir

, par JOHSUA Samuel, ROUX-MOUMANE Camille

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Guérini a donc raté l’élection de quelques poignées de voix. C’est une situation nouvelle sur Marseille dont il faudra prendre le temps de l’analyse. Le texte ne le fait pas mais se propose un premier bilan de la belle aventure commune de MCAG.

MCAG est représentative de trois succès, donnés ici par ordre d’importance décroissante : sa constitution et sa composition ; le déroulé de la campagne ; les scores obtenus.

Une remarquable unité dans la diversité

Le premier succès, de loin le plus important donc, est le rassemblement réalisé. Dans une ville où beaucoup de divisions et de rancœurs subsistaient après l’épisode raté de la candidature unitaire à la Présidentielle, ce n’était pas joué d’avance. On peut regretter que la proposition de la LCR émise dès septembre ait mis tant de temps à se concrétiser ; on peut aussi le comprendre. Certes il a manqué à l’appel en définitive Rouge Vif — qui continue à miser sur des évolutions favorables au sein du PCF (ce qui convenons-le est de moins en moins crédible) — mais RV a appelé à soutenir nos listes et fait sa campagne propre en ce sens. Il a manqué LO, engagé dans une évolution préoccupante. Il a surtout manqué les forces qui au sein du PC pouvaient être gagnées. Rappelons le : tout a été fait pour permettre un accord (qui, au vu du résultat de MCAG, aurait été encore plus bénéfique). D’ailleurs dans un référendum interne pourtant fortement biaisé près de 25 % des votes communistes se sont portés sur la proposition d’un accord avec nous, et il ne faut pas oublier que ces militants existent. Mais il faut aussi en tirer les conclusions : le PC n’existe désormais politiquement d’une manière déterminante que par ses élus, ses positions institutionnelles, et donc par sa soumission au PS. Pas une critique n’a été avancée de sa part quand est venue l’heure de l’accord avec le Modem. Dans la ville voisine d’Aubagne, c’est lui-même qui en a pris l’initiative. À part les secteurs liés à RV (et bien sûr à part des centaines de militants déboussolés), tous les autres (y compris donc les « communistes unitaires » lesquels ont rejoint Guérini en premier) n’ont plus les ressources d’une réelle autonomie face au social-libéralisme (et même ne serait-ce que face à son glissement au centre-droit). C’est une leçon de chose capitale pour l’avenir. Leçon que nombre de camarades qui espèrent une alliance impossible avec ces secteurs feraient bien de méditer. Il y avait un choix précis à faire dans des conditions lumineuses de clarté (la candidature Guérini et sa nature) : on voit où sont tombés en définitive la gauche des socialistes et les secteurs PC (à part RV).
Que nous ayons réussi à regrouper des centaines de candidatures malgré ceci est plus que précieux : c’est révélateur des potentialités de l’alternative à bâtir et ça l’est aussi de nos responsabilités. Que nous l’ayons fait en bâtissant une unité exemplaire est au moins aussi important. La preuve est faite qu’à partir du moment où l’indépendance vis-à-vis de la direction PS est assurée, on peut surmonter toutes les crispations entre les courants pour qui l’antilibéralisme n’est pas qu’un mot en l’air et les anticapitalistes.

Le déroulé de la campagne

Ceci expliquant peut-être cela nous avons mené aussi une excellente campagne. Sérieuse tout d’abord avec un programme qui tenait la route, argumenté, bien ancré à gauche et sur le social comme sur l’écologie. L’élaboration collective de ce programme, pas toujours facile, fut en définitive un modèle du genre. La manière d’en discuter a permis que sa défense ne repose pas sur une poignée de porte-parole, mais sur une surface bien plus large. La confiance politique au sein de MCAG a permis une floraison d’initiatives avec une indépendance totale de chaque secteur, et des discussions collectives au sein du collectif-campagne.
Le positionnement politique des listes a été parfait avec un profil annoncé dès le début et maintenu tout du long : contre Gaudin et Sarko, en démarcation complète de la fausse gauche, radicale sur le fond et la forme (la démocratie). On ne peut pas nier que le fait de ne pas avoir de chef de fil sur l’ensemble de la ville ait affaibli notre message dans une campagne de plus en plus personnalisée. Mais il y eut aussi une contrepartie positive dans une autre façon, plus collective, d’aborder cette question.
Tout ceci, ajouté à l’élément décisif de notre présence sur les 8 secteurs, a conduit à une bonne visibilité de MCAG, y compris du point de vue médiatique. Certes la couverture a été scandaleusement déséquilibrée, au profit des deux mastodontes et même du Modem. Mais on a pu (pour la première fois à cette échelle) se faire entendre et de mieux en mieux au cours de l’avancée de la campagne. La Marseillaise elle suivant le chemin inverse, se fermant de plus en plus quand notre campagne devenait plus influente...
Se souvenir, toujours se souvenir.

Le résultat

On sait d’expérience que de bonnes bases politiques et une bonne campagne ne font pas toujours de bons scores. Heureusement le soutien populaire a été au rendez-vous. Il faut d’abord le resituer dans le cadre des scores étonnants réalisés par les listes de la gauche radicale à l’échelle du pays. Nous sommes donc d’abord l’expression d’un mouvement plus profond. Il s’est manifesté avec sa pleine puissance surtout dans les villes de gauche et de taille moyenne. Cela rend d’autant plus marquant notre réussite avec celle de Toulouse. Dans ces deux cas (différents de Montpellier par exemple) la possibilité existait de se défaire d’un pouvoir de droite détesté. Que nous ayons non seulement résisté au « vote utile » dans ces conditions mais réalisé le meilleur score jamais atteint est tout bonnement spectaculaire, et noté d’ailleurs par toute la presse (pas assez, certes...).
Par ailleurs si le nombre de votants au premier tour a augmenté nettement (au contraire de ce qui s’est passé à l’échelle nationale), l’abstention est restée une de marques de l’élection. Or, comme d’habitude, celle-ci touche en priorité les jeunes et les plus pauvres (Besancenot par exemple a obtenu près de 15 % des 18-24 ans, et un score nettement supérieur à la moyenne chez les chômeurs et les ouvriers), ce qui renforce encore notre performance.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Guérini augmente le résultat PS de plus de 9 points par rapport à 2001 sans que cela nous empêche d’atteindre 5 % (4,82 exactement) en moyenne.
Il faut ensuite entrer dans le détail de nos résultats.
Signalons d’abord un phénomène à vérifier de chute brutale de nos scores dans quelques bureaux. Il faudra vérifier en fonction des scrutins précédents, mais il n’est pas impossible que nous ayons subi des fraudes, en nombre réduit toutefois.
Par ailleurs les comparaisons avec 2001 sont tout sauf faciles. En bonne sociologie électorale, il faut comparer des élections semblables. Les listes « 100 % à gauche » et celle de Motivé-es de 2001 sont loin d’être les équivalents de MCAG, et elles n’étaient pas présentes partout. Dans certains autres secteurs LO était présent. Mais on sait depuis très longtemps que les deux électorats ne se recouvrent que très partiellement et il est tout à fait illégitime de les ajouter en vue de comparaison, d’autant que LO était quand même présent cette fois-ci, mais avec... Guérini.
Même si c’est fragile, on doit donc se contenter de comparaisons fragiles avec les listes de 2001, 100 % à gauche et celle de Motivé-es, et surtout, des comparaisons internes au scrutin de 2008, entre les secteurs.

Dans une situation de poussée générale pour la gauche radicale, attribuer les écarts à des différences de mobilisation est tout sauf sérieux. Il faut mettre en jeu des explications plus profondes.
D’ailleurs il convient que chaque secteur analyse ses résultats avec précision.

a) Il existe une liaison forte entre l’importance des scores d’un côté, l’implantation plus la campagne de l’autre, dans les arrondissements du centre-ville (de 1 à 6). Si à l’évidence le score du 1er secteur est très bon (plus 1 % par rapport à 2001), celui du deuxième (plus 1,2) obtenu dans un contexte de très forte poussée de Narducci (victoire au premier tour) ne l’est pas moins. Celui du troisième (plus 1 aussi) obtenu dans le secteur même de la confrontation Guérini/Muselier (et avec une liste du PT) est tout aussi remarquable. Dans ces arrondissements (dans le premier on explose les 10 % !) l’ancrage est incontestable. Il dépend aussi du public : mélange de couches moyennes précarisées, plus jeunes, de grande pauvreté aussi.

b) Le cas du 4e secteur (plus 1,2) doit être traité à part. Il dépend en partie des mêmes éléments que le grand centre-ville, puis d’une implantation ancienne du Raco au sens large et enfin d’un fort engagement militant. Mais aussi de la conjoncture particulière donnée par la présence de Franceschi (c’est le seul secteur où le PS baisse en rapport à 2001).

c) Nous baissons dans deux secteurs. Le 7e (moins 0,5 ; la comparaison est faite avec les scores de LO, ce qui réduit la portée) donne déjà des indications sur l’explication dont des difficultés particulières dans les grandes cités populaires. Il en est de même dans le 15e arrondissement, et, en partie dans le 11e. Dans ce dernier et dans le 13e l’implantation, sans être comparable au grand centre-ville est pourtant notable, et la campagne y fut active. On peut constater que tous ces arrondissements sont à gauche, marqués par une forte poussée de gauche, et surtout par une pratique clientéliste intense (Masse, Andrieux, Ghali). En résumé on se heurte là à une difficulté de pénétration dans des populations très paupérisées soumises en permanence au chantage clientéliste. On peut faire la différence avec le 2e arrondissement (celui historique de Guérini), le plus clientéliste de tous, mais où la nature sociale de la population tend à la rapprocher du reste du centre. Au final, les grandes cités populaires, voilà la question à résoudre.

d) Reste à discuter de ce qui apparaît peut-être comme les succès en réalité les plus importants. Les 4e,6e du 8e secteur tout d’abord. On y frôle donc les 5, malgré la puissance de l’effet Cités dans le 15e, malgré la poussée de Ghali élue au premier tour, malgré le fait que notre courant n’y est pas présent depuis plusieurs élections. Ceci est en partie expliqué par la très bonne tenue dans le 16e. L’autre surprise est le 6e secteur. C’est un secteur très à droite (élection ratée de justesse au premier tour), d’implantation très faible de nos forces dans le 9e. On y atteint tout de même les 4, avec une campagne très active, mais forcément limitée géographiquement. Là encore, il faudrait voir de près, mais on peut avancer l’hypothèse que dans ce secteur le clientélisme dans les Cités est dans les mains de la droite (Tessier). À creuser.

Si l’on résume cette analyse on peut avancer une image géographique : forte présence dans le grand centre-ville et plus de difficultés en allant vers les périphéries (16e excepté), avec quelque percées à cultiver. Peut-être ceci recouvre-t-il un autre problème, la faiblesse relative de l’implantation dans les milieux issus récemment d’une immigration. Ce n’est évidemment pas en ne s’occupant que de son quartier (et donc en perdurant à son image) qu’on pourra y remédier.
On doit ajouter à ceci des analyses plus directement politiques. Même s’il ne faut pas se précipiter, il semble bien que l’électorat traditionnel du PC (ce qu’il en reste) ne s’est pas déporté vers nous. Sinon les scores auraient été plus élevés dans les 13e,14e,15e. Deuxième remarque générale, nous avons très peu réussi à valoriser nos thèmes concernant spécifiquement la jeunesse. Enfin, si nous avons défendu les sans-papiers, le thème de la lutte contre les discriminations d’origine ethnique, et même plus généralement celui de l’anti-racisme ont été trop peu présents.

Pour un nouveau parti anticapitaliste

Ne pas tenir compte de l’évolution très négative de certains secteurs qui furent alliés à nous en 2005, ne pas voir de l’autre côté les possibilités qui s’ouvrent à Marseille mais aussi dans tout le pays, serait plus qu’une erreur : une faute.
Y répondre par le maintien du cadre limité de MCAG n’est pas à la hauteur des enjeux qui dépassent à l’évidence les frontières de chaque secteur et de la ville. Certes il nous faut poursuivre les combats portant sur les questions locales, mais il ne faudrait pas concurrencer les structures sociales appropriées (syndicats, associations...). De plus, outre qu’elles dépendent en partie de données nationales, ces questions ne sont pas en concurrence avec d’autres priorités bien réelles, comme l’augmentation des revenus, dépendant d’un autre partage des richesses. Enfin plus globalement c’est un autre projet de société qu’il faut aujourd’hui bâtir, discuter, élaborer contre le capitalisme.
À Marseille une étape de plus a été franchie par le PS et le PCF avec l’alliance avec le Modem, sans guère provoquer de remous (sauf un peu à LO), et s’est étendue à Aubagne. Si le PC a pris ses distances avec cette dernière décision dans ce qui fut présenté comme « la ville de l’antilibéralisme », c’est uniquement parce qu’il n’y en avait pas besoin (ce qui est incontestable), pas sur le fond. Cette évolution doit nous faire prendre conscience de nos propres responsabilités dans un champ à gauche du PS qui sera en déshérence si on ne l’occupe pas. Or, au delà de notre score, nos listes ont eu une visibilité notable dans le mouvement social organisé (CGT, SUD, FSU, RESF...). Au-delà d’une campagne commune il s’agit à présent de mesurer nos convergences pour un projet plus ambitieux et nécessaire : construire une organisation politique nationale, de rupture avec le capitalisme, indépendante de la direction du PS, large et plurielle.
Nous ne développons pas ici ce qui est la proposition bien connue de la LCR. Elle soulève de l’adhésion mais aussi des désaccords, déjà sur la notion même de parti. Nous allons entamer le débat avec un texte du Bureau Fédéral 13 de la LCR spécifiquement consacré à cette question et soumis à la discussion.

Mais MCAG montre, à nos yeux, au moins une chose : la possibilité d’un travail en commun dans le respect réciproque est prouvé. Pourquoi pas alors dans un nouveau parti en commun ?