Les 35 heures en débat : « C’est la structure du texte qu’il faut bouleverser »

, par MEZZI Dominique

Recommander cette page

Dominique Mezzi, membre du bureau politique de la Ligue communiste révolutionnaire, en charge des 35 heures, prône une révision totale et complète du projet de loi.

  • Comment analysez-vous le contexte social dans lequel se déroulera le débat parlementaire sur les 35 heures ?

Dominique Mezzi. C’est maintenant, dans les semaines et les mois qui viennent, que se joue la réussite, ou l’échec, du grand projet social qu’est la réduction du temps de travail. Malheureusement, c’est peu de dire que le projet de Martine Aubry ne correspond pas, en l’état, aux vieilles revendications du mouvement ouvrier. La CGT a lancé son appel à manifester le 4 octobre. Cette initiative a l’air de recevoir l’assentiment de plusieurs autres forces syndicales, du Groupe des dix à la CGC, sans oublier certaines fédérations de la CFDT. Cette manifestation répond à une fort désir de mobilisation. Il est évident que les militants de la CGT ne peuvent pas se reconnaître dans ce projet sur la réduction du temps de travail. Or, lorsqu’on examine les positions publiques de la confédération sur le projet de loi, on a l’impression qu’elle hésite à qualifier politiquement le projet Aubry. Jusqu’ici, et malgré les lacunes de fond qu’elle relève, la CGT n’utilise pas le mot « inacceptable » pour dénoncer cette deuxième loi. Thibault dit : « Ce n’est pas très bon, il faut améliorer ! »

  • Tout de même, c’est bien la CGT qui appelle les salariés à manifester le 4 octobre ; c’est bien elle qui ne ménage pas ses critiques « de fond », elle aussi, sur le projet de loi. Est-ce que cet « inacceptable » que vous attendez de la bouche des responsables de la CGT correspond à l’« invotable » de Maxime Gremetz ?

Dominique Mezzi. Sur le plan syndical, le projet d’Aubry est inacceptable. Et quand on est député de gauche, il est invotable. À mon sens, il faudrait en effet que le syndicalisme — en particulier celui qui s’est toujours battu pour la réduction du temps de travail et contre le chômage — dise que ce projet est inacceptable en l’état. Car s’il y avait un vrai rassemblement social et politique pour refuser cette deuxième loi, je pense que le gouvernement serait obligé d’en tenir compte. Bien entendu, Martine Aubry a, sans doute, déjà prévu sur quels articles elle allait lâcher du lest. Son saupoudrage doit être prêt. Mais depuis le début, chaque fois qu’elle dit que son projet est améliorable — parce qu’elle en convient, elle aussi —, elle ne manque pas de préciser que sa structure et son architecture resteront intactes. Or, c’est précisément là-dessus qu’il faut que cela change. C’est le fond du texte qui doit être bouleversé. Si, au Parlement, quelques amendements peuvent passer pour changer tel ou tel article et éviter le pire, tant mieux, mais la structure du projet risque de rester.

  • Mardi, histoire de mieux encadrer le dispositif de réduction négociée du temps de travail, les députés communistes, Verts et MDC ont déposé quatre amendements communs sur la formation, sur la définition du temps de travail effectif, sur les aides publiques et sur la période d’adaptation. Pensez-vous que cela puisse changer la « structure » du texte ?

Dominique Mezzi. Avec ce que dit aujourd’hui Maxime Gremetz, je n’ai pas de divergences. Il dit : « La loi est invotable en l’état. » Je suis d’accord. Mais ce n’est pas la première fois qu’avant le vote d’une loi importante, le groupe communiste hausse le ton et, malgré cela, depuis l’arrivée de Jospin, le noyau dur des textes gouvernementaux les plus néfastes n’a jamais été altéré. Alors, cette fois, si les députés communistes considèrent à l’issue de la bagarre politique que la loi sur les 35 heures n’a pas été modifiée dans sa structure, j’espère qu’ils ne la voteront pas. Du côté des Verts, certains ont été tentés, au début, d’être sur une position très ferme, mais aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment qu’Yves Cochet soit tout à fait dans cet état d’esprit décidé et combatif. C’est dommage parce que, malgré le bilan plutôt inquiétant du gouvernement depuis deux ans, on pourrait peut-être, avec une coalition de communistes et de Verts, sur laquelle se grefferaient des membres de la Gauche socialiste, le mouvement social et la LCR, aboutir à changer ce texte du tout au tout. En fait, c’est simple : ce projet de Martine Aubry, il faudrait le mettre de côté et en construire un autre. Ce qu’il contient sur les heures supplémentaires, sur la flexibilité et sur les abaissements de charges sociales, c’est complètement révoltant. Or, si on change cela, c’est un autre projet, mais alors il faut le dire... Ce n’est pas le projet de Martine Aubry !

  • Revenons-en aux propositions de ceux qui ont choisi de batailler dans le cadre du débat parlementaire pour modifier la lettre et, du coup, peut-être l’esprit de la loi ? Qu’avez-vous à dire sur la période de transition ?

Dominique Mezzi. Vous dites « période de transition » ; nous, nous disons qu’en l’état actuel des choses, la loi est tout bonnement reportée. C’est très grave parce que, déjà, dans le dispositif initial en deux lois, il y avait le principe d’un report. Une première loi, puis après un délai important d’un an et demi, accordé pour commencer les négociations, une deuxième loi. C’est grave aussi parce qu’en fonction d’un rapport de forces nettement à l’avantage du patronat (et même si le MEDEF a dit qu’il était contre cette loi et, en gros, contre toute législation en matière de travail), les patrons ont profité du premier délai pour imposer la flexibilité à leurs salariés. Et là, on leur donnerait un nouveau délai pour la taxation et pour le contingent des heures supplémentaires. En somme, si la durée réelle du travail se dilue dans le temps, la durée légale n’est qu’un nombre d’heures fixé sur le papier. Mais quel effet cela a-t-il dans la réalité ?

  • Et sur les allégements de charges sociales accordés aux entreprises après la signature d’un accord sur les 35 heures ?

Dominique Mezzi. Ce sont les 110 milliards de cadeaux au patronat. Cet article sur les allégements de charges sociales est, s’il demeure, une vraie déroute idéologique pour la gauche. Il est démontré depuis belle lurette que ces cadeaux aux patrons n’ont pas de véritables effets sur l’emploi. Et puis, le côté « je signe un accord et j’empoche les aides » est proprement scandaleux. Dans la première loi, il y avait une obligation d’un minimum de 6 % de créations d’emplois. Logiquement, si on voulait partager les gains constants de productivité avec les salariés, il faudrait qu’il y ait 10 % de créations d’emploi pour 10 % de réduction du temps de travail.

  • Comment réagissez-vous quand vous entendez Martine Aubry laisser le soin aux organisations syndicales de prendre garde au volume de créations d’emplois ?

Dominique Mezzi. C’est ça, oui ! Comme Jospin, Aubry se défausse. « Moi, le pouvoir politique, je demande au mouvement social de faire gaffe à l’emploi. » En réalité, cette loi n’est rien d’autre qu’une loi de modernisation capitaliste. Si cette loi – au départ, grand espoir social – s’applique jusqu’au bout, elle se retourne et devient une loi d’adaptation des rapports capital-travail. Et après, Martine Aubry viendrait dire : « Ohé ! Les syndicats, soyez vigilants ! » C’est un recul terrible pour le politique.

  • Voyez-vous un point à sauver dans ce projet de deuxième loi sur les 35 heures ?

Dominique Mezzi. Oui. Il y a un aspect positif : la durée légale du travail passe à 35 heures au 1er janvier 2000. Dès lors, il faut que la durée réelle du travail coïncide avec la durée légale. Aujourd’hui, il subsiste une lueur d’espoir : le mouvement social doit, par son action, faire coïncider dans la pratique durée légale et durée réelle. C’est ce qui s’est passé avec la loi de 36. La loi de 36 a été votée en 1936, et, en 1968, on défilait dans la rue en réclamant les 40 heures hebdomadaires. Après 1968, sous l’impulsion des événements, les 40 heures ont été réellement appliquées. Cette inscription dans la loi donne au mouvement social la possibilité d’un correctif — même s’il faudra qu’il soit puissant, ce correctif ! — pour faire que la durée légale soit en phase avec la durée réelle et qu’on aille vers les 32 heures. Les gains de productivité constants doivent maintenant être utilisés pour créer des emplois, assurer la protection sociale, développer l’économie pour les besoins populaires.

P.-S.

Propos recueillis par Thomas Lemahieu.
Paru dans L’Humanité, édition du 23 septembre 1999.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)