Les 35 heures dans le commerce

, par BRODY Patrick

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Les conditions de travail dans le commerce sont déjà épouvantables. Pourtant, le patronat veut profiter de la loi de réduction du temps de travail pour les aggraver encore et aligner vers le bas le statut des salariés de la branche. Patrick Brody, secrétaire général du SYCOPA-CFDT, le Syndicat du commerce parisien, dans une tribune libre envoyée à Rouge, affirme l’exigence d’une véritable loi sociale sur les 35 heures.

Pour les 35 heures sans flexibilité, la loi doit s’attaquer à la flexibilité. La réduction du temps de travail dans le commerce, c’est presque contradictoire dans ce secteur abonné au temps partiel : les salariés, femmes dans leur immense majorité, réclament une augmentation de leur temps de travail. Pour pouvoir vivre dignement, tout simplement. Car quand le contrat est partiel, le salaire l’est également : 2 500 à 4 000 francs par mois.

L’investissement demandé est, par contre, complet : la flexibilité fait rage et, sur fond de flexibilité, d’annualisation et d’heures complémentaires (des heures supplémentaires payées au tarif normal), caissières et vendeuses travaillent souvent 6 jours sur 7.

Même avec beaucoup d’imagination, il paraissait difficile de faire pire. Le patronat du commerce y est pourtant arrivé. Prenant prétexte de la loi de réduction du temps de travail, l’Union du commerce du centre-ville (UCV) a dénoncé les conventions collectives de branche et proposé comme base de négociation : généralisation de l’annualisation, 12 semaines à 48 heures sans majoration de salaire, généralisation du travail 6 jours sur 7, ouvertures tardives. Ces propositions sont d’autant moins recevables que les employeurs ont refusé, pour la troisième année consécutive, de négocier sur les salaires. Alors même que ce secteur affiche chaque année de confortables bénéfices.

Jacques Périllat, le président de l’UCV, a déclaré : « Comment pouvez-vous imaginer que l’on se prive d’entrer dans des dispositions (flexibilité, annualisation, temps partiel) qui, à défaut, nous condamnent vis-à-vis de la concurrence des hypermarchés ? » (Liaisons sociales, avril 1999). Le propos a le mérite de la clarté. Au-delà de son côté provocateur, cette déclaration nous paraît révéler un projet : celui de fondre la convention de l’UCV dans celle de la Fédération commerce distribution (FCD), la fédération des hypers et supermarchés.

Après avoir, sous prétexte de concurrence, allongé les horaires des grands magasins et magasins populaires et multiplié les ouvertures dominicales, l’UCV veut aligner les statuts des salariés du commerce vers le bas. Mais l’argument de la concurrence n’est pas recevable : le pouvoir d’achat des consommateurs n’est pas extensible et l’ouverture des magasins 365 jours par an et 24 heures sur 24 n’entraînerait pas un surcroît d’achats. Le Sycopa CFDT demande que la concurrence s’exerce dans un cadre horaire commun à tous, y compris les hypers et centres commerciaux. C’est le moyen de respecter le droit des salariés à une vie en dehors du travail et de sauvegarder économiquement la branche commerce du centre-ville.

Temps partiel, annualisation, flexibilité, cette politique, suivie avec constance par le patronat du commerce depuis la « législation » du temps partiel, assortie d’exonérations substantielles (30 %), a montré sa nocivité. Elle a abouti à la création d’une nouvelle classe de salariés : les salariés pauvres. Elle a également entraîné des suppressions d’emplois : le commerce parisien en a perdu 50 000 au cours des 10 dernières années.

Soixante-dix pour cent des salariés des magasins populaires (Monoprix, Prisunic) sont à temps partiel, avec parfois des contrats de 16 heures, étalées sur 6 jours. Avec ceux des grands magasins (BHV, Printemps, Galeries Lafayette), qui subissent le temps partiel pour 43 % d’entre eux, ils réclament une priorité à l’embauche à temps complet, la limitation du recours aux contrats à durée déterminée (pas plus de 5 %), un véritable contrôle des horaires, 2 jours de congé consécutifs, dont le dimanche, une durée du travail hebdomadaire limitée à 44 heures et à 9 heures par jour, la limitation du recours aux heures supplémentaires et la majoration du tarif des heures complémentaires pour les salariés à temps partiel. Des revendications loin d’être exorbitantes, mais à l’opposé de la politique affichée par l’UCV, un patronat à peu près aussi social que l’UIMM.

La loi Aubry doit permettre aux salariés à plein temps de ne pas travailler plus de 35 heures, elle doit permettre aux salariés à temps partiel de travailler eux aussi 35 heures, ou du moins de s’en rapprocher. Dans le commerce, comme dans le nettoyage, 16 heures payées au SMIC, ce n’est pas rare. Cela s’appelle un salaire, ce n’est qu’un RMI.

Pour le moment, la loi prévoit une seule mesure en faveur des salariés : la limitation à 2 heures de la coupure dans la journée de travail. Ce n’est pas assez et nous attendons de la seconde loi qu’elle s’attaque aux raisons qui ont transformé les vendeuses et caissières en salariées pauvres et prisonnières d’un emploi du temps de plus en plus contraignant.

Les salariés du commerce attendent, et c’est bien le moins, que la loi sur la réduction du temps de travail améliore leur condition.

La suppression du temps partiel subi, de la flexibilité et la mise en place de règles communes à l’ensemble du commerce sont les conditions de cette amélioration. Contre la dénonciation des conventions collectives et pour une loi créatrice d’emplois et de justice sociale ; afin que les 35 heures qui devraient être un progrès social ne se transforment pas en régression.

P.-S.

Rouge, 1999.

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