LCR : une position originale

, par PICQUET Christian

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Le courant constitué en France en référence à la IVe Internationale, créée par Léon Trotsky en 1938 (Parti communiste internationaliste jusqu’en Mai 1968, Ligue communiste, puis Ligue communiste révolutionnaire), aura toujours développé une approche originale de la solution à apporter pour sortir de la guerre de Palestine.
Avant même la création d’Israël, puis après sa proclamation officielle, il s’opposa sans réserves à l’idée du partage et à la création d’un État mono-ethnique et confessionnel, ce processus conduisant inexorablement, à ses yeux, à l’exclusion de la population arabe autochtone et à la pure et simple négation de ses droits nationaux. Cela le différencia de l’ensemble des courants de la gauche et, singulièrement, de partis communistes alors alignés sur les orientations extérieures de l’Union soviétique et qui approuvèrent la résolution de l’ONU.
En même temps, ceux que l’on nomme désormais, par commodité, les « trotskystes » manifestèrent un souci permanent d’unir Juifs et Arabes de Palestine dans une lutte commune contre les grandes puissances et toutes les classes dominantes de la région. En ce sens, ils manifestèrent une constante attention à l’existence d’une « question juive » à laquelle la plupart des composantes de la tradition révolutionnaire (le Bund excepté) n’avaient apporté aucune réponse véritable. Bien avant le génocide hitlérien, Trotsky confessait ainsi l’erreur de jeunesse l’ayant amené à considérer que ladite « question juive » disparaîtrait automatiquement avec le grand mouvement historique conduisant au socialisme.
En 1937, à Mexico, répondant aux questions du quotidien yiddish Der Weg, il indiquait : « L’histoire de l’humanité a connu l’ère des grandes migrations sur la base de la barbarie. Le socialisme ouvrira la possibilité de grandes migrations sur la base des techniques et de la culture les plus développées. Il va sans dire qu’il ne s’agit pas ici de déplacements forcés, c’est-à-dire de la création de nouveaux ghettos pour certaines nationalités, mais de déplacements librement consentis, ou plutôt réclamés par certaines nationalités ou fractions de nationalités. Les Juifs dispersés qui voudront se réunir dans la même communauté trouveront sous le soleil un lieu suffisamment étendu et riche. La même possibilité sera offerte aux Arabes comme à toutes les nations dispersées. […] Travailler pour le socialisme international, c’est travailler aussi pour la solution de la question juive. » Dans la foulée, reconstruite après-guerre, la IVe Internationale prenait acte, à son congrès de 1948, de la naissance d’une réalité nationale israélienne en terre de Palestine, et elle adoptait une position dont chacun, même s’il la trouve utopique avec le recul, reconnaîtra le caractère éminemment moderne : elle en appelait à la convocation d’une « Assemblée constituante librement élue avec pleins droits pour les Juifs comme minorité nationale. » Rien de plus faux, donc, que les assertions des épigones de la politique israélienne, selon lesquels les « trotskystes » seraient indifférents à la réalité, récurrente jusqu’à nos jours, de l’antisémitisme.
Après la guerre des Six-Jours, la jeune Ligue communiste s’engagera sans réserves dans la solidarité avec une Résistance palestinienne qui venait de s’écarter de la tutelle du nationalisme nassérien. Y voyant la confirmation que le monde était entré dans une nouvelle période historique de montée des luttes révolutionnaires, elle en attendait une révolution arabe qui décillerait les yeux « des masses juives entraînées dans des combats contre-révolutionnaires issus directement de la nature de la colonisation sioniste » (« Proche-Orient : de la résistance palestinienne à la révolution socialiste », Cahiers rouges, 1970). Solidaire de toutes les composantes du mouvement national palestinien, mais ne renonçant jamais à critiquer l’orientation de sa composante dominante, le Fatah, à laquelle elle reprochait ses compromissions avec les régimes arabes et, par là, les grandes puissances, elle s’efforça alors de nouer des liens avec les courants se réclamant du marxisme : le FDPLP côté palestinien (qui prônait à l’époque une solution binationale à la complexité du conflit israélo-palestinien, le Matzpen côté israélien).
La longue série des défaites essuyées par les Palestiniens tout au long des années 1970 et 1980, le reflux des luttes progressistes dans le monde arabe et à l’échelle internationale, la désynchronisation hélas consacrée entre les processus politique et sociaux se déroulant au sein des sociétés israélienne et palestinienne allaient conduire à l’inflexion du début des années 1980. La LCR se situera d’emblée dans une approche positive des accords d’Oslo, considérant que la reconnaissance de la nation palestinienne par Israël représentait une rupture sans précédent depuis 1948, et que, si rien ne se trouvait garanti par la fameuse « Déclaration de principe », tout allait ensuite dépendre de la capacité — et même de la volonté — du mouvement palestinien et des forces anticolonialistes israéliennes d’en bousculer le cadre étriqué.
En 1993, le comité central de la LCR adoptait la position suivante : « C’est aux Palestiniens et à leurs organisations représentatives de déterminer les compromis qui leur semblent inévitables. Mais le sionisme porte en lui une logique d’agression qui interdit d’aboutir à une paix juste et durable. Après la Deuxième Guerre mondiale, la construction d’un État juif est apparue comme la seule issue possible à un grand nombre de Juifs rescapés de la Shoah, mais l’État d’Israël s’est construit sur la base de la spoliation du peuple palestinien et de la mystification tragique des populations juives locales et immigrées. Si, transitoirement, la lutte des territoires occupés débouche sur la coexistence de deux États, un avenir commun pour les deux peuples se partageant la même terre passe par la laïcisation de l’État d’Israël, condition de sa désionisation. C’est-à-dire par l’abandon des discriminations institutionnalisées dont les citoyens arabes sont l’objet en son sein, la liquidation du lien entre État et religion, l’abolition de la “Loi du retour”. Seule une telle perspective est de nature à créer les conditions d’une solution fédérale ou confédérale, où Israéliens et Palestiniens pourraient nouer d’authentiques rapports de coopération, tout en se voyant garantis leurs droits nationaux respectifs ». Dit autrement, le pari était alors fait que la coexistence de deux États remettrait en question l’essence coloniale d’Israël et le confronterait à une nécessaire laïcisation et démocratisation… C’était là en revenir aux réflexions de Nathan Weinstock qui, à la fin des années 1960, avait développé dans les colonnes de la revue Quatrième Internationale l’idée selon laquelle l’impossibilité de coexister avec Israël ne venait pas du fait que cet État était majoritairement juif, mais de sa structure et de sa finalité coloniales. Cette position restera celle de la LCR jusqu’à son autodissolution de 2009, pour donner naissance au Nouveau Parti anticapitaliste.
Au long de ces quarante dernières années, les débats internes furent souvent vifs : sur la stratégie de guerre populaire initialement conduite par la Résistance palestinienne, sur l’utilisation de moyens comme les détournements d’avions ou les prises d’otages (lors des Jeux olympiques de Munich, par exemple), sur Oslo, sur la militarisation de la deuxième Intifada ou, plus récemment, sur l’appréciation de la montée d’un mouvement comme le Hamas. Ils n’auront toutefois jamais empêché cette famille politique de jouer un rôle essentiel dans la sensibilisation de l’opinion aux enjeux de la situation proche-orientale, jusqu’à la fondation, dont elle fut à l’origine, du « Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens »… ?