Ugo Palheta s’intéresse au « danger fasciste ». Pour le comprendre il s’attache à analyser les effets politiques du néolibéralisme, mais aussi le durcissement de l’autoritarisme des États capitalistes, la montée des nationalismes portés par l’intensification du racisme, ou encore la sociologie de l’extrême droite contemporaine.
En 2018 il a ainsi publié un livre, La possibilité du fascisme : France, la trajectoire d’un désastre. Ugo Palheta assure sur son site internet que « Ceci n’est donc pas (seulement) un livre sur l’extrême droite. S’il faut prendre au sérieux cette dernière, il importe tout autant de replacer sa résurrection et son renforcement dans le processus historique de radicalisation de la classe dirigeante française dans son ensemble. Produit et productrice d’une interminable crise politique, cette radicalisation a favorisé l’ascension d’un fascisme d’un genre nouveau, qui s’incarne actuellement sous les traits du Front national sans pour autant s’y réduire. »
- Comment définissez-vous le fascisme ?
Le fascisme est un régime d’exception dans lequel l’État de droit est suspendu ou aboli, où les libertés publiques sont réduites à néant. Les élections peuvent éventuellement subsister mais la possibilité même de contester est remise en cause. Mais avant de parvenir au pouvoir le fascisme désigne des mouvements qui promeuvent une idéologie nationaliste, de régénération ou de renaissance nationale. Ils veulent pour cela mettre en œuvre un programme de nettoyage ethno-racial et de purge politique.
Les fascistes, pour la majorité, prétendent régénérer la nation. Pour que s’opère cette renaissance nationale il faudrait débarrasser la nation des ennemis et des traîtres. L’extrême droite cible donc en premier lieu les minorités ethno-raciales, mais aussi les mouvements qui mettent en cause un ordre social inégalitaire, hiérarchique, sexiste, raciste…
Il est intéressant de noter que la catégorie de « fascisme » est très souvent critiquée, parce qu’elle serait vague et polémique. Le terme a été largement remplacé par « populiste » ou « national-populiste ». J’essaie pour ma part de montrer que nous avons besoin de la catégorie de « fascisme » pour comprendre les mouvements d’extrême droite contemporains -en notant bien les différences significatives entre les extrêmes droites contemporaines et les fascismes de l’entre-deux guerres. Mais du point de vue du projet politique et de l’idéologie portée par la plupart des mouvements d’extrême droite actuels, la parenté avec des idéologies fascistes est réelle et significative.
- Peut-on parler d’une montée du fascisme en France ?
Un des symptômes les plus évidents est la progression des mouvements d’extrême droite. Sur le plan idéologique, il y a la montée d’une certaine forme de nationalisme xénophobe, raciste, anti-migrants et anti-réfugiés. Des idéologies réactionnaires tentent de refaire surface notamment avec la "Manif pour tous », ou encore les mouvements contre la prétendue « théorie du genre ».
On peut noter également la montée d’idéologues que je qualifierais de « préfascistes ». Il ne sont pas à proprement parler fascistes, mais ils préparent d’une certaine manière le terrain au fascisme. Je pense notamment à Eric Zemmour dont le succès est absolument indéniable. Sur Internet également : on trouve une constellation de sites fascistes avec une très large audience. Je pense en particulier à Égalité et Réconciliation, le site d’Alain Soral ou Fdesouche, proche des identitaires. Ils disposent tout deux d’une audience de masse : Égalité et réconciliation fait plus de visiteurs mensuels que Mediapart !
- La Manif pour tous du 13 juin 2013 à Paris
- Source : Wikipédia
Ceux qui s’imaginent que l’extrême droite est simplement un épouvantail agité par les partis de centre gauche ou de droite pour se faire élire ne voient qu’une partie du problème. Bien sûr que ces gens comme Macron, et avant lui Chirac et Mitterand, jouent sur le danger que représente l’extrême droite pour se faire élire largement. Ce danger n’en est pas moins réel.
Des reconfigurations des forces entre l’extrême droite et des pans de la droite sont aussi à imaginer. Dans le cadre de "la Manif pour tous ", on a vu coude à coude des mouvements de droite et d’extrême droite. Si vous regardez la campagne de Fillon ou les prises de position de Laurent Wauquiez depuis son ascension à la tête des Républicains, il y a une reprise quasiment telle quelle d’une série de propositions et d’éléments de langage de l’extrême droite. LR et le FN se sont retrouvés pour réclamer une loi encore plus répressive vis-à-vis des migrants que la loi dite asile-immigration. Il y a une convergence idéologique. Si la droite ne sort pas de sa crise, beaucoup seront tentés par des alliances avec le RN. S’ils s’imaginent qu’ils ne peuvent pas être élus avec la droite, certains miseront sans doute sur un autre cheval. Comme Thierry Mariani, ancien ministre de Sarkozy et sur la liste RN aux européennes.
- Comment expliquez-vous la montée du fascisme au niveau mondial ?
À partir de la fin des années 1970 et surtout du début des années 1980, les politiques néolibérales ont abouti non seulement à la mondialisation capitaliste, mais aussi à des privatisations de services publics, à la remise en cause du droit du travail et des systèmes de protection sociale…
Le néolibéralisme était en quelque sorte une réponse des classes dominantes à la grande vague de luttes sociales et politiques des années 1970, notamment suite à Mai 1968. Cela a abouti à un rétablissement des taux de profit et a globalement renforcé le pouvoir économique de la classe dominante. Son pouvoir politique repose cependant sur sa capacité à convaincre les populations de la justice de ses actes et de sa capacité à se faire élire. La néolibéralisme a affaibli cette classe sur le plan politique.