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La lutte continue ! Interview de... Anne Debrégeas et Yann Cochin

, par COCHIN Yann, DEBRÉGEAS Anne

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Anne Debrégeas et Yann Cochin sont porte-paroles de la Fédération Sud Énergie.

  • École Émancipée : Quel a été le déclencheur de votre mobilisation ?

Anne et Yann : Cette mobilisation, historique par son intensité et sa durée, vient de loin. Elle est le résultat de la déliquescence de nos entreprises et du service public qui a accompagné la libéralisation et la privatisation partielle du secteur de l’énergie : perte de sens du travail, développement à outrance de la sous-traitance conduisant à la disparition des métiers des agents qui se retrouvent sans perspectives d’évolution, course à la rentabilité et développement d’un management autoritaire provoquant une dégradation des conditions de travail, répartition de la richesse créée toujours plus inégalitaire, avec une explosion des salaires des dirigeants et des dividendes pour les actionnaires alors que les salaires des autres salariés progressent moins vite que l’inflation. Les salariés ne veulent plus de cette évolution, la défiance vis-à-vis des Directions est énorme.

  • ÉÉ : Comment sont prises les décisions sur la reconduction, les formes de lutte... ?

A. & Y. : Le conflit a démarré de la base, principalement des jeunes, avec leurs syndicats locaux, sur des questions de sous-traitance, d’emploi et de salaire. Dans la grande majorité des sites en grève, les salariés se réunissent en assemblée générale tous les matins : c’est là que se décident la reconduction éventuelle du mouvement et les actions. Les formes de lutte sont multiples et différentes selon les sites. Dans la Distribution par exemple, certains ont choisi la grève reconductible totale, d’autres des formes moins coûteuses pour les salariés : filtrage du site, grève de quelques heures désorganisant la journée de travail, actions condamnant les salariés au « chômage technique », telles que le dégonflage nocturne des pneus des véhicules, etc. Dans le secteur de la Production (thermique et nucléaire), la volonté est d’opter pour des formes de lutte efficaces : filtrage de site, blocage des « arrêts de tranche » (périodes
de maintenance et de rechargement du combustible), etc. Au fil du temps, la grève semble prendre, sans aucune planification, un caractère tournant : les sites se mettent en grève à différentes périodes, selon les événements.

  • ÉÉ : Quelles étaient les relations entre les organisations syndicales ?

A. & Y. : Les 5 Fédérations représentatives ont maintenu une intersyndicale (la CFE-CGC vient d’en sortir en signant un accord) mais SUD Énergie, malgré ses demandes, n’a pas été invité à y participer. Sur le terrain, la situation est un peu différente : seule la CGT, SUD Énergie et parfois FO et la CFDT suivant les sites, sont réellement impliqués dans le conflit. Les relations entre SUD et la CGT dépendent des équipes locales, mais dans la lutte elles sont généralement bonnes. On note dans bien des endroits une irritation croissante des équipes locales vis-à-vis de leurs fédérations, à qui elles reprochent de ne pas assez faire circuler l’information, de ne pas appeler clairement à la généralisation du conflit, de ne pas jouer un rôle moteur.

  • ÉÉ : Qu’avez-vous gagné et comment envisagez-vous la suite ? Qu’en est-il question sanctions ?

A. & Y. : À GDF-Suez, des avancées ont été obtenues très rapidement : 5 % d’augmentation pour tout le personnel non cadre plus une prime de 1 300 euros. Mais dans les autres secteurs, les accords proposés à la signature offrent des avancées minimes : un quota supplémentaire d’augmentations individuelles, une prime de 500 euros environ, un moratoire d’un an à peine sur la sous-traitance de nouvelles activités. Les fédérations syndicales hésitent à signer ces accords, mais pour l’immense majorité des agents en grève, cela ne répond pas à leurs attentes. Les Directions, qui continuent à refuser de négocier sérieusement après 8 semaines de conflit, manient – comme ailleurs – le bâton : convocations avant sanction, mises en référé (procédure judiciaire d’urgence) pour grève illégale, sans parler des mises en garde à vue de salariés grévistes. Mais à chaque fois, ces agressions ne font que déclencher des élans de solidarité et renforcent la mobilisation. Depuis le début du conflit, les patrons se comportent de manière totalement irresponsable. Sans changement d’attitude de leur part, le climat social risque d’être agité durablement.

  • ÉÉ : En même temps que vous, d’autres secteurs sont fortement mobilisés : enseignement supérieur, hôpitaux... Pourquoi la convergence n’a-t-elle pas été possible ?

A. & Y. : Localement, des salariés grévistes ont rencontré des étudiants, des chercheurs, des salariés de Valéo, etc. Mais les Fédérations des différents secteurs mobilisés n’ont à ce jour pas fait l’effort d’organiser des actions communes, à quelques rares exceptions près (santé-recherche notamment). Et la stratégie proposée par l’Interpro des 8, avec une journée d’action tous les 2 mois, n’a probablement pas facilité cette possibilité de convergence ?

P.-S.

Interview réalisée par Monique Migneau, le 23 mai.
Entretien paru dans L’École émancipée, p. 5, mai-juin 2009.

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