Plusieurs événements récents ont été à l’origine de la catégorisation d’un ensemble d’individus par leur origine nationale, que celle-ci soit réelle ou simplement supposée, dans les discours politiques et médiatiques [1], tout d’abord par l’intérêt porté à la religion musulmane : ce sont les attentats du 11 septembre 2001, puis les débats autour de l’« affaire du foulard » islamique qui ont remis au centre des discussions la question de l’islam, et donc amené à reconsidérer une catégorie d’individus supposés musulmans. Les débats publics autour de la possible incompatibilité entre la religion musulmane et la République française impliquaient inévitablement une interrogation sur la légitimité de la présence sur le territoire national des individus de confession musulmane, ou, là encore, de ceux qui pouvaient être identifiés comme tels. Bien qu’alimentés par l’actualité, ces débats n’ont en fait rien de réellement nouveau ou original, pas plus que le soupçon nourri envers les populations « immigrées » [2]. La catégorie d’« immigré » est la catégorie du sens commun par excellence. Celle qui est le plus fréquemment utilisée dans les discours politiques, médiatiques, les conversations. Mais cet usage du mot « immigré » n’a pas, dans le discours ordinaire de base un sens univoque : « Sont ainsi nommés des Français et des étrangers qui peuvent même n’avoir jamais migré. Globalement, la notion d’« immigré » renvoie à une position à part dans la nation et la société, à une précarité continuée, au moins sur deux générations. Il y entre selon des pondérations fluctuantes un procès en illégitimité de la présence en France, une contestation de la plénitude de la participation sociale, un refus de la pleine citoyenneté. » [3]
La figure de l’immigré
On peut considérer que ces dernières années ont vu se construire dans les discours une figure de l’« immigré arabe », supposé être de confession islamique, et soupçonné sinon d’éventuelle appartenance à des groupes « extrémistes », du moins d’entretenir des rapports conflictuels avec les lois de la République française et ses institutions. La construction de l’« immigré » dans les discours rend compte de ce que Véronique De Rudder [4] nomme la « contestation de la plénitude de la participation sociale » : l’« immigré » est présent sur le territoire français, il peut y avoir fondé une famille, y exercer une profession... il se comporte en cela de la même manière qu’un citoyen Français dont le degré de participation sociale n’est pas remis en cause. Ce qui l’en différencie est une « culture » que l’on suppose différente, construite hors du territoire français et dont les valeurs peuvent s’avérer incompatibles avec celles de la société nationale. Il n’est donc ni réellement un « étranger », ni un réel "concitoyen", ni même forcément un concitoyen en devenir. Il apparaît comme le représentant d’une "autre culture" sur le territoire national, un ambassadeur d’une sorte d’exotisme qui peut être soit disqualifié, soit valorisé.
En ce qui concerne l’éducation de leurs enfants, deux phénomènes se croisent et pourraient conduire à renforcer la suspicion à l’égard des parents considérés « d’origine maghrébine » : la stigmatisation propre à la désignation par cette origine réelle ou supposée, et le discours de responsabilisation des parents qui consiste notamment à rechercher dans les pratiques de ceux-ci les raisons des difficultés scolaires de leurs enfants sans lien avec les recherches menées sur le thème [5]. Il semble que ce type de reproche, accusant certains parents de manquer à leur rôle d’éducateur, connaisse un écho particulièrement important depuis les événements qui se sont déroulés en novembre 2005 dans des quartiers dits « sensibles » en France. Le traitement politique et médiatique de ces « émeutes » a conduit à une double stigmatisation : l’une concernant les zones d’habitation d’une partie de la population française, la « question des banlieues », l’autre renvoyant aux origines nationales de celle-ci, « la question de l’immigration. » [6]
Le lieu d’être de l’école
L’école est la première institution rencontrée par l’enfant, elle est censée véhiculer les valeurs qui sont celles de la société dans son ensemble. La scolarisation est la première rencontre formelle entre l’enfant et une institution de la République, rencontre au cours de laquelle il va être confronté aux agents de l’Éducation nationale, enseignants et non-enseignants ; l’école est aussi le lieu où l’enfant va faire l’apprentissage de la sociabilité avec d’autres enfants du même âge. L’école devrait donc être indifférente aux territoires, aux origines sociales, et aux « origines nationales visibles » des élèves et de leurs familles. Pourtant, la littérature sociologique abonde concernant les inégalités sociales de réussite scolaire, du fait même du principe d’indifférence aux différences, et se développe concernant la spécificité du traitement par l’institution scolaire des individus d’« origine maghrébine ». Par ailleurs, ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « l’effet établissement » apparaît comme un acquis de la recherche en sociologie de l’éducation. [7]
Les rapports entre l’école et les familles au sein d’une Zone urbaine sensible (ZUS) présentent en conséquence certaines particularités, et ce d’autant plus s’il s’agit de familles « d’origine maghrébine visible ».
Le quartier du Jas-de-Bouffan, à Aix-en-Provence, est l’une des ZUS de la ville, qui en compte trois [8] ; aucun de ses établissements scolaires n’est classé ZEP ou REP. Le taux de chômage pour le quartier est de 21 %, contre 16,6 % pour l’ensemble de la commune d’Aix-en-Provence ; la part de non-diplômés de 24,5 % contre 16,3 % pour l’ensemble de la commune [9]. Selon des chiffres de 2004, la part de ménages non imposés sur le revenu y est de 50,4 contre 36,6 % pour la commune d’Aix-en-Provence [10]. Ce quartier est une zone où vit une forte population d’origine maghrébine visible, et il compte plusieurs associations d’accompagnement scolaire.
La première phase du travail d’enquête a porté sur les structures d’accompagnement scolaire, à travers des entretiens réalisés avec les responsables et animateurs de ces structures, et des observations quatre jours par semaine. L’une des deux associations étudiées, l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), appelle une première remarque. Sa dénomination même revendique son rapport à l’immigration en France. Il semble d’ailleurs intéressant de souligner que celle-ci ne fait plus directement référence au pays d’origine, mais à la situation en France. Jusqu’en 2002, l’organisation était nommée Association des travailleurs marocains de France. Selon le discours des responsables et animateurs de cette structure, cette revendication d’un lien avec l’immigration n’est pas sans effet sur le rapport qu’entretiennent les acteurs du quartier avec elle. D’après les premiers entretiens, l’identification en tant que Maghrébin donnerait notamment aux familles à penser que les membres de l’association parlent arabe, et donc, pour certaines, que le contact sera plus facile. Ces responsables [11] sont tous d’origine maghrébine visible et habitent le quartier, mais les deux animatrices qui assurent principalement les activités d’accompagnement scolaire ne le sont pas, et habitent le centre-ville d’Aix-en-Provence.
Parler ou ne pas parler l’arabe ?
La responsable de l’autre structure d’accompagnement scolaire est elle aussi d’origine maghrébine visible. Elle ne parle pas la langue arabe et suppose que cette absence de pratique pousse certaines familles à se tourner plutôt vers l’ATMF. Du fait des grandes difficultés, notamment financières, traversées par l’association, elle en est en ce moment la seule salariée.
Une des spécificités de ces structures est que l’accompagnement scolaire n’est que l’une de leurs activités parmi de nombreuses autres. Il est intéressant pour la recherche en cours de souligner que celles-ci animent aussi des ateliers réservés aux femmes du quartier, que l’ATMF appelle « groupe femmes », mais qu’au sein de l’autre association on appelle plus fréquemment « groupe des mamans ». L’ATMF assure par ailleurs des permanences au centre-ville et est impliquée à divers niveaux de la vie sociale et politique.
Plusieurs observations tendent à renforcer l’hypothèse d’une certaine assimilation de l’allo-définition de Maghrébin par les acteurs concernés. Les notes qui vont suivre sont de type ethnographique, et n’ont aucunement vocation à produire des résultats généralisables. Elles ne semblent pas pour autant sans importance, puisque, à l’instar d’autres recherches, elles dénotent une certaine banalisation de l’auto-désignation en tant que « Maghrébin », ou « Arabe », et montrent que différents types d’usage peuvent en être faits.
Tout d’abord, on peut noter qu’un usage qu’on pourrait dire classique du stigmate d’Arabe est fait par des enfants pourtant eux-mêmes potentiellement stigmatisables : lors d’une discussion avec des enfants inscrits à l’ATMF sur l’école primaire où ils se rendent [12], est évoqué un établissement proche du lieu de l’accompagnement scolaire. Donnant la première raison pour laquelle il ne le fréquente pas, deux d’entre eux expliquent : « Y’a que des Arabes là-bas ! Nous là où on va y’a plus de Français, ils sont plus gentils. » Cette remarque ne dit a priori rien des réelles raisons de l’affectation à tel ou tel établissement, mais, énoncée sans gêne ni interrogations apparentes, et sans provoquer de réaction des autres enfants, elle conduit à supposer que l’amalgame entre immigration et problème au niveau scolaire est assimilé, au moins par certains d’entre eux.
D’autres observations semblent confirmer l’idée d’une banalisation de l’usage de la catégorisation ethnique : une élève du secondaire, rencontrant quelques difficultés à réaliser un exercice de mathématiques au sein de l’autre structure d’accompagnement scolaire, répondra avec le sourire à une de ses camarades qui lui disait : « Laisse tomber, nous les Arabes on sait rien faire. » Mais aussi : « Quand même les maths ! C’est les Arabes qui ont inventé les maths ! » [13] Cette présence de l’ethnicité dans les discours des jeunes a bien été soulignée par David Lepoutre dans son étude sur la Cité des 4 000 [14]. Hormis ces « vannes », il semble possible de dire que les identifications entre enfants se font régulièrement à travers la référence ethnique : nul besoin d’une présence répétée pour entendre à de nombreuses reprises un tel défini comme « français », un autre comme « arabe », sans qu’il y ait une quelconque animosité, mais plutôt un type d’identification pratique.
Le centre de loisirs sans hébergement de l’association s’est vu retirer son agrément de la Direction départementale jeunesse et sport, faute d’un directeur diplômé. L’accueil des enfants le mercredi après-midi et pendant les périodes de vacances scolaires, avec lesquels se réalisaient divers types d’activités culturelles ou de plein air, n’est donc plus possible. Un directeur doit être recruté, et ce point est à l’ordre du jour de la réunion du conseil d’administration. Une lettre a été envoyée à l’Agence nationale pour l’emploi et, en retour, plusieurs curricula vitae ont été reçus par l’association.
Il est intéressant de s’attarder sur les critères étudiés par les membres du conseil d’administration pour apprécier les différents profils. Le premier cité est celui de l’âge : les postulants « trop jeunes » étant écartés, considérés comme ne pouvant exercer une autorité suffisante sur les enfants et adolescents accueillis et des justifications similaires étant avancées pour ne conserver que les candidatures des individus de sexe masculin.
« En imposer »
Ces premiers points ne sont pas sans importance. Ils semblent en effet traduire un certain rapport aux enfants fréquentant la structure dans le cadre du CLSH — on pourrait d’ailleurs dire « à tous les enfants fréquentant la structure, y compris dans le cadre de l’accompagnement scolaire », puisque ce sont, à quelques cas près, les mêmes, et que le conseil d’administration a la responsabilité de l’ensemble des activités de la structure. Si la notion d’autorité est centrale, c’est que le directeur du CLSH doit s’imposer — on serait tenté d’écrire « en imposer » — aux enfants, puisque cette autorité doit combiner la force de l’âge et les attributs de la masculinité.
Les critères de sélection évoqués par la suite sont susceptibles de permettre un premier éclairage quant aux rapports des membres du CA au quartier et au type de public accueilli. Est prise en compte l’expérience des postulants dans les domaines de l’animation et de la direction de centres de loisirs sans hébergement, et plus précisément leur expérience dans des quartiers « difficiles » [15]. Le quartier au sein duquel l’association exerce ses activités est donc décrit par ses membres comme un quartier « difficile », partageant en cela le sort d’autres quartiers de France, et une intervention professionnelle passée dans l’un d’entre eux est censée faciliter l’intervention dans un autre. Enfin, et ce critère est apparu déterminant, le futur directeur du centre de loisirs sans hébergement, devait de préférence « être maghrébin » [16], c’est-à-dire dans le cas présent présenter des nom et prénom dont la consonance pouvait conduire à lui supposer un ascendant ayant connu une trajectoire migratoire en provenance d’un pays du Maghreb vers la France. Le directeur finalement recruté répondra aux critères présentés. Il ne restera pour autant pas longtemps : un mois après son entrée dans l’association, il ne se présentera pas à son poste, sans en avoir averti les responsables de la structure, et n’y reviendra plus.
Notre interlocutrice, L. [17], expliquera ce départ par les difficultés rencontrées par rapport au public et émettra un jugement défavorable sur sa posture : « Le jour de l’entretien c’était du style « C’est quoi ces petits Arabes qui savent pas se tenir ? - Pourquoi t’es suédois toi ? - Il est du bled ! » » [18] L’usage du stigmate d’Arabe, dans le discours prêté au directeur du CLSH, vise à disqualifier : un comportement jugé inadapté à ses attentes d’éducateur est présenté comme le fait de « petits Arabes ». Ce qui semble étonnant pour L., c’est qu’elle dit retrouver dans les paroles du directeur la stigmatisation du comportement d’enfants dont elle pensait qu’il les comprendrait. Cette stigmatisation se serait faite par référence à leur origine ethnique, et l’attente de compréhension est due à cette même référence ethnique. La référence à l’origine ethnique conduit à supposer aux acteurs d’origine maghrébine visible une meilleure compréhension des problèmes rencontrés par d’autres acteurs de cette même origine visible, ce que l’on constate aussi bien du point de vue du recrutement que de celui de l’explication du départ du directeur, puisque, du fait de son origine maghrébine, le travail auprès des publics concernés n’aurait pas dû lui poser de problème.
Professeurs et accompagnateurs scolaires
Le quartier est-il perçu comme une zone d’investissement professionnel ?
Les six accompagnateurs scolaires qui n’habitent pas le quartier invoquent différentes raisons pour justifier leur absence de projet de venir s’y installer : refus d’habiter dans le quartier où on exerce sa profession, manque de possibilités en terme de loisirs, identification du quartier à une culture fuie. Pour les deux animatrices de l’association, c’est le manque d’activités qui semble expliquer leur volonté de ne pas y habiter : « C’est ce que je disais, c’est un peu apocalyptique quoi ! Y’a pas trop de structures, c’est pas dynamique quoi ! Au niveau socioculturel c’est vraiment très très pauvre quoi ! »
« Je pense que non, y’a pas de vie dans... si y’a de la vie parce qu’y’a des gens mais après y’a pas grand-chose à y faire. »
Contrairement aux deux animatrices citées précédemment, la responsable de l’autre structure d’accompagnement à la scolarité est d’origine maghrébine visible, mais elle revendique l’héritage de la culture berbère. Elle a quitté l’Algérie du fait de la politique d’arabisation car elle souhaitait que ses enfants, qui ne parlaient que le français, puissent continuer leur scolarité dans cette langue. Elle n’hésite pas à tracer certains parallèles entre le quartier où elle travaille et son pays natal pour expliquer pourquoi elle n’y habite pas : « Hors de question ! Parce que d’abord ça me correspond pas. En Algérie, je ne vivais pas dans la ville traditionnelle, je vivais plus dans la vie européenne, donc j’ai quand même des habitudes qui font que... Et puis je crois que par rapport à ma liberté, quand je rentre chez moi, j’ai pas besoin de savoir si c’est Renaud, si c’est Mohamed, si c’est Hector qui vient chez moi, je tiens à préserver ma liberté et vivre sur le quartier, c’est vie publique hein ! Tu vis comme au bled ici. C’est pour ça que moi j’ai pas envie d’habiter le quartier ! »
Seul le responsable associatif vivant dans le quartier émettra à son propos un jugement plus positif. De leur côté, les professeurs des écoles ne citeront que la volonté de ne pas vivre dans le quartier où ils enseignent, ou des raisons pratiques comme la possession d’un appartement dans un autre quartier avant leur nomination sur cette école. Pour ces éducateurs, le quartier correspond donc à un territoire investi uniquement pour des raisons professionnelles. Excepté l’un d’entre eux, ils ne l’habitent pas, n’y ont aucune activité, et n’en fréquentent pas les habitants. Le fait que même les accompagnateurs scolaires n’habitent pas le quartier conduit à nuancer la prétention de certains d’entre eux à une certaine connaissance du quartier « comme d’un facteur de distinction par rapport aux enseignants » [19]. Il faut aussi souligner qu’une coordination des actions des agents des structures éducatives est rendue difficile par la limitation de la présence de la plupart d’entre eux aux heures consacrées à leur activité professionnelle. Si chacun d’eux regrette cette absence de mise en commun des bilans et des projets, tous invoquent d’autres activités pour justifier leur absence de volonté d’y participer.
Référence ethnique, référence sociale
Si l’hypothèse était bien celle de l’intégration d’une dimension ethnique dans les représentations des acteurs des structures éducatives concernant les familles et les enfants qu’ils accueillaient, aucune question se référant explicitement au stigmate de Maghrébin n’était posée. En fin d’entretien, deux questions concernaient l’opinion de ces acteurs sur les débats en cours autour de l’immigration et de la religion musulmane. Les professeurs des écoles et salariés des associations d’accompagnement scolaire ont tous utilisé des caractéristiques de type ethnique pour définir le public qu’ils accueillaient. Cette remarque est d’autant plus significative concernant les discours des enseignants dont les références à d’autres types de caractéristiques, notamment sociales, étaient quasiment absentes. Si les accompagnateurs scolaires considèrent que les familles qu’ils accueillent subissent de nombreuses discriminations, notamment au niveau du logement et de l’emploi, aucun d’eux n’a fait référence à un possible traitement différentiel par l’école des individus selon leur origine ethnique.
L’une des institutrices décrit en ces termes cette école : « C’est beaucoup l’école des beurs. Il faut bien le dire. À mon arrivée, quand on a vu, chez moi, la liste de mes élèves on m’a demandé si j’avais pas été mutée en Algérie ! » Chez les deux autres, la comparaison avec les écoles au sein desquelles ils exerçaient jusqu’à cette année se fait prioritairement en référence à l’origine nationale supposée des enfants accueillis : « J’étais exactement dans le même type de quartier, le même type de population... J’en avais peut-être un peu plus qui venaient d’Afrique Noire, des Comores, mais c’est la seule différence, sinon après au niveau de la proportion de... d’immigrants c’était pareil ».
On peut d’ailleurs relever un paradoxe quant aux représentations des enseignants rencontrés : si eux-mêmes désignent le public accueilli dans l’école à travers des critères de différenciation ethnique, ils refusent de voir les élèves revendiquer une identité se référant à des critères de ce type, et mettant en concurrence l’identité « française » et l’identité « arabe » [20].
Des observations directes menées entre septembre 2006 et janvier 2007 dans les structures d’accompagnement scolaire ont permis de renforcer l’hypothèse d’une assimilation par les acteurs concernés de l’allo-définition potentiellement stigmatisante par l’origine extra-nationale. Ce résultat est corroboré par le discours des enseignants rencontrés : « Il y a dans la bouche des enfants une distinction, "nous les Arabes, vous les Français ». Une autre rend ainsi compte d’un discours qu’elle dit récurrent de la part de ses élèves : « Je suis pas français, je suis arabe ». Et tous trois condamnent sans réserve ce type d’identification : « C’est surprenant, très inquiétant. Même pour des enfants qui sont nés en France, même pour ceux dont les parents sont nés en France. »
Le dernier enseignant, contrairement aux discours de ses deux collègues, n’invoque pas de justification principielle quant à son inquiétude de voir les enfants revendiquer un attribut ethnique. Il souligne que ces revendications sont potentiellement source de violence entre les élèves : « C’est plutôt « sale arabe », « sale gitan » ! » Il semble donc que les enseignants demandent aux élèves de respecter le principe républicain d’indifférence aux différences, alors qu’eux-mêmes n’hésitent pas à les désigner selon l’origine nationale qu’ils leur supposent.
Quels que soient les acteurs concernés, la référence à la catégorisation ethnique semble donc être fréquemment utilisée, pour stigmatiser, pour désigner une discrimination dont certains acteurs disent être les victimes, ou dans une visée compréhensive, pour justifier les difficultés du public concerné. Si l’assimilation du Jas-de-Bouffan à un quartier sensible est apparue à plusieurs reprises, on peut aussi noter que, dans les discours recueillis in situ, lors des séances d’accompagnement scolaire, comme dans les entretiens avec les parents, une distinction est opérée entre le Jas-de-Bouffan et le centre-ville. La première question des enfants est souvent « Tu vis au Jas ou à Aix ? » et les parents parlent du quartier comme d’un territoire géographique extérieur à la ville.