La dernière évasion. Theologos Psaradellis (1943-2021)

, par KRIVINE Hubert, LÖWY Michael, SAMARY Catherine, VARIKAS Eleni

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Hommage à un camarade grec, recemment décédé, connu pour son combat contre la junte militaire des années 1960. Ouvrier lithographe, syndicaliste, militant de la section grecque de la IVe Internationale tant que sa santé le lui permettait, c’était un personnage attachant, généreux et courageux.

Theo Psaradellis, notre ami et camarade, n’est plus. Ouvrier lithographe, syndicaliste, militant de la section grecque de la IVe Internationale tant que sa santé le lui permettait, c’était un personnage attachant, généreux et courageux. Homme d’action plutôt qu’idéologue, il fut un combattant exemplaire contre la dictature des colonels (1967-1974), ce qui lui valut un « diplôme » trônant dans sa cuisine !

Suite au coup d’État de 1967, il se joint sans hésiter à la résistance à la Junte Militaire. Arrêté une prémière fois en 1969 — pour avoir subtilisé une charge de dynamite en vue de futures actions — il fut torturé par l’atroce méthode de la « falanga » et ensuite enfermé en isolement. Avec patience et obstination — non sans rappeller le héros du cèlèbre film de Bresson, Un condamné à mort s’est évadé — il a réussi, à l’aide d’une cuiller, à démonter la serrure, et, profitant d’un moment d’inattention des gardes, s’échapper.

Après une aventureuse expédition en mer sur un bateau à rames, Theo arrive en Turquie, et, suite à un bref séjour dans ce pays, tente de se réfugier en Bulgarie. Il fut cependant incarcéré par les autorités bulgares — c’est à dire la bureaucratie stalinienne - qui ont livré, sans états d’âme, ce dangereux trotskyste aux policiers grecs... Lors de son procès en Grèce, le juge militaire a ironisé sur les « frères communistes bulgares » qui l’ont trahi, s’attirant cette réponse cinglante de Psaradellis : « Cette affaire ne vous concerne pas. Un jour les travailleurs bulgares régleront leur compte aux staliniens de leur pays ».

Condamné par les tribunaux de la junte, incarceré, Theo s’évade une deuxième fois ! Après avoir traversé les Balkans (en évitant la Bulgarie...) et l’Italie — ou il sera pris en charge par notre camarade Livio Maitan — il s’exile en France en 1971. À Paris, il milite avec les exilés grecs contre la dictature, et travaille comme lithographe au journal Rouge. Il participe aussi aux activités de la Ligue Communiste Revolutionaire, où il fera la connaissance d’une camarade yougoslave parlant grec Nadia — qui deviendra son épouse et la mère de ses deux enfants.

De retour en Grèce en 1974, après la chute des colonels, Théo milite à nouveau dans la OKDE (Organisation Communiste Internationaliste de Grèce, IVe Internationale) jusque vers la fin des années 1990, quand, après une grave opération du coeur, Theo abandonne le militantisme actif.

Cependant, le 18 juillet 2002, lors de la campagne policiere de chasse au « Mouvement 17 Novembre », Théo fut arrêté et dénoncé comme membre de ce groupe par des « repentis » — qui finiront, plus tard, par se retracter publiquement. Il fut incarcéré jusqu’à son nouveau (dernier) procès commençé le 3 mars 2003 qui eut un considérable retentissement international.

Dans sa déposition, Théo réfuta les accusations policières et nia toute participation dans un groupe dont il ne partageait pas l’orientation nationaliste, et encore moins les méthodes — l’exécution de députés, d’industriels, de journalistes de droite, de diplomates turcs... Il reconnut par contre avoir participé à l’attaque d’une banque en 1986 — un délit qui était déjà prescrit — et qui heureusement ne fit ni blessé ni mort. Mais pourquoi donc s’être lancé dans une telle action, douze années après la fin du régime des colonels ?

Psaradellis expliqua que son objectif avait été de récupérer de l’argent pour financer la publication — en attente depuis des années — des oeuvres de Pandelis Pouliopolos, le fondateur du trotskysme grec… sans en avertir la section. Mais il n’a reçu aucune somme et — réalisant le rôle du 17 Novembre dans cette opération — coupa tous les ponts avec elle.

Ceux et celles qui connaissent Théo et ont milité à ses côtés reconnaîtront dans ce mélange de crédulité et d’honnêteté politique ce lithographe qui, comme d’autres ouvriers grecs de sa génération et de sa tradition politiques vouait une véritable vénération à la culture en général, et à l’héritage politique du marxisme révolutionnaire en particulier. Une vénération d’autant plus grande qu’il avait dû arrêter ses études à l’école primaire.

Certes, on peut considérer qu’il a fait preuve d’imprudence, de naïveté et d’un jugement politique erroné,... Rappellons, comme circonstance atténuante, la célèbre phrase de Brecht dans L’opera des quatre sous : « Voler une banque n’est rien comparé à … fonder une banque ».

« Mon idéologie », a-t-il déclaré, « ne m’interdit pas les expropriations de banques, mais elle condamne, politiquement et moralement, les assassinats d’adversaires politiques ».

Nous étions parmi les nombreux témoins de la défense, grecs et français, venus à son procès pour expliquer les actions de Psaradellis, et montrer l’incompatibilité entre sa culture politique et des pratiques meurtrières. Des nombreuses personnalités politiques, en Grèce et dans le monde entier, ont signé un appel pour sa liberation. Ce fut un grand moment de chaleur humaine. Finalement, le Tribunal a reconnu son innocence, et il fut relaxé.

Cher Theo, cher ami et camarade, tu as encore une fois réussi ton évasion… Mais cette fois-ci nous ne pourrons plus t’accueillir et rire avec toi et avec tes proches qui t’ont tant soutenu et aimé.

Mais nous ne t’oublierons pas et nous sommes de tout coeur auprès de Nadia, Marianna et Stratis.

Catherine (Samary), Eleni (Varikas), Hubert (Krivine) et Michael (Löwy)