Entretien avec Christophe Aguiton

« La démocratie, c’est avant tout la liberté de conscience » en marge des rencontres de Fès

, par AGUITON Christophe

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Christophe Aguiton est un militant syndical et associatif, particulièrement actif dans les mouvements de chômeurs en France, mais aussi dans le mouvement altermondialiste. Il a été longtemps un des responsables d’Attac et aujourd’hui il est tr... (ndlr : introduction incomplète).

  • Que retenez-vous de la rencontre qui s’est déroulée autour de la démocratie globale et à laquelle vous avez participé ?

C’est intéressant d’avoir un festival qui part du culturel parce que c’est cela le point d’entrée et en même temps qui est capable de s’élargir et de s’ouvrir à une série de thématiques très importantes.

Le débat sur la démocratie globale est, à mon avis intéressant pour deux raisons, d’abord parce qu’il mixait des approches très différentes, celle d’un physicien, d’une américaine qui travaille sur les religions, d’un militant comme moi, de juriste et spécialiste des affaires étrangères du Maroc, tout cela était absolument passionnant, mais aussi parce que nous sommes à un moment de l’histoire où ces questions démocratiques doivent vraiment être discutées.

Avec ce qui se passe en Irak et en Palestine, on a l’impression que le monde va dans le chaos. Il y a donc un sentiment d’urgence et je crois que cela s’est clairement exprimé dans les différentes interventions de cette table ronde. Nous avons voulu également réfléchir ensemble à une voie qui ne soit pas le retour à la mondialisation économique dont nous connaissons les effets négatifs au nord comme au sud et d’essayer de penser avec d’autres à ce qui pourrait être une autre mondialisation ; pour cela il y a des choses élémentaires, à mon avis, par exemple l’annulation de la dette des pays du sud, un autre échange entre le nord et le sud.

Pour vous donner un exemple, je trouve scandaleux que l’Union européenne ou les Etats-unis, mais en ce qui me concerne, l’Union européenne continue de subventionner les produits agricoles à l’exportation. Moi, je défends le fait qu’on défende l’agriculture de montagne parce que sinon il n’y aura plus d’agriculteurs dans les montagnes françaises.

Il y a toute une série de choses, je vous ai donné deux exemples, il y en a d’autres. Il faut aussi commencer à peser sur les multinationales, parce que le nouveau capitalisme dans lequel nous sommes entrés est un capitalisme en réseau où les sous-contractants s’étendent à l’infini et le risque c’est que les conditions sociales des derniers de la chaîne soient extrêmement mauvaises.
On sait que lorsque les multinationales investissent au Maroc, en général ça va, parce qu’elles doivent respecter un code éthique... Mais quand il y a un premier rang de sous-traitants, c’est moins bien, un deuxième encore moins bien et au dixième rang... c’est n’importe quoi.

Donc il faut des règles qui responsabilisent les multinationales et qui permettent des solidarités syndicales et entre syndicats et ONG, nord et sud. Tout cela c’est un changement profond, cela voudra dire des traités internationaux... C’est ce que j’essayais de défendre dans mon intervention.

  • Comment croyez-vous que des rencontres comme celle-ci puissent avoir un impact quelconque sur le cours des choses ?

Parce que vous êtes là et qu’il y a la presse. Et puis il y a les participants, beaucoup de monde, n’est-ce pas, et par le biais des médias, les idées se diffusent et circulent.

  • Vous avez souligné dans votre intervention un regain de militantisme. Croyez-vous que ces forces d’opposition, je dirais, aient du poids ?

Oui, ça commence à peser. Regardez en Espagne, récemment.
Il y a eu une position radicale contre la guerre et parce que Aznar avait menti sur les attentats horribles du 11 mars, il a perdu et les troupes reviennent. Nous allons voir ce qui va se passer aux Etats-unis, mais déjà il y a une mobilisation contre la politique de Bush. De même en Italie et donc il y a sur les questions sociales et économiques une montée de revendications qui aura sûrement son mot à dire.

  • Les entreprises, aujourd’hui, ont du mal à faire ce qu’elles faisaient auparavant.

Je parlais tout à l’heure des chaînes de sous-traitants ; une entreprise comme Nike ou des magasins comme GAP, ont décidé de se doter d’une charte extrêmement scrupuleuse sur les questions sociales parce qu’ils se sont rendus compte que la montée de ces mouvements risquait d’avoir une influence négative sur leur image et donc sur leur chiffre d’affaires.

  • Quand on parle de démocratie aujourd’hui, on parle souvent de libertés économiques, de libre échange... N’y a-t-il pas d’autres moyens de parler de démocratie ?

Evidemment que si. Pour nous les militants et je suppose pour la grande majorité aussi de vos lecteurs, la démocratie, c’est avant tout la liberté de conscience, on doit pouvoir penser ce qu’on veut, la liberté d’expression, il faut que les journaux soient libres, la liberté religieuse, bref des libertés fondamentales en y incluant ce que nous appelons, nous, les droits sociaux fondamentaux : on ne doit pas laisser les gens mourir de faim, il faut qu’ils aient un accès aux soins et à l’éducation.

  • Vous suggérez des voies de traverse. À quoi pensez-vous ?

On a vu par exemple un important forum social à Bombay en Inde qui a été une grande réussite et en même temps une mobilisation populaire qui s’est exprimée sur le plan électorale et qui a battu le BJP qui a laissé faire le massacre de milliers de musulmans, dans le Gudjarat. Maintenant, il y a des difficultés à gagner tous ensemble face à tous les Etats, parce que le système est très compliqué. Il existe ce que j’appelle des chemins de traverse, qui sont obliques. Prenez l’exemple des multinationales, ce n’est pas l’ONU qui a obligé GAP à réglementer ses obligations sociales.

C’est valable pour d’autres domaines. En Palestine, j’ai été frappé de voir comment l’Initiative de Genève entre des militants du camp de la paix israélien et des responsables palestiniens qui n’avaient pas de responsabilité en tant que tels, a pu avoir autant d’impact dans la région.

Des démarches de ce type auxquelles j’ajouterais l’accord contre les mines anti-personnelles, sans l’accord des Etats Unis et de la Russie qui sont les plus grandes puissances militaires du monde, montrent qu’on peut commencer à gagner sur ces chemins.

  • C’est cela que vous prônez dans votre livre Le Monde nous appartient ?

Tout à fait. Le livre est publié aujourd’hui chez 10-18 en format de poche et donc moins cher et la version arabe sort bientôt.