Selon une interprétation dominante des résultats de l’élection européenne, l’UMP et les Verts seraient les grands vainqueurs de ce scrutin. En réalité, avec 27,87 % des voix, le parti sarkozyste et ses alliés sont minoritaires et isolés. Le rejet dont fait l’objet la politique du gouvernement, dans la rue, est confirmé dans les urnes. L’UMP a progressé par rapport à l’élection de 2004 en siphonnant une partie des électorats du Modem et du FN, mais n’a pas mordu sur l’électorat de gauche. Le total des voix de droite n’a pratiquement pas varié : il était de 8 427 807 (49,58 %) en 2004, contre 8 594 036 (49.91 %) en 2009.
Avec 16,28 %, la liste Europe Écologie améliore son meilleur score (10,6 % en 1989). Peut-on parler de « vague verte » en Europe ? Loin s’en faut. Les écologistes renforcent leurs positions dans leurs bastions du Nord (France, Allemagne, Suède, Luxembourg), mais restent marginaux ailleurs. Les enseignements majeurs de ce scrutin sont ailleurs. D’une part, on relève à droite la montée en force de mouvements europhobes et extrêmes (Autriche, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Hongrie, Italie et Royaume-Uni). Plutôt que de parler d’une « vague bleue », il serait donc plus pertinent de se pencher sur la « minivague brune ». À gauche, la social-démocratie s’effondre un peu partout.
À l’exception de quelques places fortes (Suède, Danemark, Grèce), elle est battue dans des pays où elle est traditionnellement implantée (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne). En France, en Allemagne et au Royaume-Uni, les tenants de la voie blairiste ont subi de graves revers. Notons que le sévère recul de la social-démocratie en Europe a profité à d’autres formations de gauche.
En France, les voix socialistes se sont essentiellement reportées sur des Verts gauchisés par José Bové, sur la gauche radicale et sur le Front de gauche.
C’est le PS qui a été rejeté et non la gauche dans son ensemble.
Contrairement à certaines analyses bâclées, la gauche n’est pas en net recul : en 2004, les partis de gauche récoltaient 7 935 267 voix (46,3 %), contre 7 813 594 voix en 2009 (45,38 %). C’est uniquement la social-démocratie qui touche le fond, empêtrée dans sa cogestion néolibérale de l’Europe. D’accords en compromis « techniques », cette social-démocratie en est venue à défendre jusqu’au bout les politiques néolibérales de la Commission. Deux sociaux-démocrates européens se sont récemment opposés à Christine Lagarde qui proposait de mettre de côté les déficits liés à la crise. Joaquin Almunia (PSOE), commissaire des Affaires économiques et monétaires, et Peer Steinbrück (SPD), le ministre allemand des Finances, ont exigé le respect du pacte de stabilité. Partout en Europe, la social-démocratie continue de défendre l’orthodoxie néolibérale pourtant discréditée par la crise du capitalisme, abandonnant à la droite le discours du protectionnisme social. Pourquoi les électeurs de gauche voteraient-ils pour des formations qui, avant même le vote, avaient annoncé qu’elles souhaitaient reconduire dans ses fonctions José Manuel Barroso, l’ultralibéral président de la Commission ?
Dès le 7 juin au soir, les éléments les plus droitiers du PS (Valls, Peillon, Collomb, Moscovici) ont demandé que le parti mette le cap à droite. Ces blairistes préconisaient une alliance avec le démocrate-chrétien Bayrou il y a quelques jours. Ils ne jurent plus aujourd’hui que par le libéral libertaire Cohn-Bendit ! Le problème du PS n’est pas qu’il se soit doté d’une ligne « de gauche », mais qu’il ne l’ait pas mise en pratique ! C’est donc le positionnement droitier du PS que les électeurs de gauche viennent de sanctionner.
L’enjeu qui se pose à la gauche française reste le même : comment récupérer un électorat populaire qui s’est, une fois de plus, massivement abstenu ? En mettant enfin le cap à gauche ! L’initiative du Front de gauche élargie au NPA est par conséquent salutaire. Cette gauche radicalement opposée à un blairisme à la française serait à même de récupérer l’électorat populaire et jeune qui fait défaut à la gauche depuis plus de vingt ans.
Le PS peut-il faire partie de ce front de rupture ? Oui, mais à la condition de cesser au préalable de cogérer l’Europe néolibérale, de rejeter Lisbonne et de tourner le dos aux blairistes du PSE. En France, il doit se démarquer plus clairement des politiques réactionnaires de Sarkozy. S’allier à un PS qui n’aurait pas rompu avec le social-libéralisme exposerait la gauche à de terribles déconvenues politiques et électorales. La social-démocratie est une force discréditée et rejetée dans les urnes. Ce n’est donc pas en cogérant avec ce courant blairisant que la gauche de gauche pourra faire fructifier son capital électoral du 7 juin.