À gauche, Jean-Luc Mélenchon règne en maître. Sa percée médiatique et politique ne doit pourtant rien au divan rouge de Michel Drucker. Jean-Luc Mélenchon est bien plus qu’un puissant orateur ou un habile débatteur. C’est un homme politique de talent, cultivé, opiniâtre dans l’action et la réflexion. Il est vrai que le député européen domine un paysage de gauche médiocre. Le Parti socialiste reste un attelage de voix opportunistes et droitières. Qui possède la fibre populaire à Europe Ecologie ? Le PCF a choisi de momifier son appareil en le confiant à Pierre Laurent. « L’effet Besancenot » – effet « djeun » au service du combat anticapitaliste – s’est essoufflé, car le NPA n’a pas tenu sa promesse de rassemblement des forces anticapitalistes.
Dans ce désert politique, Jean-Luc Mélenchon surclasse d’invisibles adversaires. Le Parti de gauche (PG), unitaire pour deux – en tout cas sur le plan discursif – est de tous les combats depuis 2008. Au PG, on parle du peuple, des ouvriers, de lutte des classes et même de « dépassement du capitalisme ». Ce discours a une forte résonance populaire, car il sonne juste en ces temps d’attaques frontales contre les travailleurs. Dans le champ des forces de gauche, le PG est utile, car il offre un espoir aux électeurs qui voient avec effroi s’approcher l’alternance sans alternative du PS.
Denrée nouvelle, le mélenchonisme divertit les médias dominants qui en font leurs choux gras. Taxé de « populiste » par les doxologues, Jean-Luc Mélenchon a habilement retourné le qualitatif disqualifiant, pour s’en parer avec fierté. Populiste, absolument, car de gauche et dévoué à la défense des intérêts du peuple. Jean-Luc Mélenchon connaît son Lénine qui remarquait que les « populistes » étaient ceux qui accusaient les élites politiques et économiques corrompues (« Les importants », selon Jean-Luc Mélenchon). Ce populisme-là est donc résolument aux côtés du peuple, et non contre le peuple. De nos jours, l’adjectif « populiste » revêt un sens opposé. Il renvoie à un peuple « frustre » et « xénophobe » (rejet du traité constitutionnel en 2005), ou incapable de saisir les « impératifs » économiques du moment (réforme des retraites). Comble d’ironie, ce sont les partis de gauche (le PS en premier lieu) qui ont cessé de représenter le peuple, qui s’offusquent de ce que la plèbe rejette des politiques qui sont contraires à ses intérêts !
On évoque souvent le bref passé trotskyste de Jean-Luc Mélenchon pour expliquer son « radicalisme ». C’est un contresens, car Jean-Luc Mélenchon est culturellement étranger à la IVe Internationale. Pétri de républicanisme jaurésien et d’atavisme terrien de type mitterrandiste, il est au contraire le plus français des hommes politiques de l’Hexagone ! Sa geste républicaine – abstraite et parfois ampoulée – est impénétrable aux observateurs étrangers. Comme un pédagogue de la IIIe république, Jean-Luc Mélenchon chante le gospel universaliste de 1789. Il croit dur comme fer aux vertus thaumaturgiques de la méritocratie républicaine, toujours incantée, rarement rencontrée.
La lutte contre les injustices sociales et le racisme s’effacent quand le communautarisme national apparaît menacé. D’où son positionnement violemment antifoulard islamique au nom d’une interprétation de la laïcité qui piétine la loi de 1905, mais qui est fidèle à un certain “French way of life”. Comme François Mitterrand, Jean-Luc Mélenchon aime la France ; un amour de la Terre et des Gaulois.
Aventure individuelle
Le mélenchonisme serait-il une réincarnation lettrée de Georges Marchais ? Une antienne médiatique note, à l’appui, la même ardeur jouissive à se payer à l’écran les oligarques du monde des médias et de l’entreprise. Un certain mimétisme rhétorique est indéniable : pour les salaires « vingt fois supérieurs au revenu moyen, je prends tout », expliquait récemment Jean-Luc Mélenchon, en écho aux « au-dessus de 2 millions, 100 %, je prends tout », de Georges Marchais en 1981. Depuis le lancement du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon a « marchaiisé » ses sorties médiatiques : même ton mordant et gouailleur ; même propension à mélanger les argumentations politiques et les commentaires personnels ; même faculté à renvoyer les questions pièges à la face du journaliste interpellé par son nom de famille ; même variations de registre, entremêlant propos polémiques et langage corporel « viril » (la voix se durcit, les sourcils se froncent, le doigt se fait accusateur).
La comparaison s’arrête là. Dans les années 1970, Georges Marchais représentait un parti qui comptait 20 % des voix et plusieurs centaines de milliers d’adhérents. Le PG stagne à 5 % et n’a que quelques milliers de membres. À travers le PCF et la CGT, Georges Marchais représentait une large part de la classe ouvrière. Profitant de l’abandon du PS et de l’amateurisme de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon ne fait qu’entretenir une relation avec elle. Nous touchons ici aux limites de l’expérience décrite. Si Jean-Luc Mélenchon est utile à la gauche, le mélenchonisme apparaît voué à la condamner durablement à l’impuissance. N’en déplaise aux militants dévoués du PG, le mélenchonisme est une aventure individuelle (hors parti, qui connaît les élus, les cadres ou les intellectuels de ce mouvement ?). À ce titre, on peut se demander vers quel pôle de gauche l’individu se tournera-t-il demain. Vers les forces anticapitalistes ou vers un PS parvenu au pouvoir ? La clé du problème appartient à la gauche radicale qui doit amener Jean-Luc Mélenchon à servir, non pas son destin personnel, mais un front anticapitaliste unitaire. Tant que la gauche radicale préférera le sectarisme à l’unité, le mélenchonisme prospérera.