Je m’excuse de ne pas avoir participé aux travaux ce matin ce qui fait que je me sens un petit peu en porte à faux par rapport aux échanges qu’il y a pu avoir, mais Alain évoquait les questions de générations mais du coup ça me fait penser que par rapport à la génération de Mai 1968 sur cette question qui nous préoccupe quand on la centre sur les partis le changement est spectaculaire, c’est-à-dire du point de vue de l’expérience qui est la mienne, en 68, la question de la nécessité du parti dans les secteurs politisés ne faisait pas de doute, ça faisait si peu de doute que nous étions dans une situation de confrontation brutale entre les multiples avant-gardes exclusives des unes des autres et que c’était ça qui était dominant, alors qu’aujourd’hui on est dans une situation au contraire d’un doute qui apparaît très largement partagé sur cette question de l’organisation du parti.
Alors ça m’a amené, puisque la question c’est de s’interroger sur la prégnance des représentations inconscientes par rapport au facteur conscient, selon la tradition léniniste, si on forme un parti c’est qu’on s’associe librement pour changer l’avenir, alors si on est prisonnier des structures du passé, effectivement ça interroge.
Alors premier sujet que je voudrais soulever c’est la question de la confiance. Alors il y a la confiance qu’évoquait Pierre, c’est-à-dire la confiance des militants dans un parti par rapport à la société dans laquelle ils interviennent, effectivement c’est sans doute un élément aujourd’hui de ce doute, cet affaiblissement de nos capacités à changer la société, évidemment ça interagit sur la confiance que l’on a en interne entre nous. Alors c’est la confiance entre les militants de cette organisation, en particulier de ce parti, et puis c’est la confiance entre les militants et ceux que l’on qualifie avec des termes, qui eux-mêmes demanderaient à être interrogés finalement, qui sont les dirigeants, les leaders, les cadres, les responsables qui laissent entendre que la différence qui s’introduit entre les uns et les autres n’est pas anodine.
Alors cette confiance c’est à la fois une nécessité et c’est effectivement la nécessité du parti qui est derrière ça, c’est-à-dire, cette confiance c’est la cristallisation de processus d’acculturation et on retrouve le thème que le parti ou le syndicat c’est une école et qu’on se forme, on se transforme, on accède en tant qu’individu au collectif à travers les processus constitutifs de ce parti et que donc dans cette confiance il y a une somme d’expériences, de lucidité partagées, de compétences reconnues entre les uns et les autres et par rapport à ceux qui ont des rôles de dirigeants.
Mais en même temps, le deuxième point, et c’est là où les problèmes commencent, c’est que cette confiance conduit à des effets de délégation et on touche à ces problèmes de la délégation de responsabilités, de la délégation de pouvoir qui fait que dans une organisation il y a une autonomisation inévitable du pouvoir de décisions par rapport à ceux qui sont les membres de cette organisation et donc une logique possible et que l’on voit très souvent à l’œuvre, qui est une logique de dépossession et du fait que ceux à qui on donne cette confiance peuvent devenir, peuvent reproduire des processus de domination au sein même de l’organisation qui a pour fonction de lutter contre toutes les formes de dominations.
Et qu’on touche là, à ce que l’on constate dans les partis politiques, les phénomènes de suivisme politique. La confiance qui est positive se transforme en quelque chose qui est négatif qui est le phénomène du suivisme, de la confiance aveugle, et ce que l’on voit dans toutes les organisations, c’est-à-dire comment une direction a souvent beaucoup de facilité pour faire accepter des tournants politiques non seulement d’en convaincre, mais de les faire intérioriser par rapport à des militants qui ne sont, qui n’en n’ont pas la maîtrise et qui par ce phénomène de confiance transforme en suivisme vont les accepter. Et donc un processus qui est une menace me semble-t-il pour toute organisation : qui est le processus de transformation en secte, quand ces phénomènes là sont poussés à leurs termes on a une inversion, c’est-à-dire qu’on a des organisations qui existent pour lutter contre la domination, réaliser une libération et qui se transforment en machines de domination sur leurs propres militants en les soumettant à des mécanismes, qui sont des mécanismes oppressifs et de dictature interne en fait lorsque le processus peut être poussé jusqu’à son terme.
Voilà, premier point qui me semble être très problématique quand on réfléchit sur ce que c’est l’organisation, le parti cette question de la confiance et le deuxième point qui lui est lié, c’est justement le rôle des dirigeants, le rôle des leaders, puisqu’on voit bien que toute organisation nécessairement a besoin de concentrer le pouvoir de décisions et d’actions qui est la condition de l’efficacité de cette organisation qui ne peut pas vivre dans une situation d’atomisation complète et que cette concentration du pouvoir conduit, ça été évoqué d’après ce que j’ai entendu sur cette question de la... des similitudes qui peuvent se créer entre le parti et l’État que ce parti est censé combattre et on voit, que lorsqu’il s’agit d’un parti conservateur cet isomorphisme entre l’État et le parti va de soi, ne pose pas de problème mais quand on a un parti progressiste ou un parti révolutionnaire il y a évidemment un problème, cet isomorphisme qui se créée entre le parti et l’État.
Et la question de charisme a été évoquée il me semble que c’est cette question énigmatique qu’est ce qui fait que certains dans une organisation collective vont apparaître comme étant en situation de leaders. Là aussi avec des éléments positifs, dans une organisation qui a un minimum de démocratie, c’est pas n’importe qui, qui va se retrouver dans cette situation, ce qui veut dire qu’il y a des qualités personnelles des individus qui se retrouvent dans cette fonction.
Ce qui déjà introduit un élément de séduction qui n’est plus simplement de l’ordre de la conviction et des idées et qu’aujourd’hui un des éléments décisifs par rapport à ce type de phénomènes c’est évidemment la médiatisation, c’est-à-dire il n’y a plus de leaders politiques qui n’ont cette qualité au niveau des médias et donc une intervention qui fait que c’est au niveau des médias que vont être attribuées un certain nombre de qualités d’autorité qui vont rétroagir sur l’organisation contre les choix ou différemment des choix qui peuvent être ceux des militants au sein même de cette organisation.
Dernier point là-dessus, c’est la figure du bureaucrate puisqu’on a des leaders qui deviennent des bureaucrates ou des bureaucrates qui deviennent des leaders, ça doit fonctionner de façon extrêmement différente, où là on a une autre énigme qui est : comment l’homme sans qualité qui est le bureaucrate parfait peut se retrouver en situation d’avoir ce charisme, c’est-à-dire comment il peut capter les forces, non pas les forces de confiance des militants qu’ils lui attribuent mais qui sont les forces d’un appareil, qui sont les forces d’une institution qui font que cet individu là, va se retrouver en situation de direction et être l’inverse de la figure impossible du roi philosophe, qui a toutes les qualités et le bureaucrate n’en ayant aucune et se retrouvant pourtant en situation de pouvoir maîtriser ces phénomènes qui jouent sur des choses très profondes dans l’implication qui sont la réalité de l’activité de l’identité militante.
Un dernier point pour conclure et sortir de ce qui pourrait apparaître excessivement pessimiste, c’est qu’il me semble que dans la situation, dans ces doutes qui nous travaillent il y a un élément qui est que c’est en fonction de l’expérience des partis que l’on peut se poser ces problèmes là. C’est-à-dire la réflexion critique sur ces phénomènes liés à l’organisation ne peut venir que des partis, que de l’expérience accumulée à travers ces partis. C’est-à-dire quand elle vient de l’extérieur c’est une critique qui est totalement négative, qui consiste à dire il faut mettre une croix là-dessus, l’organisation n’est pas nécessaire, on peut s’en passer, il faut agir autrement ce qui me semblerait être une impasse.
Parce qu’on est à un moment où justement toute cette réflexion critique sur les limites, les défauts, les carences, les problèmes, les drames que l’on peut connaître à travers les expériences militantes sont le terrain nécessaire pour engager cette réflexion sur : comment avoir des organisations, moi je considère que l’on ne peut pas se passer d’organisations, comment avoir des organisations qui, non pas immunisées par rapport à ces problèmes là, mais ait au moins et la conscience critique que ces phénomènes existent, qu’ils sont vraisemblablement inévitables et qu’il y a la nécessité de construire des stratégies qui permettent de les prendre en compte, de s’y opposer, d’être vigilant, d’être lucide sur tout ça.
Les difficultés qui sont les nôtres, qui sont celles du mouvement ouvrier, dans la situation actuelle invitent et permettent de poser ces types de problèmes qui n’existaient absolument pas auparavant où nous étions pris dans l’illusion que l’on pouvait construire de belles organisations de façon linéaire et que ça irait comme ça et que l’histoire trancherait.