Ainsi, un ministre percevra chaque mois le salaire annuel d’un smicard. Après le refus de tout coup de pouce au smic, c’est une sacrée leçon de choses sur la version Raffarin de la défense de la « France d’en bas » ! Nos ministres sont sous-payés par rapport aux PDG ? Exact, mais ces derniers n’ont jamais eu la prétention de représenter la France d’en bas. La politique devient un peu plus encore un métier de riches, pour les riches. Injustice sociale. Injustice démocratique aussi. Alors qu’il faudrait interdire le cumul des mandats, limiter à deux le nombre de mandats successifs et plafonner le salaire des élus au revenu moyen d’un salarié. Pourquoi les élus gagneraient-ils plus que ceux qu’ils sont censés représenter ?
Ce dérapage symbolique prouve à quel point ce gouvernement est 100% sponsorisé par la France d’en haut, celle de 150 000 privilégiés qui, avec indécence, se lamentent de payer l’impôt sur la fortune (ISF), impôt dérisoire rapportant moins que la redevance télé payée par des millions de téléspectateurs.
La « fracture sociale » a un visage : les 80% de la population qui gagnent moins de 1 830 euros par mois et qui, depuis vingt ans, sont submergés par la déferlante libérale. Le partage entre les revenus du travail et ceux du capital ne cesse d’évoluer en faveur des actionnaires. La baisse de l’impôt sur le revenu bénéficiera incomparablement plus aux hauts revenus qu’aux petits. Et pas du tout à la moitié de la population, non imposable.
Le gouvernement veut accentuer encore les baisses de charges. Vieille politique de cadeaux au patronat, parfaitement inefficace pour développer l’emploi. Il engage une nouvelle vague de privatisation des services publics, à commencer par l’énergie et le transport aérien. Il annonce un gel de l’emploi public, voire des suppressions de postes.
Côté retraites, la mise en cause de la solidarité entre générations est prévue pour les prochains mois : grâce aux fonds de pension, quelques assureurs joueront nos cotisations au casino de la Bourse. Le Medef, qui s’imagine en terrain conquis, se plaint des lenteurs de la manœuvre. En réalité, le gouvernement décline son programme de « refondation sociale ». Et s’il reste prudent, c’est qu’il sait combien son assise politique est fragile. Chirac a réalisé un fameux hold-up électoral, sans effacer pour autant le désastre du premier tour. Y mettre les formes, voilà ce qui excède le patronat. Pourtant, c’est bien lui qui mène la danse. Ajoutez une bonne dose de démagogie sécuritaire et le tour est joué !
Sans-papiers : le spectre de l’église Saint-Bernard a hanté la basilique de Saint-Denis. Jeunes : priés de dormir ou de travailler. Selon l’UMP, un bon jeune ne danse pas la techno et ne traîne pas tard le soir. C’est, au choix, contrat-jeune ou prison-jeune, à la chaîne ou derrière les barreaux !
Les naïfs croient que le libéralisme signifie moins d’Etat. En fait, la criminalisation des mouvements sociaux annonce une marche accélérée vers l’Etat autoritaire. José Bové, Alain Hébert, de l’arsenal de Cherbourg, ou Ahmed Meguini, à Strasbourg, en savent quelque chose ! Sans compter l’indignité que représente l’extradition de militants italiens livrés à Berlusconi, au mépris de la parole de la France.
Réforme des modes de scrutin : quelle ironie de voir ceux qui se lamentaient sur le déficit démocratique accepter tranquillement de privatiser la République au profit d’un tiers des citoyens, alors même que les sondages attestent qu’une majorité des électeurs est attachée à l’existence des « petits partis ». Pour paraphraser Brecht : le peuple ne suit pas la ligne ? Dissolvons le peuple !
L’ampleur de ces attaques exige une réponse : un front uni des partis, syndicats et associations de gauche, un vaste mouvement social des travailleurs et de la jeunesse, comme en 1995, mais avec, cette fois-ci, le secteur privé. C’est le seul moyen de renvoyer les projets de la droite dans les cartons. Voilà un terrain de choix pour la « contestation récurrente du capitalisme » souhaitée par François Hollande ! Au prix certes de quelques mises à jour douloureuses. Baisse des impôts, blocage du smic, privatisations, augmentation des inégalités, mise en cause des retraites, répression syndicale : les projets du gouvernement Raffarin poursuivent, en les durcissant, ceux du gouvernement Jospin. Qui peut oublier l’attitude vis-à-vis des sans- papiers, la dérive sécuritaire, les vœux de réussite de Julien Dray à Nicolas Sarkozy ?
Mais les temps changent, paraît-il. A gauche, que n’a-t-on entendu sur la campagne présidentielle de la LCR : irréaliste, démagogique, populiste, extrémiste. Protestataire, pour tout dire ! Mais ce qui hier était plomb devient or, à en croire certains dirigeants de l’ex-gauche plurielle qui rivalisent maintenant dans la dénonciation de la mondialisation libérale. Attendons quand même de voir les actes.
Le bilan du gouvernement Jospin l’illustre : céder un peu au social-libéralisme, c’est capituler beaucoup. Aucune combinaison gouvernementale n’est possible avec les sociaux-libéraux, sauf à limiter nos ambitions à engranger des postes, coûte que coûte. Car, visiblement, au-delà des paroles qui n’engagent à rien, les sociaux-libéraux tiennent la corde. Faut-il alors en rester à la protestation ? Participer ou non au gouvernement ? Débat abstrait ! Le problème est de savoir quelle politique on y mène.
Nous refusons de soutenir un gouvernement, même de gauche, lorsqu’il fait une politique de droite. Mais nous sommes nombreux à souhaiter un gouvernement de rupture avec le capitalisme, enfin aussi fidèle à la défense de nos vies que la droite à la défense des profits, mettant en œuvre les exigences portées par les mobilisations populaires !
Construire un nouveau parti défendant jusqu’au bout les intérêts du monde du travail et des opprimés : le projet continue son petit bonhomme de chemin. Il exclut le bricolage : ni « rééquilibrage » ni replâtrage interne à la gauche plurielle. Car il y a bien deux gauches : l’une, convertie au libéralisme, satellisée par le PS et l’autre, la gauche d’en bas, anticapitaliste, sociale, écologiste et féministe. Il faut choisir !
La vague néolibérale a provoqué des crises terribles, comme la banqueroute argentine. Mais elle est confrontée à une contestation massive et grandissante, comme on le verra en France lors du sommet du G 8 en juin 2003. La guerre froide a laissé place aux guerres chaudes. Bush junior cherche à soumettre la planète à une guerre sans fin. Une deuxième guerre du Golfe devrait même couronner cette ère barbare et meurtrière. Du pain bénit pour les replis identitaires et les fièvres néofascistes.
En France, une course de vitesse est engagée avec le Front national pour que les catégories populaires ne se laissent pas abuser par leur pire ennemi. Une course qui sera d’abord gagnée ou perdue sur le terrain social, par la jonction d’une gauche anticapitaliste et de la renaissance d’un puissant mouvement social. Notre rêve. Et leur pire cauchemar...