Forum : Socialisme périmé ? La propriété du droit à l’emploi

, par UDRY Charles-André

Recommander cette page

Le socialisme est-il un horizon dépassé en cette fin de siècle ? Réponse à la lumière de Noberto Bobbio, de Hegel, de Keynes et des nouveaux pauvres.

Allemagne : 4,82 millions de sans-emploi ; 2,9 millions de personnes à l’assistance sociale ; 5,63 millions de « petits boulots » aux salaires dérisoires. Suisse : l’auguste Banque cantonale bernoise explique que « la majeure partie de cette amélioration bénéficiaire [dans les économies occidentales] résulte d’une redistribution des revenus qui des mains des travailleurs sont passés à celles des entreprises. Une évaluation (?) montre que la croissance bénéficiaire globale de 1997, en Suisse, devrait aboutir à un beau record : + 27,7 % » (Billet de l’investisseur, n° 24 , 02.12.1997). Une enquête, dans le canton de Zurich, indique que 42 % des chômeurs en « fin de droits » ne retrouvent pas d’emploi.

« Territoire de l’inégalité »

Ces anecdotes nous renvoient à une réflexion du philosophe italien Noberto Bobbio. Ce « vieux sage » affirme que le capitalisme fin de millénaire ne serait en droit de prétendre le socialisme périmé que s’il manifestait la capacité d’offrir des solutions aux problèmes qui ont nourri les idées et le mouvement socialistes, avant tout l’inégalité systémique.
La résurgence généralisée des inégalités et de la catégorie des « pauvres-travaillant » est là pour indiquer que le « dépassement » du socialisme n’est donc pas assuré, pour reprendre l’hypothèse de Bobbio.
Or, inégalité et propriété forment un couple. Un philosophe, qui n’est pas sans relation avec Marx, Hegel, dans Principes de la philosophie du droit (1821) traite des thèmes de la richesse, de la pauvreté et de l’apparition de la « plèbe ». Il les relie tous à la propriété (à la possession). Il élève la propriété privée à la hauteur d’une catégorie ontologique. Elle apparaît, pour lui, comme l’objectivation de la liberté individuelle. « L’universel de la liberté ? c’est le droit de propriété » (Gallimard, 1963, p. 235). Mais dans cette recherche de la liberté objective au travers de la conquête des « choses » (de la propriété), Hegel situe aussi la source de l’inégalité. « Ici l’égalité ne pourrait être que l’égalité des personnes abstraites comme telles et justement tout ce qui concerne la possession, ce territoire de l’inégalité, tombe en dehors de la personne abstraite. » (p. 95)
Le concept de possession ne peut être séparé de celui d’inégalité. Certes Hegel s’oppose farouchement à la répartition des biens pour atteindre l’égalité, car, pour lui, la richesse dépend des capacités de chacun. Il sacralise ainsi la société de concurrence. C’est-à-dire l’actuelle société des gagnants (donc des perdants) qui n’est que la traduction de cette concurrence farouche entre capitaux privés ; avec comme conséquence des mégafusions élevant des groupes industrialo-financiers à des positions de pouvoir mondialisé.
Mais Hegel ne cache point que propriété et concurrence peuvent générer de fortes inégalités. « Si une grande masse descend en dessous du minimum de subsistance qui apparaît de soi-même comme régulièrement nécessaire pour un membre de la société, si elle perd ainsi le sentiment du droit, de la légitimité et de l’honneur d’exister par sa propre activité et son propre travail, on assiste à la formation d’une plèbe, qui entraîne en même temps avec soi une plus grande facilité de concentrer en peu de mains des richesses disproportionnées. » (p. 261)

« L’euthanasie des rentiers »

Ces réflexions renvoient aux débats actualisés sur les droits sociaux. Or, le plein exercice des droits sociaux repose, à l’évidence, sur le droit à l’emploi. Mais ce dernier — c’est ce qui fait sa spécificité — remet en cause directement la gestion capitaliste de l’économie, fondée sur le droit d’ouvrir ou de fermer une entreprise (indépendamment de la fonction sociale de celle-ci). Même Keynes, lorsqu’il parlait d’une politique de plein emploi, invoquait, dans sa Théorie générale, la nécessité de « l’euthanasie des rentiers » (des oligopoles financiers ). Cet outrage, les « marchés financiers » ne l’accueilleraient pas avec amabilité. Le droit à l’emploi, lorsqu’il déroule ses impératifs, porte directement atteinte au caractère inconditionnel de la propriété.

Des salariés actionnaires et des salariés employés

Une des réponses à ce problème lié au binôme propriété-emplois est située au niveau de la gestion des fonds de pensions. Ces derniers sont devenus des actionnaires importants de grandes entreprises. Y aurait-il là un biais pour socialiser la propriété économique stratégique ? À ce propos, Jacques Adda souligne « un des paradoxes de cette affaire : avec les fonds de pensions, des salariés actionnaires exploitent des salariés employés » (Alternatives économiques, Hors-Série, n° 36, 1998, p. 53).
Faut-il s’autocensurer au point de renoncer à débattre – comme socialistes – sur d’autres formes de socialisation de la grande propriété ; donc sur l’affirmation d’un droit à l’emploi qui implique une redistribution de la richesse et, dès lors, une nouvelle « euthanasie des rentiers » ?
Peut-on esquiver le thème propriété-emplois en invoquant la mise en place d’une « allocation universelle » ? À suivre.