Courriel de Pierre Zarka à Christian Picquet — 9 février 2007
Christian,
Je souhaite attirer ton attention sur ce qui me semble pouvoir créer un problème. Je viens de recevoir la convocation du collectif unitaire national, avec la précision humoristique mais significative : « canal historique » pour ce mardi 13 février à Fabien. Autant je comprends et je partage la volonté de ne pas nous mettre les uns et les autres dans une posture de ressentiment à l’encontre de la LCR et du PC compte tenu de leurs actes de ruptures du processus unitaire ; autant je crois nécessaire de s’apprêter à tout faire pour que tout le monde se retrouve en vue de reconstruire l’espoir en un rassemblement antilibéral et que cela devrait commencer dès les législatives, autant je crains que si nous donnions l’impression de faire comme si rien ne s’était passé, nous risquerions de nourrir de la défiance envers la poursuite de cette structure et de perdre des forces. Au-delà des participants des journées de Montreuil — même si avoir l’avis des collectifs locaux renvoie à des positions très variées — le Collectif national ne me semble pas pouvoir être la structure dans laquelle désormais tous se retrouvent. De plus, une part importante des signataires de l’appel en faveur de la candidature de José Bové ne sont pas issus des collectifs mais se sont de fait, invités dans ce processus. Il me semblait que de ce point de vue, la décision de Montreuil, d’avoir une double structure était sage. Je crois d’ailleurs me souvenir, qu’avec d’autres, nous avons tous deux milité en sa faveur. Or de fait, une troisième structure continue d’exister. Cela fait beaucoup de lieux unitaires. Je mesure qu’une difficulté est liée à l’absence du PC à Montreuil et de la coordination qui en est sortie. Et je ne crois pas positif de rester longtemps avec une structure où il y aurait « tout le monde » sauf le PC et la LCR, ce qui nous conduirait vers un étrange face à face qui à mon avis hypertrophierait la place du PC et de la LCR en créant une étrange symétrie. En même temps, je suis soucieux que ce soit bien à partir de la coordination nationale, impliquant le plus large éventail de forces que se posent la question de comment renouer avec les partis qui nous ont fait défaut ; que ce ne soit pas réduit à un échange entre ces partis, leurs minorités et les ceux dont la culture politique est la plus proche de l’espace des organisations politiques. Je sens bien qu’il y a un problème à résoudre y compris si on veut éviter que la LCR et le PC choisissent leurs interlocuteurs.Je ne suis pas au secrétariat de la coordination ; ce n’est pas à elle de résoudre ce problème mais c’est peut-être à elle de le mettre à l’ordre du jour, de façon à ce que ne s’instaure pas deux coordinations unitaires : l’une qui discute avec le PC et la LCR et l’autre avec le comité de campagne de Bové. Je sens bien que je ne résous pas le problème, mais je crois qu’on ne peut le résoudre que dans le cadre d’une configuration qui mêle tout le monde. Qu’en penses-tu ?
Bien à toi.
Pierre Zarka.
Réponse de Christian Picquet à Pierre Zarka — 12 février 2007
Mon Cher Pierre,
Tu soulèves un point très important, qui nous renvoie à l’échec que nous avons enregistré en décembre et à la division accrue du rassemblement antilibéral qui s’en est suivie.
L’expression « CIUN canal historique » est incontestablement malencontreuse, de nature à laisser croire que cette structure continuerait comme si de rien n’était, alors que le processus engagé avec l’appel du 10 mai (dont le CIUN était issu) a été interrompu par la rupture opérée par la direction du PCF. Or, il n’en est rien, il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de se reporter aux conclusions réelles de la réunion du 30 janvier.
Tu le sais, la situation est on ne peut plus complexe. Si la rencontre de Montreuil a rassemblé la majorité des collectifs qui refusaient de s’incliner devant la politique de division de la majorité de direction de la LCR comme devant le coup de force de la direction du PCF, il en est d’autres qui sont restés en marge du processus relancé les 20 et 21 janvier, sans qu’il s’agisse pour autant de ces collectifs de circonstance dont la création n’eut d’autre objet, en prévision des assises de Saint-Ouen, que de créer de toutes pièces une « majorité » en faveur de MGB. De surcroît, si l’actuelle coordination nationale bénéficie de l’adhésion de plusieurs courants politiques (celui des communistes unitaires, de la LCR unitaire, d’AlterEkolos, des Alternatifs, de CCAG, des Objecteurs de croissance et, à titre d’observateur, des républicains de gauche), il est douteux qu’elle soit ralliée, dans un proche avenir, par le PCF, la majorité directionnelle de la Ligue ou encore PRS. Dans ces conditions, il est impossible de se bercer d’illusions quant au fait que la coordination actuelle des collectifs serait désormais devenue l’unique structure légitime au sein de laquelle pourraient se poser — et se résoudre — toutes les questions relatives à la bataille de l’unité antilibérale.
En d’autres termes, et sauf à n’envisager avec ces organisations que des relations épisodiques, ou à croire que les discussions à venir à propos des législatives pourraient exclusivement se dérouler sous forme de rapports bilatéraux entre la coordination et les forces politiques en question, il s’impose de réfléchir à un cadre national souple, de liaison et d’échanges, où pourraient se retrouver les courants politiques partie prenante de Montreuil, les partis qui en étaient absents, les collectifs dans toute leur diversité (quelles que soient les options qu’ils retiennent pour cette présidentielle), les nouvelles réalités militantes apparues ces dernières semaines, ainsi que les personnalités ayant participé depuis le début à l’aventure du rassemblement antilibéral.
J’ai lu, ici et là, que ce type de cadre ne devrait éventuellement concerner que les courants politiques. Je crains que ce ne soit une fausse bonne idée. Tout ce qui pourrait recréer une coupure entre les sensibilités politiques organisées et les collectifs, ou accréditer l’idée qu’une telle coupure se traduirait à travers l’existence de deux structures séparées, me paraît de nature à entretenir la confusion, de fausses oppositions, voire un sentiment d’opacité sur les centres de décision hautement préjudiciable.
Peut-être le compte-rendu qui en a été fait prête-t-il à confusion, mais la dernière (l’ultime !) réunion du CIUN a tout à la fois enregistré :
- que cette structure avait perdu sa fonctionnalité originelle (du fait de la rupture intervenue en décembre),
- qu’elle ne pouvait dès lors plus assumer le rôle qui était le sien jusqu’à cette date vis-à-vis des collectifs,
- mais qu’il n’en fallait pas moins travailler à la formation d’une nouvelle structure permettant de poursuivre le dialogue et d’agir en commun chaque fois qu’il serait possible (dans les échéances politiques autant que dans les mobilisations sociales).
L’existence d’un tel cadre serait de nature à faciliter, entre toutes les composantes prêtes à s’y retrouver, les discussions visant à aboutir, aux législatives, à des candidatures unitaires labellisées ou, à défaut, à procéder à une répartition des circonscriptions (sachant, comme il a été justement décidé à Montreuil, que les collectifs restent souverains et qu’il leur appartient d’engager les démarches dès aujourd’hui pouvant amener au maximum possible d’accords locaux).
Pour vérifier qu’une telle structure soit possible, il a été décidé, non seulement de consulter l’ensemble des sensibilités concernées (à ma connaissance, les Alternatifs ont déjà fait connaître leur accord et désigné une délégation pour participer à un tel cadre), mais également de mettre en chantier un texte qui actualiserait l’appel du 10 mai et les conclusions essentielles du document « Ambition-Stratégie ». L’objet de la réunion convoquée le mardi 13 février n’est, dès lors, pas de perpétuer le CIUN, mais d’engager un tel processus..
À cet égard, l’idée n’est absolument pas de multiplier les espaces de confrontation unitaires. A l’inverse, rien ne doit, me semble-t-il, conduire à considérer que l’échec intervenu en décembre entérinerait définitivement les fractures avec la LCR et avec le PCF. Sur ce plan, au-delà de la question à propos de laquelle nous échangeons maintenant, toi et moi, je crois désormais indispensable de poser devant le mouvement des collectifs le débat que Claude Debons soulève dans une récente contribution, et que tu abordes à ton tour dans ton courriel : l’objectif reste-t-il la convergence de toute la gauche antilibérale ?
A travers certaines discussions, à Montreuil ou au sein de la coordination nationale, il me paraît que la tentation existe, chez certains de nos amis, de concevoir la campagne autour de José Bové comme un changement de configuration, qui amène à ne plus se poser, du moins dans l’immédiat, que la question de la délimitation d’un nouveau courant politique entre le PCF et la LCR. Comme toi, je considère que cette option, aussi légitime soit-elle, reviendrait à rétrécir considérablement l’ambition du rassemblement, à se situer très en deçà de la réponse nécessaire aux défis du moment politique présent. Je crois donc qu’il ne faudrait pas que « l’affaire du CIUN » qui, encore une fois, n’en est pas une, vienne obscurcir ou différer cette clarification indispensable.
C’est à mon tour, Mon Cher Pierre, de solliciter ta réaction.
Bien amicalement à toi.
Christian Picquet
De Pierre Zarka à Christian Picquet — 13 février 2007
Cher Christian, je partage ta préoccupation quant au type de construction politique. Comme toi je pense que l’objectif demeure plus que jamais le rassemblement de toute la gauche antilibérale et que penser faire sans les espaces que représentent les partis est une illusion — même si je ne sais comment et dans quel état ils seront d’ici quelques mois et que, tu le sais, je remets en cause la forme et la définition que s’est donné le PCF. Quand je dis une illusion, je crois que c’est fondamentalement l’impasse de 68 et celle de 95 ; autant ne pas la renouveler à chaque fois. Or, la situation crée particulièrement par la direction du PC nous a tous mis dans une situation d’éparpillement. Il n’est qu’à lire les comptes-rendus des collectifs, les écrits collectifs ou individuels des uns et des autres. Cette situation devient notre nouveau point de départ. En même temps, le passé récent nous laisse à la fois des possibles et des scories. Dans ce contexte, la poursuite du terme CUIN devient en soi un point de crispation plus que de perspective de reconstruction. De plus je crois qu’il faut absolument éviter que ce soit les « organisés » ou celles et ceux qui ont cette culture qui se structurent dans ce type de rencontres. Nous irions vers un cartel malgré nous et je vois bien que telle n’est pas du tout ton idée. Je continue de penser que pour réussir à « recoller » les morceaux, il faut éviter un face à face avec le PC et la LCR qui fait de ces partis le centre de gravité de tous les efforts. Dans l’optique que donne l’égocentrisme d’appareil, tu le sais, il y a « soi » et tous les autres, vécus plus ou moins comme des satellites. Même si cela se pose différemment à la Ligue ou au PC, « soi » est toujours le centre du monde. Et plus ces appareils seront confortés dans cette posture par le sentiment qu’il y aurait des cercles concentriques : eux d’abord, les interlocuteurs réguliers ensuite, et tout le reste de temps en temps, moins nous parviendrons à rassembler toutes les forces antilibérales. Et pour finir cet enchaînement, plus ils expriment cet égocentrisme d’avant-garde éclairée, plus cela peut nourrir l’idée d’un regroupement replié sur les forces les plus immédiatement disponibles. C’est-à-dire recouvrant un périmètre réduit et de fait éloignant de la capacité à intervenir dans l’espace institutionnel ou même à le subvertir. Si nous ne voulons pas consommer un éloignement des différents types d’acteurs et avoir comme deux parallèles qui ne se rejoignent jamais, les organisations et un courant de forces militantes qui finit par se faire une raison de devoir faire sans les organisations, et parce que le risque existe, il est urgent que toutes et tous soient saisi( e)s du problème. Peut-être pourrions — nous de concert, le poser samedi comme une question qui nous a taraudé. Il est tout à fait possible qu’une journée ne permette pas de la régler totalement d’autant que les forces dont nous parlerons seront absentes. Mais de commencer à en faire le problème de tous me semble indispensable et même peut-être pourrions-nous proposer à la coordination unitaire de prendre l’initiative d’une rencontre avec le PC et avec la Ligue pour leur parler de l’avenir ?
Bien à toi.
Pierre.