« Détricoter les stigmates sexistes de notre société »

, par SALMON Sabine, SURDUTS Maya

Recommander cette page

Samedi 17 octobre se déroulera la manifestation pour les droits des femmes, sur des revendications aussi diverses que la liberté, l’autonomie, la laïcité ou l’égalité au travail. La gauche dans son ensemble s’apprête à défiler.

Maya Surduts, animatrice du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), et Sabine Salmon, présidente de Femmes solidaires, mouvements à l’initiative de la manifestation du 17 octobre, appartiennent à deux générations de féministes. Deux parcours pour un combat unique : l’abolition du système patriarcal.

  • Quel est le fil conducteur de la manifestation aux thématiques variées ? Ne craignez-vous pas de brouiller le message en n’ayant pas une revendication ciblée ?

Sabine Salmon. Le fil conducteur de la manifestation est vraiment dans le slogan que nous aurons sur la banderole de tête : « Pour une réelle égalité femmes-hommes ». Si nous vivions dans une société plus égalitaire libérée des dominations patriarcales avec une réelle éducation non sexiste dès le plus jeune âge, les femmes seraient plus libres, plus autonomes, et donc vivraient plus dignement. Les six thèmes (égalité, solidarité, autonomie, liberté, dignité et laïcité) dans le cortège convergent tous vers cette revendication principale. Cette manifestation doit permettre de « détricoter » des stigmates sexistes profondément ancrés dans notre société.

Maya Surduts. Nous manifestons à cause de l’invisibilité des femmes en tant que sujet collectif, car pour être traitées comme objet sexuel, il n’y a pas de problème... Á la faveur de la crise, aussi bien les patrons que les syndicats font de la question « femmes » un supplément d’âme dont il faudra s’occuper plus tard. Les choses étant trop graves aujourd’hui, de leur point de vue, pour que les rapports entre les sexes soient au cœur du dispositif de lutte contre les inégalités.

  • Comment expliquez-vous la tolérance sociale à l’inégalité professionnelle ?

Sabine Salmon. Nous sommes au cœur de l’éternel débat : « Faut-il une loi pour changer les mentalités ou une loi aidera-t-elle à changer la mentalité ? ». Le progrès social est toujours à la juste distance entre ces deux choix. Mais, ce qui est sûr, c’est que notre invisibilité crée une méconnaissance des réelles inégalités entre les femmes et les hommes et n’aide pas à changer la donne. Pour la plupart des salariées, l’égalité professionnelle est dans les textes et existerait donc. Quand nous mettons au jour les inégalités, nous avons fait la moitié du chemin.

Maya Surduts. La France est un pays particulièrement misogyne, de manière certes subtile. C’est le pays de la loi salique, de la séduction. Et tout ce qui va à son encontre dérange, gêne. La société s’est construite par les hommes pour les hommes. Ce qui distingue le rapport hommes-femmes du rapport capital-travail, c’est le fait qu’il soit mêlé à la subjectivité. C’est un rapport humain qui peut mettre en danger tout le monde. Les femmes sont l’objet d’un chantage permanent : « Si tu m’aimes, tu dois agir comme-ci ou comme-ça. » Si les mentalités ont évolué, il persiste toutefois de considérables résistances. Car, quand on détient le pouvoir, dans une entreprise, au foyer ou dans un parti, on ne le donne pas, on ne le remet pas en question, on ne le partage pas.

  • La manifestation semble davantage mobiliser les syndicats et les partis que lors des précédentes initiatives féministes. Comment l’analysez-vous ?

Sabine Salmon. Nous sentons en effet une meilleure mobilisation des syndicats et des partis politiques pour cette manifestation que pour beaucoup d’autres initiatives sur le même thème. Mais nous attendons le 17 octobre pour voir si leur présence sera à la hauteur des attentes des femmes. Nous pouvons compter sur des féministes convaincues dans chacun des syndicats et des partis qui appellent à la mobilisation. Nous espérons qu’elles seront mieux épaulées cette fois. Mais je suis très confiante, les dirigeants des syndicats et des partis politiques appellent clairement à la mobilisation et beaucoup ont annoncé leur présence. Et puis le mouvement social s’est modifié ces dernières années, il s’est enrichi en faisant une meilleure place aux associations. Je pense notamment à la bataille contre le projet de constitution européenne de 2005, ou plus récemment à la question des retraites, pour lesquelles les féministes se sont largement mobilisées.

Maya Surduts. Ce qui a sensibilisé au-delà de nos rangs, ce sont les attaques contre le Planning familial. Le gouvernement n’a pas bien mesuré la signification que pouvait avoir la réduction des subventions à ce mouvement féministe populaire. Les attaques contre les retraites des femmes ont également été un facteur d’une plus grande sensibilisation des syndicats et des partis de gauche. Les luttes éclatées sont de moins en moins efficaces et il y a une prise de conscience pour faire autrement. Peut-être que la manifestation de samedi prochain marquera un tournant dans la convergence des luttes en général.

Mots-clés