Armée XXI - réformes de l’armée

Des amendes choquantes et arbitraires

, par L’HAIRE Sébastien

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Le 1er mars 2004, le code pénal militaire s’est « enrichi » de nouvelles mesures disciplinaires. Les arrêts simples, où les militaires ne passaient en détention que les temps de loisirs et de repos, ont été abolis. Les arrêts de rigueur ont été rebaptisés arrêts (tout court) et réduits à 10 jours maximum. Les peines de privation de sortie et d’amende disciplinaire ont été introduites. La presse a récemment dénoncé plusieurs cas choquant dans les médias.

Des amendes jusqu’à 500 francs peuvent être infligées par les officiers dès le grade de capitaine, après une procédure sommaire. Les autorités militaires cantonales peuvent condamner à des amendes jusqu’à 1000 francs, avant tout pour défaut aux tirs obligatoires. La privation de sortie et de cantine militaire va de 3 à 15 jours. Les personnes sanctionnées peuvent faire recours auprès du supérieur de l’officier qui a infligé l’amende. Pour des amendes de 300 francs et plus et pour les arrêts, un deuxième recours est possible auprès d’un tribunal militaire d’appel.

Une recrue en formation à Payerne s’est vue infliger une amende de 200 francs pour vingt minutes de retard. Pourtant, le soldat ne contestait pas sa faute, due à un problème familial. Un de ses collègues a été condamné à 300 francs pour n’avoir pas réussi à se réveiller. Ces deux affaires ont été révélées le 9 février par Le Matin. Le 4 mars, de nouvelles affaires éclataient : retard de une minute, 200 francs, alcool en chambre, 200, sortie sans permission, 250 et 300 pour avoir désassuré l’arme d’un supérieur en présence de camarades.

Infractions de moyenne gravité ?

Ces amendes ont été introduites, d’après le message du Conseil fédéral proposant cette modification du code pénal militaire, pour punir des infractions de moyenne gravité. Devant la plupart des cas mis en cause par la presse, on peut en douter. Seule la mauvaise manipulation d’arme était dangereuse, mais c’est un incident fréquent à l’armée, qui, de plus, peut marquer psychologiquement son auteur et les personnes qui ont vécu l’incident. Les arrêts qui sanctionnaient naguère ce geste étaient aussi l’occasion de réfléchir à son acte. La sanction avait aussi une valeur pédagogique qui n’est pas atteinte par l’amende.

Le Conseil fédéral disait que la sanction devait être ressentie comme « rigoureuse et efficace ». A part les manipulations dangereuses d’armes, on parle d’infractions au code de la route ou à la loi sur les stupéfiants. Rien à voir avec un simple retard ou une panne de réveil, comme dans la plupart des cas énumérés ici !

En soi, une privation de sortie est déjà une lourde sanction en empêchant les soldats de changer un peu d’air. Au civil, une amende est infligée car aucune autre sanction ne peut raisonnablement être infligée, par exemple pour un excès de vitesse ou même un feu rouge grillé.

Les sanctions disciplinaires ne sont pas les seuls moyens de punir les soldats. L’armée sanctionne aussi souvent par des exercices supplémentaires, des corvées, des tours de garde de week-end etc. qui ne sont pas expressément infligées comme sanction dans les dossiers militaires mais sont néanmoins efficaces. Enfin, les soldats sont obligés de servir dans un contexte difficile physiquement et psychologiquement, ce qui n’est pas le cas des diverses autres situations où on commet des fautes et est sanctionné. Aucun civil n’est forcé de prendre la route. Il est donc injuste de pénaliser encore plus des personnes en train de servir.

Fondamentalement, les amendes ont été introduites pour renforcer la discipline. « Notre objectif est d’obtenir une meilleure discipline. C’est normal que ça fasse un peu mal », a dit Philippe Zahno, porte-parole de l’armée. La menace du trou n’était plus vraiment efficace. Pour autant que la sanction ne dure pas trop longtemps et ne fasse pas annuler la totalité du cours, les arrêts étaient plutôt bien ressentis par les punis, certes privés de liberté mais pouvant se reposer et être isolés de la vie militaire ; même si en théorie les écrits autres que le règlement de service et les écrits religieux étaient interdits, les plantons de garde laissaient toutefois souvent les prisonniers lire ce qu’ils voulaient. Désormais le parlement a autorisé la lecture d’un quotidien par jour. Le commandant peut autoriser d’autres lecture mais le parlement a refusé de rendre cette disposition obligatoire, sous prétexte qu’il faudrait mettre une bibliothèque à disposition des détenus (sic !)... Si de telles restrictions de lectures étaient appliquées à des détenus civils, on crierait à la violation de la dignité humaine.

Une peine dommageable

Les recrues ne sont généralement pas riches. Les allocations perte de gain sont de 43 francs par jour, 54 francs dès le 1er juillet 2005, ainsi que 5 francs de solde. Les services sociaux de l’armée ont poussé un cri d’alarme : Quatre recrues sur six ont des difficultés financières qu’ils arrivent à résoudre, parfois avec les conseils des services sociaux. Une recrue sur six dépend d’une aide financière. Reste donc une seule recrue qui s’en sort sans problème. Pourtant, l’armée a infligé 200 000 francs d’amendes en 10 mois à 640 personnes différentes, soit une moyenne de 313 francs environ ! Ces sanctions sont donc extrêmement lourdes et frappent plus durement les personnes précaires, même si les commandants doivent prendre en compte leur situation financière. De plus, les amendes sont disproportionnées par rapport à des sanctions civiles : rouler à 65 km/h en localité, 120 francs, 100 hors localité 160 francs, feu rouge grillé 250 francs...

La formation des officiers doit être mise en cause. Un juge ou un officier de police ont une longue expérience, contrairement à l’officier dont la formation aux sanctions disciplinaires est très courte. Il est dangereux de laisser à des officiers amateurs la possibilité d’infliger jusqu’à 500 francs d’amende, même si cette possibilité est restreinte par rapport à des juges militaires, au bénéfice d’un titre universitaire, qui peuvent amender jusqu’à 40 000 francs. L’enquête sur les faits est très rapide et sommaire, ainsi que l’audition du fautif. Même si des officiers de carrière plus aguerris donnent conseil au capitaine payant ses galons, cela demeure une justice peu équitable.

Un recours restreint

Dans le cas dénoncé par la presse, mal informée, la recrue n’a pas recouru, ayant laissé passer le court délai de recours de 24 heures et de surcroît ayant peur que la sanction ne soit aggravée. Pourtant, un recours ne peut aggraver la peine ; il peut uniquement la confirmer ou l’atténuer. Cependant, nous pouvons douter de l’efficacité d’un recours car l’instance de recours est un supérieur immédiat de l’officier ayant infligé la sanction. Un second recours auprès d’un tribunal militaire d’appel n’est possible que pour les arrêts et les amendes dès 300 francs. Seules quatre personnes amendées ont recouru en 2004, probablement à cause de la difficulté de la procédure.

Par ailleurs, si la personne punie disciplinairement renonce par écrit à son droit de recours, elle peut immédiatement exécuter sa peine. Il est à craindre que les officiers fassent pression et menacent les sanctionnés de brimades encore pires s’ils n’acceptent pas immédiatement la sanction.
Plus d’informations

Les formulaires servant à notifier une sanction disciplinaires et à l’enregistrer administrativement ne sont pas suffisamment clairs, surtout pour les personnes n’ayant pas beaucoup de formation scolaire. Les possibilités et l’instance de recours sont inscrites par écrit (en petit), mais ceci n’est pas suffisant. Dans ce domaine, il est essentiel que la peine soit expliquée clairement aux personnes sanctionnées ainsi que les voies de recours et les conséquences de celles-ci. Comme dans une procédure pénale, les officiers devraient lire leurs droits aux personnes prévenues ou punies et les leur communiquer clairement par écrit.

À l’armée, de manière générale, toutes les procédures légales, administratives et juridiques manquent de clarté et sont mal connues de tous les militaires, quel que soit leur grade. D’après notre expérience, les informations données par les supérieurs sur les procédures pénales ou disciplinaires ou sur les démarches administratives (p.ex. sur le service civil ou l’exemption médicale) sont souvent partielles et inexactes. La formation dans ce domaine devrait donc être renforcée car une mauvaise information peut faire perdre un temps précieux, manquer un délai ou avoir des conséquences plus graves encore. La publication de brochures contenant des questions fréquemment posées pourrait être une bonne solution.

Même si l’armée ne s’en rend pas toujours compte, les temps changent. L’autorité s’acquiert par la compétence, le sens de la justice, la pédagogie (pouvoir expliquer ses décisions), pas par des rapports de force. On apprend dans cette société à se comporter de manière individualiste, à discuter, à convaincre, à faire preuve d’initiative etc. Mettre des amendes pour se faire respecter est contre-productif.

Nous demandons donc le retrait des amendes de l’arsenal disciplinaire. À défaut, l’auditeur en chef devrait publier une liste de fautes condamnables et des tarifs ou fourchettes de tarifs. L’information et la formation doivent être soignées, afin d’éviter d’ajouter des inégalités de traitement aux nombreux inconvénients du service militaire.

Pour citer cet article

Sébastien L’Haire, « Des amendes choquantes et arbitraires », Une Suisse sans armée, n° 65, printemps 2005, p. 19-20 in La Brèche numérique.

Source

Une Suisse sans armée, n° 65, printemps 2005, p. 19-20.

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