L’actualité de ces dernières semaines a une odeur de guerre civile. Des voitures brûlées aux quatre coins de l’Hexagone, des combats de rue entre groupes de jeunes et les forces policières...
L’augmentation importante de la délinquance des mineurs (+17,3%), l’augmentation du nombre des mineurs impliqués dans les délits (1 délit sur 5 commis par un jeune de moins de 18 ans), a de quoi inquiéter. C’est bien pourquoi les mesures répressives annoncées sont majoritairement bien reçues par la population. Et pourtant, le ministre aux-globules-rouges-revenues ne fait pas dans la dentelle. Il part à la « reconquête républicaine » des banlieues, en appelant ainsi à un renforcement policier, à la possible création de centres de retenue et mais ce n’est pas nouveau à la transformation de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à la justice des mineurs.
En écho, le Premier ministre lui-même élève la sécurité au rang de deuxième priorité nationale. Lionel Jospin annonce la tenue d’un conseil de sécurité intérieure fin janvier. La croisade contre la délinquance des mineurs est engagée.
Des maux et une tentative d’analyse
Ce qui se passe dans les banlieues est effectivement grave, et c’est effectivement le résultat de l’institution de zones de non-droit. Mais nous ne parlons pas des mêmes droits, monsieur Chevènement et nous. Pour le ministre de l’Intérieur, un seul droit serait aujourd’hui bafoué, celui de la sécurité, c’est-à-dire celui de l’ordre républicain. Pour nous, c’est bien l’ensemble des droits élémentaires qui sont bafoués, bien qu’ils soient fort officiellement réaffirmés dans les préambules de plusieurs Constitutions françaises, à commencer par celle de 1848 : pour l’essentiel, le droit au logement, au travail, à la santé.
Une société qui énonce des droits, mais qui pour autant ne les garantit pas à l’ensemble des citoyens, n’est plus légitime. Les parents des enfants qui actuellement « cassent » sont souvent des adultes privés de droits. Leur parole ne compte pour rien, même si, dans le cadre des contrats de ville, on leur demande s’ils préfèrent des volets peints en rouge ou en bleu. Ces personnes sont d’abord perçues comme les habitants d’une « zone dangereuse » et ne sont consultées sur la vie de cette zone que lorsqu’elle devient trop agitée. Mais elles ne le sont jamais sur les raisons pour lesquelles de telles zones existent et sur les moyens de les supprimer.
Ces adultes en situation de vie précaire n’ont pas de parole publique. La plupart des élus les considèrent tantôt avec charité (« Ce sont les premières victimes »), tantôt avec une colère qui appelle la répression (« Il faut responsabiliser les parents »). Les jeunes arrivent au bout de cette chaîne d’oppression et d’injustices multiples, et notamment les jeunes issus de l’immigration. Ils peuvent encore moins facilement nommer cette situation, lui donner un sens politique.
À une société illégitime, qui les met dans une situation d’inutilité sociale et politique durable, et dans un état de rage permanent, ces jeunes répondent par des actes d’illégalité. Dans ce contexte, le quadrillage des banlieues par des policiers et le durcissement de l’outillage judiciaire, ne changeront rien. Bien au contraire. Rajouter de la répression sur de l’injustice sociale renforce l’oppression, puis la colère.
Il faut donc dénoncer la dérive sécuritaire actuelle, d’abord parce qu’elle est inutile et dangereuse. Ensuite parce qu’elle fait de ces jeunes l’ennemi public numéro 1. Elle divise la France en deux, ceux qui sont du côté de l’ordre républicain, ceux qui le remettent en cause.
Alors, que faire ?
En tout premier lieu, il nous faut, sans doute, ne pas se laisser piéger par le discours ambiant ; et puis il importe beaucoup de changer de regard.
Les banlieues ne sont pas des déserts. Des gens y vivent. Certains certaines surtout inventent des trésors de solidarité sociale, de voisinage qui aident à survivre. Changer de regard, c’est justement, là où on habite, écouter, reconnaître cette vie, lui donner les moyens de devenir une expression politique.
En deuxième lieu, il s’agit bien de renforcer et de vivifier les services publics sur ces quartiers-là. Après avoir supprimé les postes réels de proximité qui existaient, les bailleurs sociaux, les transporteurs publics, l’Education nationale en redécouvrent aujourd’hui les bienfaits. Mais, pour que le rôle social de tels postes de proximité soit rempli, il faut faire appel à des professionnels compétents, bien formés, correctement rémunérés, afin qu’ils puissent assumer cette charge au service des habitants.
Aussi, contrairement à l’orientation répressive que donne monsieur Chevènement, il faut parier sur l’éducabilité de la jeunesse plutôt que sur sa répression. Les enseignants volontaires, chevronnés dans les faits, auxquels on accorderait de véritables moyens (de se former, de faire de la recherche pédagogique, de s’organiser) pourraient redonner du goût à l’école, pour que ce qui s’y passe devienne plus intéressant que la vie dans la rue. Les enseignants qui y parviennent aujourd’hui se sentent souvent très seuls.
Il faut, de même, renforcer les moyens en éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) afin que ceux-ci puissent entreprendre un travail dans la durée auprès des enfants comme de leurs parents.
Enfin, il faut éviter que toutes ces mesures ne servent qu’à contenir en douceur les problèmes des banlieues, ne s’avèrent être qu’une sorte de quadrillage soft de la population. Pour cela, il me semble, nous devons travailler à ce qui paraît aujourd’hui l’essentiel : aider les habitants jeunes et adultes à rejoindre le mouvement des « sans ».
Voilà qui demande un gros travail. Rien n’est, en ce domaine, spontané. Mais la tâche n’en est pas moins pour nous, peut-être bien, essentielle. Susciter des rencontres sur les quartiers entre chômeurs militants et habitants. Organiser le dialogue, des concerts et autres activités, entre Ras l’front et des jeunes. Inviter Droit au logement à participer à des rencontres avec de jeunes squatters ils sont nombreux. Etc.
En bref, aider à ce que cette immense colère, légitime, que nous connaissons dans les « banlieues », soit la base de mouvements sociaux multiples, qui travaillent au réel changement de la société.